Éditoriaux
Éditoriaux de Septembre
L’école du futur
Je m’en allais gaiement vers un éditorial plus environnemental, parce qu’après l’été que nous venons de passer au Canada, il y a des raisons d’en parler… et d’agir. Mais nous y reviendrons. En effet, j’ai été coupé dans mon élan par une actualité toute chaude, pas seulement la rentrée scolaire en général, mais ma rentrée scolaire dans mon école.
Dans mon école, on se targue d’être à la fine pointe de l’éducation, d’en suivre — voire d’anticiper — les dernières tendances. Vendus au tout technologique, nos élèves ont en classe non seulement leur téléphone, mais également un ordinateur et une tablette, cette dernière étant fournie les premiers jours d'école. Nous jonglons avec les applications, slalomons entre TikTok et Instagram, surfons sur les différentes plateformes existantes… Nos élèves sont-ils plus intelligents, plus savants qu’ailleurs ? En tout cas, ils savent exploiter les facilités qu’offrent les outils numériques et l’internet à leur avantage.
Dans mon école, on promeut l’initiation aux affaires, à l’économie, à la comptabilité dès le secondaire 3 et aux technologies autant que faire se peut, comme clefs de la réussite scolaire, professionnelle et existentielle. La route est toute tracée vers un gros salaire, des postes exécutifs et la promotion sociale. Les langues, les arts et les sciences sociales, à quoi ça sert ? Nos anciens élèves sont-ils plus heureux qu’ailleurs ? En tout cas, ils savent trouver les voies rapides pour gagner beaucoup sans être trop intelligents ni forcément des citoyens responsables.
Dans mon école, on applaudit à l’arrimage entre éducation supérieure et monde de l’industrie, car tout est industrie, des arts au droit, en passant par la santé ou l’éducation… Les étudiants doivent pouvoir répondre à la demande des entreprises par des formations adéquates et remplir les postes de spécialistes de l’intelligence artificielle et de l’apprentissage, d’experts, de la soutenabilité, d’analystes en intelligence des affaires ou en sécurité de l’information, d’ingénieurs en technologie financière. Ces mots vous sont étrangers ? Normal, ce sont des professions émergentes. Nos élèves ont-ils plus d’esprit critique ou sont-ils de plus grands penseurs qu’ailleurs ? En tout cas, ils savent se faire ouvrir les portes des meilleures formations universitaires canadiennes en s’arrogeant les meilleures bourses au passage.
Parce que voyez-vous, dans mon monde (éducatif), les individus sont en concurrence les uns avec les autres, ils doivent se bâtir un CV qui leur donne un avantage compétitif, ils développent leurs compétences d’analyse, d’adaptation, de communication, de créativité, de contrôle qualité et de leadership plutôt que leurs connaissances et leur capacité de raisonnement ou leur altruisme. Car rien n’est gratuit en ce bas monde, le bonheur est forcément proportionnel à la taille de notre compte en banque et seuls les meilleurs arrivent en haut de l’échelle sociale.
Pour ces gens-là, au diable l’éducation à la citoyenneté, la responsabilité sociale ou l’invention d’un monde plus juste et solidaire ; la panacée est de pouvoir mettre ses compétences transversales au service de l’entreprise, de sa propre entreprise ! À l’image du monde de demain, l’école de demain ne peut être que globale, entrepreneuriale, toujours dans l’ « innovation » pédagogique pour n’être finalement que des usines à reproduire une structure sociale inégalitaire. Une école pleine de jeunes « compétents », mais ignorants, ouverts à la diversité, mais égoïstes, censés penser « en dehors de la boîte », mais sans véritable désir de changer le monde.
Le coup de la vie
Le mois de septembre est certainement plus dur cette année pour les familles qu’il ne l’a été depuis longtemps, y compris pendant la CoVid-19, où le gouvernement du Canada a mis en place un filet social à coup d’allocations, ce que personne — y compris nos hypocrites conservateurs — ne peut aujourd’hui lui reprocher. Cette fin d’année 2023 réunit trois conditions économiques et financières qui rendent la vie vraiment difficile, en particulier pour les petits et moyens revenus. En effet, la hausse du prix du logement, l’inflation des produits de base et le retour à des taux d’intérêt élevés constituent trois facteurs qui font mal au portefeuille des contribuables les plus démunis.
D’abord, il faut comprendre que la crise du logement est celle du logement abordable ; les riches disposent toujours des ressources pour louer ou acheter. Et si certains peuvent arguer que le prix des propriétés a diminué en 2023 (il s’établit quand même encore à 470 000 dollars après plusieurs années de hausse), le loyer moyen d’un appartement d’une chambre a, quant à lui, augmenté de 13 % pour atteindre 1687 dollars ! Et c’est pire dans les villes. À l’heure actuelle, le seul organisme régulateur du marché de l’immobilier est le Tribunal administratif du logement (TAL), qui ne peut que suggérer une augmentation pour l’année 2023 (2,3 % pour un logement non chauffé et 2,8 % pour un logement chauffé à l’électricité, on est donc très loin du compte). Pourquoi le gouvernement ne limite-t-il pas cette hausse par une loi ?
Par ailleurs, les prix de l’épicerie ont augmenté drastiquement depuis le début du conflit avec l’Ukraine, pour des raisons de pression sur les chaines d’approvisionnement (énergie, céréales), ajoutée au ralentissement des échanges commerciaux découlant de la crise sanitaire des années précédentes. Problème : cela touche spécifiquement des produits alimentaires de base, alors que le pouvoir d’achat des classes les plus aisées les rend encore capables d’acheter des produits variés et de qualité. Légumes, produits laitiers, viande, fruits, tout y passe, le panier d’épicerie a déjà cru de plus de plus de 1000 dollars entre 2022 et 2023, qu’est-ce qui nous attend en 2024 ? Or, les trois gros détaillants qui se partagent 70 % du marché (Loblaws/Provigo, Sobeys/IGA et Métro) ont engrangé des profits record (en augmentation de 10% à 30%) dans la même période ! Les coûts des « intrants » ont bon dos !
