ÉDITORIAL
Afghanistan
Vingt ans. Vingt ans depuis octobre 2001, suite aux attentats du 11 septembre. Certes, mais comme en Irak, les Occidentaux, les États-Unis en tête, ont utilisé l’argument de la lutte antiterroriste pour reprendre la main en Asie centrale, région cruciale pour le contrôle du pétrole, du gaz et du chanvre. Les pays de la coalition sous le commandement de l’OTAN ont fait preuve d’un certain cynisme doublé d’un manque de connaissance ou d’un mépris de l’histoire.
Retournons dans le temps pour mieux comprendre. Déjà dans l’Antiquité, la région était un lieu de passage important pour les caravanes transportant de la soie… et pour les armées qui visaient la conquête de l’Inde (Cyrus, Alexandre, Gengis Khan, etc.) ; tout en étant elle-même au centre de grands empires. L’islam s’y est répandu dès le VIIe siècle. Ce n’est finalement qu’en 1747 que l’Afghanistan devient un pays souverain. Les Anglais au XIXe siècle viennent y mettre leur nez en en faisant un état tampon jusqu’en 1919, tout en l’amputant de plusieurs régions et en contrôlant sa politique étrangère. Les Anglais perdent la troisième et dernière guerre anglo-afghane. Le pays adhère alors à la Société des Nations, l’embryon de la future ONU. En 1979, l’URSS tente à son tour de prendre le contrôle de l’Afghanistan, sous prétexte de respect des accords de défense mutuels. Une guerre contre les « rebelles » talibans (ironiquement armés par les États-Unis) débute qui va voir le retrait soviétique en 1989. Pas pour le plaisir, mais bel et bien parce que la guerre est perdue. S’ensuivent cinq autres années de guerre civile, à l’issue desquelles les talibans reprennent le pouvoir, sans pour autant contrôler tout le pays d’ailleurs. Il devient alors un sanctuaire pour le djihadisme international… Jusqu’aux attentats du 11 septembre. On connait la suite.
Que faut-il retenir de cette histoire ? D’abord que c’est un pays qui a plus ou moins été toujours en guerre depuis des siècles, au point d’en devenir quasiment un mode de vie. Les Perses, les Indiens, les Russes, les Britanniques, tous ont échoué dans leur invasion. Que pouvaient faire nos soldats « professionnels » face à des gens, face à une société si résiliente ? Ensuite, comme nous le fait comprendre Michel Tournier dans Vendredi ou la vie sauvage, avec l’épisode de la guerre entre les rats noirs domestiques (de l’île) — les « locaux » — et les rats gris (échappés du bateau naufragé) — « les envahisseurs » —, c’est toujours le local, qui est adapté et connait mieux le terrain, qui finit par gagner. L’Indochine française, devenue le Vietnam, en est un autre exemple probant. Imaginez, si on ajoute au climat et à la géographie, difficiles pour tout occupant de toute façon, la complexité d’une société encore tribale, où les Pachtounes (sunnnites et misogynes) sont majoritaires. Les Perses, les Indiens, les Britanniques, et maintenant, tous les Occidentaux, tous ont échoué à changer la société afghane.
L’autorité du gouvernement « démocratique » de Kaboul n’a jamais dépassé les limites de la capitale en vérité. La coalition internationale a dépensé 500 milliards de dollars en dix ans ! Dans le même temps, plus de 65 000 civils sont morts, 2000 soldats américains et environ 1000 soldats d’autres nationalités, dont près de 200 Canadiens. Est-il possible que dans les années à venir, on réfléchisse à deux fois avant d’exercer un droit d’ingérence qui ressemble étrangement à du néo-colonialisme?