Enfin, l’hypothèque de nos maisons ou appartements a grimpé de manière exponentielle, parce que le taux directeur de la Banque du Canada est passé de 0,25 % à 5 % en l’espace d’un an et demi, OK ! Il ne viendrait certainement pas l’idée aux banques de de réduire un peu leur marge de profit au lieu de nous refiler la facture ? Qui les a aidées à se redresser après la crise financière de 2008 sinon le gouvernement ? Le privé ne jure que par la loi du marché et la « libre » concurrence quand il s’agit de faire de l’argent, mais l’intervention de l’état avec nos impôts, ça ne le dérange pas en cas de problème. La morale de l’histoire ? Ce sont toujours les mêmes qui doivent encaisser les coups, que ces derniers soient politiques, économiques ou sociaux. Comment se donner une chance de changer la situation ? Certainement pas avec un chèque de 500 dollars une fois l’année.
Pensée carrée, pensée binaire
Vendredi dernier a eu lieu la traditionnelle Marche pour le climat de fin septembre, la même qui avait vu Greta Thunberg y participer en 2019, à Montréal et qui avait connu une mobilisation record à Ottawa. Dans le même temps, le premier ministre Trudeau a connu une réunion mouvementée de son caucus, en cette rentrée parlementaire. Il est critiqué, probablement victime de l’usure du pouvoir, mais pas seulement : à force de promettre à chacun ce qu’il veut entendre et de n’entreprendre aucune réforme majeure, tout en préservant les relations avec le NPD, il parait juste ne pas avoir de colonne vertébrale. Et même si la question du logement est sur toutes les lèvres en ce moment et que le gouvernement libéral, sous la pression des provinces, dont le Québec, tente de reprendre la main en annonçant une exemption de TPS sur les matériaux et la main-d’œuvre pour la construction de logements locatifs, on passe à côté du grand enjeu de notre époque: la crise climatique en cours et ses conséquences dans tous les aspects de notre existence.
Les conservateurs, quant à eux, mènent par 14-15 points dans les sondages. Ils sortent de leur congrès annuel plus motivés que jamais… À part qu’ils n’ont pas de programme autre que de critiquer la gouvernance libérale et mener des attaques ad hominem. Le discours de Poilièvre est d’une affligeante pauvreté. Sérieusement, avoir pour principe politique le « bon sens », peut-on imaginer plus populiste et justement dénué de sens ? Par contre, soutenir le blocage à Ottawa ; enlever à la banque du Canada tout pouvoir ; développer, encore plus que le parti libéral, la production pétrolière ; abolir Radio-Canada et CBC ; remettre en cause l’avortement, les avancées sur la question du genre, voilà à quoi mène le « bon sens » du chef conservateur !
Or je constate avec stupeur que les électeurs canadiens sont incapables de penser autrement que de manière binaire : on est tanné des libéraux, alors votons conservateur ; quand on sera tanné des conservateurs, on votera libéral. Enfin ! pas plus que la réalité est seulement noire ou blanche, le spectre politique ne se résume à ces deux partis qui ont gouverné le Canada depuis 150 ans. Quid du NPD et du Parti vert du Canada ? Pourquoi ne pas envisager les autres alternatives existantes ? Pourquoi ne pas leur donner leur chance dans la mesure où PCC et PLC ont montré leur incurie à opérer les changements nécessaires pour affronter la crise climatique et les injustices socio-économiques grandissantes ? Pour peu que l’on comprenne que donner la balance du pouvoir, c’est donner le pouvoir! Chaque vote compte ! Et cela ne prend que quelques députés de plus au parti vert ou au NPD pour l’avoir, ce pouvoir qui permet d’influer sur les politiques du parti qui gagnera les élections.
Alors, qu’est-ce qui cloche ? La fameuse « tradition britannique », que tant de Canadiens — et au fond monarchistes — défendent pour sa stabilité (que d’autres pourraient plutôt appeler de la rigidité), ce cadre de pensée nous empêche d’avancer sur la voie d’une pleine démocratie qui favorise vraiment le multipartisme et donc réponde mieux aux sensibilités des électeurs.
Qu’attendons-nous nous donc pour nous affranchir de ce cadre simpliste et binaire, penser la politique d’une manière plus ronde, plus nuancée et exprimer un véritable vote stratégique ?
Vous avez dit « écoblanchiment »?
La version française du néologisme récent « greenwashing » m’apparait plus qu’approprié quand je regarde en arrière les évènements de la semaine dernière, à l’occasion du Sommet sur l’ambition climatique, organisé et tenu par l’ONU à New York. Antidote le définit comme suit : « procédé de marketing (mise en marché) visant à donner d’une organisation une image de marque écoresponsable éloignée de la réalité ».
D’abord on voit mal dans les gesticulations internationales de nos premiers ministres la cohérence et le leadership dont ils se réclament, ils sont finalement comme nous : ils admettent l’existence du réchauffement climatique, mais en le minimisant pour mieux se défausser et en gonflant leurs actions, histoire de donner l’image qu’ils font vraiment quelque chose. D’ailleurs son commis, Steven Guilbeault, en est le parfait exemple, lui, l’ancien militant environnemental de Greenpeace, agit comme un enfant qui voudrait éviter d’admettre sa responsabilité dans une faute qu’il a commise en faisant diversion, en accusant son ami. Procédé certes naturel, mais pitoyable, déjà pour un enfant.
« C’est pas moi, c’est les conservateurs d’Harper ! ». Mais bien sûr que c’est à cause d’eux — et depuis eux — que tout va mal ! Piètre excuse des libéraux, qui ont perdu toute intégrité morale et sont déjà en campagne électorale ! C’est une insulte au sujet grave dont il est question et aussi aux citoyens, qui méritent mieux que ça. Encore faut-il avoir un bilan à défendre ; d’où leur empressement à « faire » des choses subitement, alors qu’ils sont au pouvoir depuis 2015 et, en fait, ont gouverné pendant les trois quarts du dernier siècle.
Vous voulez des exemples ? La plantation du 2 milliards d’arbres en dix ans, promise par Trudeau ; un programme lancé en 2020, et bien maintenant, on y inclut tous les arbres de tous les autres programmes fédéraux! Petit stratagème pour gonfler un bilan peu reluisant. Autre sujet : la fin des subventions « inefficaces » à l’industrie pétrolière et gazière ; sachez que selon elles, qui savent depuis le début des années 1970 que nous allons droit dans le mur climatique, la majorité de ces sommes sont « efficaces » ! Parfaitement, elles pourront extraire du pétrole plus proprement et développer une technologie pour enfouir les gaz empoisonnés que produisent sa transformation et sa combustion. Super solution durable... Le temps d’un ou deux mandats électoraux, qu’ils soient libéraux ou conservateurs! Allez, un petit dernier pour la route? Une nouvelle promesse libérale : le projet de règlement final sur le plafonnement des gaz à effet de serre (un peu comme l’ébauche du brouillon de projet, etc.) arrivera pour Noël, afin d’être mis en application… Oh, juste avant les élections de l’automne 2024, mais rien d’électoraliste là-dedans! D’ailleurs, nos chantres de la transition écologique, messieurs Wilkinson et Guilbeault, murmurent dans un souffle que l’environnement reste quand même de compétence provinciale, une belle manière de se dédouaner à nouveau, au cas où...
À l’instar du gouvernement caquiste qui profite de l’héritage hydroélectrique laissé par d’autres que lui et des ressources naturelles, qu’il contribue plus souvent qu’à son tour à gruger, les libéraux s’agitent pitoyablement pour faire croire à leur leadership climatique. Sont-ce nous qu’ils croient tromper (pour mieux se vendre), la communauté internationale (pour mieux paraitre) ou bien tentent-ils de se convaincre eux-mêmes, une manière de ne pas assumer leur responsabilité historique ?
Éditoriaux d'Août
Qui sont les Québécois ? Qui sont les Canadiens ?
Ah ! Enfin une bonne nouvelle… si l’on y réfléchit bien ! Vous avez entendu parler de la loi C-18 du gouvernement Trudeau ? Elle a été votée en juin et dans cinq mois, elle entre théoriquement en application. En gros, les « géants du web » tels Méta –, Facebook, Instagram, WhatsApp — et Google notamment, auront trois mois pour s’entendre avec les médias canadiens sur une somme qui leur sera versée en guise d’indemnité ; sinon, il y aura médiation, puis arbitrage par le CRTC dans les cinq mois qui suivent. Les libéraux encadrent donc plus qu’ils ne forcent le changement, mais au moins ils agissent.
En tout cas, ladite redevance est une contrepartie pour le partage d’articles et de reportages par les médias traditionnels. En effet, ce sont bien ces derniers (les journaux, les radios, les organes de presse) qui emploient les journalistes sur le terrain, afin de faire la cueillette d’information, puis de rédiger les textes ou monter des reportages audio et vidéo. Vous conviendrez également que les médias sociaux, qui offrent des fils d’actualité, ne font que réutiliser ce contenu sans jamais rien payer, alors qu’ils engrangent des profits grâce à la publicité qu’ils attirent sur leur plateforme et aux abonnements que leurs clients contractent ? Il parait donc logique et raisonnable qu’ils payent leur juste part dans ce monde où tout a un prix, même l’air et l’eau que nous respirons et où les revenus des médias d’information ont plongé drastiquement, menaçant aujourd’hui jusqu’à leur existence même. Pourquoi l’information en serait-elle exclue ?
Certain-e-s pourraient se demander si l’on n’en fait pas trop, ou au contraire, pas assez. C—18 est-elle comparable à ce qui se fait ailleurs ? Examinons les faits. En Australie, depuis 2021, les GAFAM rémunèrent à coup de centaines de millions de dollars par an les médias pour la reprise de leur contenu d’information. En France, un accord a été conclu en 2022 entre Google et les agences de presse. Et en Californie, plusieurs projets de loi ont été adoptés ou vont l’être, afin de mieux réguler les médias sociaux et en particulier pour rémunérer les rédactions, qui fournissent l’information originale, à hauteur de 70 % des revenus perçus par les entreprises du numérique qui les publient. Le titre en est éloquent : « Loi de préservation du journalisme ». Finalement, le dicton dit vrai : quand on se compare, on se console.
En vérité, c’est encore mieux… Méta croit punir les citoyens en coupant l’accès aux pages d’informations des grands quotidiens sur Facebook. Au contraire, merci Mark Zuckerberg ! Et oui, cette situation va nous pousser à consulter directement les organes de presse et non à nous informer indirectement, via des entités à but lucratif qui n’ont ni d’éthique professionnelle ni de compétences particulières pour juger de l’importance des nouvelles à offrir à leurs clients. Nous avons été et sommes encore, dans une certaine mesure, les otages des GAFAM. Vous remarquerez que les nouvelles partagées sont trop courtes, incomplètes pour vraiment comprendre l’actualité en plus d’être non exhaustive (tous les sujets ne sont pas couverts). À la limite, on pourrait presque qualifier cela de désinformation… Alors, rendons-nous plutôt directement à la source, qu’il s’agisse du site web, de la version papier ou du balado confectionnés par les professionnels de l’information que sont les journalistes.
Va-t-on les laisser faire?
La question n’est pas de moi, plusieurs se la posent depuis le début de l’été en France, et en particulier en Occitanie, d’où je tente justement de capter l’air du temps…
Plusieurs évènements se sont télescopés ces dernières semaines dans la patrie de Marguerite de Navarre, Olympe de Gouges, Marie Curie et Simone de Beauvoir, qui exacerbent une frustration récurrente face à certaines tendances sociétales que l’on retrouve dans tous les pays du nord global. D’ailleurs, il n’est pas anodin que les opinions se crispent pendant la saison estivale, où, même au Canada, les « corps exultent » et se dévêtissent plus qu’à la normale. Imaginez en Europe…
Voilà les faits. Mi-juillet, des archéologues (femmes) ont subi à répétition des insultes lors de fouilles en banlieue de Paris, dans la bonne ville de Saint-Denis. Contexte : nous sommes en extérieur, sur un chantier, il fait 35 degrés. Donc les archéologues sont en pantalon léger ou short et t-shirt ou « débardeur » (avec des bretelles spaghetti). Pour rester poli, elles ont été victimes de gestes et d’insultes à caractère sexiste et sexuel au point que la mairie a dû installer une palissade, engager des vigiles et placer des avertissements écrits.
Quelques jours plus tard, une jeune femme et son ami sont agressés sur la plus grande place de Toulouse, à trois heures du matin par quatre autres jeunes. Ces derniers l’ont insultée, puis mise à terre et rouée de coups, en la tailladant avec un tesson de bouteille au cou, au visage, dans le dos, aux épaules et sur les bras. 50 points de suture ! Motif ? Elle a croisé leur regard et était habillée avec une jupe trop courte et pour son décolleté ! Peu de temps avant, en juin, avait eu lieu le procès des agresseurs et du bourreau de Shaïna Hansye, 15 ans, poignardée à quinze reprises et brûlée vive en 2019, après qu’elle ait porté plainte pour « violence en réunion, menaces de mort et vol ».
Enfin, ressurgit chaque été le problème du burkini, la tenue de bain intégrale. Le phénomène, bien qu’en croissance, est très minoritaire, tant du côté des femmes qui s’en prévalent que des municipalités qui votent des règlements pour l’interdire, mais bon... Le Conseil d’État, plus haut tribunal au pays, a statué que « cette interdiction porte atteinte […] à la liberté d’aller et venir, à la liberté de conscience et à la liberté personnelle » et qu’il n’y a pas de trouble à l’ordre public, pas plus que si un curé en soutane décidait d’aller à la plage.
Dans tous ces cas, au-delà des droits et libertés, l’enjeu est surtout d’ordre politique et social, et la décision d’un tribunal ne règle pas forcément le problème : partout où prolifère le port des voiles (du plus simple hidjab à la burqa) ou du burkini, la démocratie et le statut des femmes reculent. La femme, par sa seule présence, est le symbole, la frontière qui autorise ou interdit l’accession à un monde plus libre et pluriel. Une chose aussi simple que son visage ou ses cheveux peuvent aisément devenir les otages d’un diktat politique (puisqu’il s’inscrit dans la sphère publique). Complaire à cette affirmation rétrograde qu’est le port du voile, c’est insulter le combat des femmes afghanes ou iraniennes. On peut vivre avec ça, encore faut-il l’admettre.
Dernière
Toujours dans la série de chroniques inspirées de ce qui se passe en France cet été, puisque j’y suis encore en vacances, je vous offre ce texte. Il devrait vous remonter un peu le moral, en ces temps mornes où l’horizon parait bouché, parce que loin des grandes idées — voire des idéaux — loin des discours creux sur les misères de notre époque avec leurs solutions à court terme et à trois sous – desquels je reparlerai sous peu — il y a les relations humaines qui nous remplissent de bonheur et nous réchauffent le cœur.
J’écris ces quelques mots au lendemain du mariage de ma sœur. Vous vous étonnez et doutez que votre éditorialiste préféré (et quinquagénaire) ait une sœur si jeune ? Vous avez raison, elle n'est pas dans la vingtaine, mais elle a bel et bien pris la décision de se marier (civilement) avec son conjoint, après plus de vingt ans de vie commune. Cela change-t-il quelque chose au fond ?
Un peu quand même, puisque l’expérience de vie qui conduit à ce genre de choix n’est pas la même à 45 ans qu’à 25 ans ; le statut des amis invités, les liens qui les unissent aux mariés sont différents. Imaginez que pour faire simple, ils n’avaient invité que les parents, les frères et les parrains/marraines… les deux tiers de l’assistance étaient donc constitués uniquement des amis, et quels amis ! J’ai failli dire les vrais amis, car rendu à 45-50 ans, le temps a opéré une certaine sélection naturelle parmi nos connaissances. En général, ceux et celles qui restent appartiennent à notre paysage affectif, ils nous connaissent très bien, ils font en quelque sorte partie de la famille.
Et moi là-dedans ? Eh bien je les ai rencontrés, j’ai eu le temps de faire la connaissance de chacun-e d’entre eux tout au long des 24 heures où je les ai côtoyés. Ah ! Oui j’avais oublié de dire qu’en France, souvent encore, si le mariage commence dès la rencontre des invités avant la cérémonie, comme ailleurs, disons vers 11 h 30, il se prolonge par un apéritif, puis un long repas, avec des animations et des jeux, avant un souper et une soirée qui se termine à 3 h, 4 h ou 5 h du matin (voire pas du tout) ; et le lendemain matin, on se retrouve pour un déjeuner et un dîner ensemble…
Convivialité, partage, longues conversations à bâton rompu, le plus souvent sous les effets de l’alcool (le « petit jaune », le fameux Ricard, auquel s’ajoute la bière, les vins — un différent pour chaque plat — et les bulles !) ! Les langues alors se délient, on apprend des choses sur les uns et les autres, en particulier sur les mariés. De confidence en confidence, à l’évocation des bons et des mauvais souvenirs, on apprécie davantage le temps passé, l’histoire commune, l’amitié qui nous unit…
Et c’est précieux. En langage moderne, c’est du « temps de qualité ». En termes plus prosaïques, c’est du pur bonheur. Nul besoin de drogues de synthèse, de dépenses à coup de milliers de dollars ou de grands tralalas, la formule magique est plus beaucoup plus simple : partagez du temps avec les gens que vous aimez et qui vous aiment. Parce que comme Big Flo et Oli le chantent, il faut se dire que « ça peut pas être la dernière ».
Rentrée scolaire à haut potentiel intellectuel
Elle approche ; pour certains, elle a déjà eu lieu. Et je suis chaque année davantage étonné par le nombre croissant de petits génies autour de moi. Je parle en effet de ces enfants qui se présentent dans nos écoles, dans mes classes. Évidemment, nous avons souvent raison d’être fiers d’eux et l’on a même le droit (le devoir ?) de les encourager, afin de renforcer leur confiance en eux-mêmes et qu’ils deviennent des adultes épanouis. Toutefois, combien entends-je de parents les qualifier de surdoué-e-s ou de précoces ? Au chapitre du rendement, de la productivité et de la compétition individuelle, principaux jalons de la réussite de nos jours, on rêve tous que notre progéniture soit meilleure que la concurrence, n’est-ce pas ?
D’abord, il faut savoir que seuls 2,5 % de la population disposent de plus de 130 de Quotient intellectuel ; tout comme 2,5 % seulement ont moins de 70. Ces chiffres sont constants dans le temps, quels que soient les systèmes d’éducation, les méthodes, etc., dans nos sociétés du Nord global. Ne rêvons donc pas trop haut en couleur tout de suite !
Par ailleurs, la quantité de jeunes avec des troubles de comportement ou d’apprentissage est en hausse constante, au point que ceux qui ne n’ont rien — et donc ne reçoivent pas d’aide — sont quasiment minoritaires ! Signe des temps, selon la fédération des comités de parents du Québec, les problèmes de nos enfants si brillants ne viennent pas du manque de travail (même s’il ou s’elle s’interrompt pour consulter ses messages ou regarder une publication sur Insta ou TikTok), ce n’est pas non plus la faute du prof (même si c’est le troisième remplaçant de l’année et il vient juste de terminer son Cégep), non, non, c’est à cause de son trouble ! C’est vrai qu’il ou elle n’a jamais terminé un livre autrement qu’avec des images ou parce qu’il était « pour son âge » (comprendre : simple à l’excès) et qu’il a joué avec son premier écran avant de savoir marcher…
Dyspraxie, dysphasie, dyslexie, dysorthographie, dyscalculie, etc., auxquels s’ajoutent les troubles du comportement (de la simple hyperactivité souvent associée à un déficit d’attention), les syndromes divers, qui sont des maladies, tels que Tourette, Asperger et tous les cas du spectre de l’autisme. Ah ! oui, j’oubliais : tout cela peut se combiner.
On a donc tous un trouble, un peu comme dans la pièce de Jules Romain, Knock, où chaque personne est un « malade qui s’ignore ». Et en plus, cela dès la naissance ! Donc, parents, éducateurs, vous êtes dédouanés : ce n’est pas vous ou votre cadre éducatif ; c’est un problème immanent, contre lequel on ne peut rien faire, sinon aménager les conditions d’apprentissage dudit jeune : temps supplémentaire, voire extension des délais de remise, ordinateur, applications en tout genre, correcteur, tuteur… Ça devrait marcher !
Le problème est qu’il semblerait que pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, les générations montantes, nées après 1975, sont moins intelligentes que les précédentes, selon une étude norvégienne du Frisch Centre d’Oslo. Ma conclusion ? Je vois là beaucoup trop de contradictions pour que mes élèves actuels soient vraiment les petits génies que l’on me présente à chaque rentrée… De toute façon, qu’est-ce que l’intelligence ? Comment est-elle mesurée ? Est-elle le corollaire d’une vie réussie ? Qu’en faisons-nous? Sommes-nous plus heureux pour autant ?
Éditoriaux de Juillet
Qui sont les Québécois ? Qui sont les Canadiens ?
Quelque part entre la « fête nationale de la Saint-Jean-Baptiste » et la « fête nationale du Canada », j’écris ces lignes. Vous aurez noté la redondance de ces expressions, qui illustre déjà un aspect du problème... Et puis, parlons plutôt de « nous »!
Une première réponse consisterait à analyser les composantes de ces populations d’une manière statistique. Au Canada, aujourd’hui, environ les trois quarts sont « blancs » (caucasiens), 16 % asiatiques, 5 % autochtones et 4 % noirs ; dont 75 % qui ont l’anglais comme langue d’usage et 21 % le français. Si l’on incluait l’origine par pays ou par continents et la langue maternelle, une plus grande diversité encore apparaitrait ; près de 13 % de la population parle une autre langue que l’anglais ou le français à la maison… Ajoutons que ces chiffres ne rendent compte ni de la répartition géographique (est-ouest ; par province) ni de l’histoire de ces communautés. Pour ce qui est du Québec, le français y est sans surprise majoritaire à 80 %, l’anglais à 6 %, talonné par l’arabe (4 %), avec des origines surtout « canadienne » ou européenne ; Asiatiques et Africains constituant moins de 10 % de la population. Sont également absentes les grandes tendances migratoires et historiques, surtout récentes, et la référence à l’origine « canadienne » parait incongrue : sont-ce seulement les citoyens nés au Canada ? Or c’est bel et bien l’Histoire qui a forgé la situation sociodémographique et le statut des langues actuels : nous sommes tous des voyageurs ou leurs descendants, qui nous sommes arrêtés ici à un moment donné ; certains, comme les autochtones, il y a bien plus longtemps. À cet égard, nous ne pouvons prétendre à être davantage que les « gardiens » de cette terre et non les propriétaires.
Cependant, connaitre tout cela ne nous empêche pas de nous questionner sur notre identité. C’est même nécessaire pour avancer, individuellement autant que collectivement. Le problème au Canada est que notre histoire en tant que pays « indépendant » date à peine d’un siècle et que l’immigration (notre ADN en tant que société) a superposé les couches de population aux origines, cultures, religions, usages et valeurs différentes. Le Québec a suivi la même trajectoire, mais à retardement et parce que retardé par l’omnipotence de la culture catholique francophone, elle-même longtemps dominée par une élite socio-économique protestante anglophone. Et il faut l’admettre, le racisme, bien que systémique, n’est pas non plus absent entre les communautés minoritaires, y compris dans ce ROC, souvent donneurs de leçons d’ouverture d’esprit au Québec, mais qui ne pratique pas nécessairement l’intégration par les mariages mixtes ou l’interculturalisme.
Comment faire dès lors ? C’est là que la politique, incarnée théoriquement par nos représentants élus, intervient, en bâtissant un cadre, en donnant une direction, un sens à cette identité qui évolue constamment. Cela peut passer par la création d’un « destin national », à travers les exploits militaires lors des guerres qui ont émaillé les cent dernières années, à travers les grands mouvements sociaux, telle la révolution tranquille, ou encore à travers une idéologie (le multiculturalisme et le bilinguisme canadiens). Dans tous les cas, pour moi il est clair que l’on ne peut résumer notre identité collective à la somme de nos identités individuelles, mais si « fête nationale » il doit y avoir, elle se doit d’inclure le plus grand nombre.
Qui sont les Québécois ? Qui sont les Canadiens ?
Comme elle portait bien son nom ! Avant même de savoir que Bombardier était le patronyme de l’inventeur de la motoneige et un constructeur d’avions, j’avais eu vent de ce nom peu commun en France. D’abord, parce que j’avais assisté en direct au coup d’éclat de Denise Bombardier dans les années 1980, face à l’écrivain pédophile Gabriel Matzneff, et puis au fil des années, lors des différentes et nombreuses visites de Madame B. effectuait dans l’hexagone.
Si elle fut l’exemple même de toute une génération de femmes québécoises nouveau genre, qui bénéficièrent de la Révolution tranquille, en accédant à une éducation supérieure non religieuse (1964 : baccalauréat en arts ; 1971 : maitrise en science politique à l’Université de Montréal), c’est en France qu’elle vécut et étudia par la suite avant d’obtenir son doctorat en sociologie. De là probablement, sa vaste culture générale et son intérêt pour la chose sociopolitique, avec une bonne dose d’indépendantisme et d’engagement dans la défense du français.
Cependant, à mes yeux, Denise Bombardier était avant tout une écrivaine. J’ignorais alors qu’elle avait déjà à l’époque une carrière dans les médias, et en particulier à Radio-Canada, comme recherchiste, ensuite comme animatrice ; parcours qui ne s’arrêtera qu’en 2003. Interviewant les plus brillants esprits (francophones) de son époque, elle fut quand même la première femme à la tête d’une émission d’affaires publiques ! Elle fit même du cinéma !
Entretemps, sa carrière d’autrice avait pris son envol : articles, chroniques, blogue, paroles de chanson, essais et romans… plus de vingt ouvrages, étalés sur 35 ans, avec quelques titres marquants, surtout autobiographiques, et qui constituent également des repères dans sa bibliographie : Une enfance à l’eau bénite, L’Anglais et ses mémoires, dernier opus paru en 2018, Une vie sans peur et sans regret.
Au-delà, et cela tous les témoignages des personnes dont le chemin a croisé celui de madame B. ou de celles qui l’ont vue ou lue le confirment, outre sa culture, c’était sa personnalité qui marquait les esprits. Franche, voire grande gueule, passionnée, courageuse, généreuse, ambitieuse, elle pouvait paraître revêche et trop directe en public à plusieurs. Toutefois, en ce qui me concerne, elle incarnait la femme québécoise intellectuelle, libérée par son éducation sur bien des sujets, la Québécoise moderne de l’après-Révolution tranquille. Teintée encore d’un certain conservatisme, il est vrai, mais un exemple à suivre à certains égards. Et dans la sphère privé, elle semblait plus ouverte et débridée !
Son enfance sous la coupe d’un père au verbe assassin et dominateur explique certainement la propension de madame B. aux réparties cinglantes lors de diverses disputes et polémiques, littéraires ou pas, auxquelles elle aura participé tout au long de sa vie. Toutefois, on ne saurait la réduire à quelques bonnes phrases. Elle avait des opinions tranchées sur bon nombre de thèmes clivants, identitaires, qui agitent encore aujourd’hui la société québécoises (le statut du français, la place des femmes, la laïcité pour n’en nommer que quelques-uns). De fait, elle provoquait donc des réactions entières : on l’aimait ou on al détestait.
Rien à dire, Denise Bombardier portait bien son nom, et personne ne pourra jamais le lui reprocher. J’ai personnellement beaucoup apprécié son Dictionnaire amoureux de la langue française. Déformation professionnelle, j’imagine. En tout cas, une grande Québécoise nous a été brutalement arrachée.
14-15 mai 1948
Je voulais en parler en mai, mais actualités québécoise et canadienne obligent, je renonçai... Jusqu’à maintenant, où, je profite de la pause politique estivale. Il y a deux mois a été célébré un anniversaire peu commun. Encore aujourd’hui, il est une pomme de discorde, qui divise souvent dans les discussions entre amis, collègues ou en famille. C’est le fameux débat autour de la « question israélo-palestinienne ». Un euphémisme pour l’incroyable complexité de ce conflit séculaire.
Le vendredi 14 mai 1948, David ben Gourion, président du Conseil national juif, proclamait unilatéralement la naissance d’Israël, officiellement créé le lendemain. À l’époque, l’évènement est légal — l’ONU a en effet prévu de partager l’ancienne province ottomane de Palestine entre un nouvel état pour les juifs et un état palestinien qui regrouperait les populations arabes locales — mais sans consultation préalable des dites populations. Cela étant dit, la Grande-Bretagne avait déjà divisé avant la guerre ce territoire en une Palestine côtière, qui comprenait déjà 100 000 juifs en 1914, 335 000 en 1936 - territoire non reconnu mais toléré disposant de structures médicales, scolaires, militaires - une Palestine « continentale » et la Transjordanie qui deviendra la Jordanie. De plus, en 1947, un autre état avait été fondé artificiellement, cette fois-ci pour les musulmans : le Pakistan.
Par ailleurs, Il est bon de se souvenir d’une ou deux choses. D’abord du contexte : le substrat antisémite de la société occidentale de l’époque. Le plus parfait exemple en est la Conférence d’Évian (France) qui se tint du 8 au 14 juillet 1938. Instiguée par le président Roosevelt (qui ne voulait pas avoir à choisir lui-même) afin de venir en aide aux nombreux juifs dont les nazis ne voulaient plus, elle déboucha sur… rien! Malgré la crise économique, malgré les lois antisémites de Nuremberg et les persécutions de plus en plus brutales dont les juifs étaient les victimes, malgré la création d’un Haut-Commissariat aux réfugiés d’Allemagne, les 32 pays présents réaffirmèrent au contraire leur refus d’accueillir quelques 650 000 « réfugiés » allemands et autrichiens. Quant aux autres nations, chacune trouva de bonnes raisons de garder la porte fermée : pas un pays d’immigration (Royaume-Uni), pas de nouveaux conflits « raciaux » (Australie), a déjà fait sa part (Suisse)… La nuit de cristal de novembre 1938 n’y changera rien : le paquebot Saint-Louis et ses 900 passagers juifs partis de Hambourg le 15 mai 1939 seront refoulés par tous les pays (États-Unis, Canada, Argentine, Uruguay, etc.) et retourneront finalement en Allemagne !
Et puis l’événement déterminant : l’extermination méthodique organisée par les nazis qui aboutit à la disparition de 6 millions de juifs. La Shoah était documentée et reconnue depuis 1941 par le gouvernement, la presse et l’opinion publique britanniques, grâce à la machine Enigma qui avait permis de briser les codes secrets de la Wehrmacht. Ce qui n’était « que » crime de guerre deviendra après 1945 génocide et crime contre l’humanité.
Dès lors, on comprend la mauvaise conscience des gouvernements et des populations vainqueurs de la guerre, qui les poussa à autoriser la création d’un état-sanctuaire au Proche-Orient pour les juifs, même si cet acte assez unique dans l’histoire des relations internationales allait engendrer des conséquences géostratégiques majeures au proche et au Moyen-Orient, mais surtout l’un des conflits armés les plus longs de l’histoire, qui dure encore. Un beau cadeau empoisonné.
L’art de flâner
Dans le sens de paresser : téter, niaiser, taponner, chienner ou bisouner ; mais aussi rêvasser, traîner, fainéanter, perdre son temps, baguenauder ; plus familier : flemmarder, coincer la bulle, gober des mouches, peigner la girafe, se pogner le beigne. Dans le sens de trainer : gosser, placoter, bretter, musarder, s’attarder, tarder, prendre tout son temps, lanterner, lambiner.
Est-il étonnant que nous ayons tant de mots pour exprimer le fait de ne rien faire (ou pas grand-chose et sans se presser) ? Cela souligne plutôt son caractère essentiel à l’humain, ô combien ironique dans une société, où chacun de nous est sommé d’être actif, dynamique, productif. L’été ne serait-il pas la meilleure saison pour prendre le temps d’en discourir, entre une longue fin de semaine et les vacances de la construction ?
Flâner, vous le savez, suppose un état d’esprit un peu particulier. 1) par rapport à un but supposé — nous faisons toujours quelque chose « en vue de », et bien là, non, au risque de la procrastination, ou pire… 2) par rapport au temps, à la durée que l’on donne à notre action — dans le cas qui nous occupe, c’est comme si laissions le temps aller, que cela soit volontaire, comme on va le voir plus loin, ou involontaire, lorsque notre attention décroche et laisse nos pensées s’égarer. Dans les deux cas, le résultat est le même : une escapade mentale.
Et bien, la science l’a analysée. Les neuropsychologues s’y intéressent d’autant plus que les technologies qui nous entourent réduisent ces instants de flânerie à leur plus simple expression. À la moindre pause, dans les transports, dans une salle d’attente, dans une file à l’épicerie ou à la maison, que faites-vous ? Vous prenez votre téléphone, vous vérifiez vos messages, jetez un œil aux dernières nouvelles ou regardez quelques vidéos. Notre cerveau est alors sollicité, sous tension, voire en surchauffe. Nous sommes pré-occupés. Pourquoi ne pas laisser notre esprit digérer les évènements de la journée pour mieux entrevoir l’avenir ou encore ruminer quelques vieilles idées, élaborer quelque plan d’action pour la fin de semaine ?
Or, il y a des liens neuronaux entre la focalisation, l’attention, la mémoire et les interactions sociales. En effet, un esprit errant travaille en fait : il a été prouvé que certaines zones du cerveau sont au repos, quand l’individu effectue spécifiquement et avec concentration une tâche précise, mais sont très actives en cas de vagabondage. On nomme ces zones cérébrales le « Mode par défaut ».
Pour certains d’ailleurs, la flânerie se rapprocherait de la rêverie. Pas faux, mais attention ! Si l’on se réfère au célèbre Jean-Jacques Rousseau et à ses Rêveries du promeneur solitaire, c’est d’abord pour « gagner la bonne santé » qu’il fait ses promenades, puis également pour trouver « du plaisir à vivre », et enfin parce que son « cœur errant d’objet en objet s’unit », donc l’être se sent infiniment présent dans un espace illimité. Cela ressemble étrangement au bouddhisme, dans lequel il faut d’abord « lâcher prise » avant d’atteindre un état supérieur de conscience.
En tout cas, ne cherchez à quantifier, à donner une valeur marchande à la flânerie, c’est pour cela qu’elle est inestimable ! Pensez plutôt à tout ce qui peut en sortir : éclairs de lucidité, prise de conscience ou solution géniale à un problème ! Vous ne nommerez plus jamais ces instants-là de temps morts.
Éditoriaux de Juin
Des boucles de rétroaction Ou « Ça sent l’sapin! »
Littéralement. La semaine dernière, nous avons eu un avant-goût concret de ce que l’expression « événement climatique extrême » signifie, suite à la sécheresse sévère des derniers mois. On se dit maintenant : « Ça va, j’ai compris, ça pique un peu les yeux et la gorge, on n’y voit pas très bien avec le smog, mais au moins personne n’est mort et les habitations ne sont pas touchées. Si c’est que ça… ». Autrement dit « Business as usual ». Ainsi très peu de gens ont porté un masque au plus fort des épisodes de smog, alors que la pollution était huit fois supérieure à celle de Pékin !
On pense à ces premiers effets des feux de forêt, mais les experts, eux, y appliquent une notion scientifique plus large, celle de « boucle de rétroaction ». En gros, cela signifie que la réponse d’un système (notre environnement naturel) à un stimulus externe (un incendie) impacte le stimulus lui-même. Elle est dite positive quand elle renforce la cause ; dans des cas extrêmes existent des points de basculement, à partir desquels les conséquences sont irréversibles.
Or le système Terre inclut plusieurs phénomènes physico-biologico-chimiques sensibles à la température, mais qui ont également un impact sur cette dernière : la concentration en vapeur d’eau de l’atmosphère ; le réchauffement des océans et leur absorption du CO2 ; la diminution de l’effet albédo de la surface de la Terre ; le dégel du pergélisol… et tiens donc, les feux de forêt!
À propos de ces derniers, l’augmentation de la température accroit l’assèchement des forêts, ce qui les rend plus vulnérables aux incendies… Et donc elles brûlent plus fréquemment et plus rapidement. Autres effets collatéraux possible : les nuages de haute altitude pourraient migrer plus haut afin de garder leur température initiale, ce qui réduirait leur capacité à refroidir la planète ; et ceux de basse altitude se disperseront si les gaz à effet de serre triplent ces prochaines années ; enfin, de nouveaux nuages sont créés, les fameux Pyrocumulonimbus, sorte de nuages verticaux causés par des feux énormes, qui montent jusque dans la stratosphère, qui s’accompagnent de phénomènes tels des vents et des orages ultrapuissants, avec des éclairs… qui à leur tour vont allumer de nouveaux feux au sol.
Cependant, il y a plus. Par exemple, le cycle de l’eau est perturbé : au-dessus des zones en feux, les particules chargées d’humidité n’entrent plus en collision parce que trop fines, donc réduisent les précipitations à venir ; en plus, elles absorbent la lumière du soleil, ce qui réchauffe l’air, assèche les sols un peu plus, y compris les zones humides. Ensuite, si et quand il pleut, il n’y a plus de végétation au sol pour retenir l’eau, on assiste alors à des inondations et à des glissements de terrain…
Enfin, pensez : une fois ces feux éteints, que restera-t-il ? Comment rebâtir une quelconque économie, une existence sur une terre brûlée ? Combien de ces territoires seront encore vraiment habitables ? Et pour clouer notre cercueil, ce mois-ci va s’y ajouter le phénomène cyclique El Niño, qui arrivera à pleine maturité en décembre prochain. On va donc atteindre de nouveaux pics de chaleur dans l’année à venir… mais année après année, même si de nouveaux records sont battus, qu’est-ce qui change dans les mesures politiques des partis au pouvoir ?
Tu quoque pater meus
Coïncidence, je suis tombé par hasard samedi soir dernier sur le film québécois adapté du roman graphique Paul à Québec et la veille, je venais de terminer la série Star Trek Picard. Le point commun entre ces deux productions? Elles tournent autour de la figure du père et du legs. Et dimanche, c’était la fête des Pères. Un relent de la société patriarcale, diraient certains. Certes, mais bon, cela existe encore. Et au-delà de la figure du père, à laquelle je m’identifie évidemment, entre autres choses — je pourrais également discourir sur l’enseignant, l’éducateur ou le coach — mais c’est la question de l’héritage qui me taraude. Qui nous taraude tous en vérité. À un moment ou à un autre de notre vie, c’est la question que l’on se pose, non? Que vais-je laisser après ma mort ?
À nos enfants, à nos amis, dans notre travail, plus largement, à notre communauté et à la société. La mort nous rend égaux. Riches, célèbres, puissants ou pauvres, anonymes et petits, nous disparaissons tous physiquement, notre corps va nourrir les vers de la même façon et se fond par-là même avec le reste de l’univers. En en prenant conscience, une peur existentielle nous saisit : notre vie n’aura-t-elle donc servi à rien ? Nous ne pouvons croire qu’il ne restera rien de nous… Excès de vanité tout humaine ? Orgueil mal placé ? Certainement. Souci légitime de donner un sens à notre présence éphémère sur terre ? Aussi.
Ceci explique que beaucoup économisent, achètent une maison ou un chalet ; ils laisseront à leurs proches du concret. En fait, à bien y réfléchir, faire des enfants — cet instinct de survie de l’espèce — est également une manière de survivre à notre mort. Je n’ai rien inventé : Platon la cite déjà dans l’un de ses dialogues, Le Banquet. Fait intéressant, il en répertorie d’autres. À commencer par la poésie, au sens grec de création. Créer, c’est en effet laisser une trace perceptible, sensible, qu’il s’agisse de musique, d’arts visuels, de littérature ou d’arts de la scène. C’est ainsi que l’on se rappelle encore Marguerite de Navarre, Mozart, Camille Claudel ou Corbusier. Nous souviendrons-nous encore d’eux longtemps ? Difficile à dire ; nous, humains, aimerions bien croire que oui.
Cependant, il y a mieux encore, en tout cas pour Platon : « accoucher des âmes », autrement dit accoucher des esprits, à la manière des philosophes. Aider un humain à développer son esprit critique, son plein potentiel intellectuel et le guider à devenir clairvoyant, lucide, altruiste et en quête de vérité, bref, pleinement humain. Je dirais que l’une des formes de cette maïeutique consiste dans le travail des enseignants, des éducateurs, des coachs. Ils n’apportent rien de concret à leurs élèves, étudiants ou joueurs, mais ils les aident à s’élever, à développer leurs qualités humaines, pas seulement physiquement, mais moralement, intellectuellement, psychologiquement. La trace qu’on laisse sur l’esprit d’un être humain est parfois ténue, mais qui sait ? Sous quelle forme s’épanouira-t-elle ? Une chose est certaine : ne restera au fond de nous que des souvenirs, le plus souvent émotionnels, dans le cœur et la mémoire des gens qui nous survivent, jusqu’à ce que la mémoire qu’ils ont de nous et eux-mêmes disparaissent. Père, mère, parent ou tuteur, peu importe notre nom, c’est la réalité irréfragable et éternelle de notre condition humaine.
Un toit, c’est un droit!
Je n’ai aucun mérite, cette expression est le slogan de l’ONG Droit au logement. Or, elle exprime une situation absente des préoccupations de nos décideurs, en particulier ceux de la CAQ, pour qui le marché et la libre entreprise sont l’alpha et l’oméga de toute politique publique. L’accès aux soins de santé, à l’éducation, sont bien des droits protégés et encadrés par le gouvernement, non ? Pourquoi disposer d'un toit au-dessus de la tête n'en serait pas? Nul besoin de réexpliquer l’analyse de Maslow…
D'abord ce qui m’étonne, c’est que le gouvernement fédéral n’ait pas eu de politique publique plus volontariste de constructions, d’attribution et de gestion de logements abordables depuis tant de décennies. Il faut savoir que, hormis entre 1945 et 1975, le gouvernement s’est désengagé progressivement du financement du logement social et communautaire, au point qu’il y est quasiment absent à l’heure actuelle. Un financement qui a alimenté pendant ces 30 premières années un « partenariat », secteur public, société civile, tiers secteur et le secteur privé. Il a ainsi permis l’apparition de la Société canadienne d’Hypothèque et de Logement (SCHL) et au Québec ; celle des habitations à Loyer modique (HLM) et des Offices Municipaux d’Habitation qui les gèrent (OMH) ; celle des coopératives d’habitation et de la Société d’Habitation du Québec. De belles avancées sociales.
Malheureusement, depuis les années 1990, le transfert des responsabilités s’est effectué sur les provinces sans les transferts de fonds nécessaires ; plusieurs conventions arrivant à échéance, la crise est d’autant plus aiguë. Dans le jargon néo-libéral, on appelle cela la dérèglementation ». L’effet est relativement simple. Par exemple, le loyer ne pouvait excéder 25 % du revenu familial depuis les années 1970 ; désormais, les propriétaires ont retrouvé la liberté d’augmenter (peu ou prou) les loyers du montant qu’ils désirent, d’où les 585 000 logements qui ont vu leur loyer augmenter de de 200 à 300 $ par mois entre 2015 et 2020 !
Et s’il faut admettre que le gouvernement québécois a fait de gros efforts, qui se montent à des milliards de dollars au fil des années, en mettant en place plusieurs programmes de financement depuis, les intervenants du milieu doivent faire preuve de beaucoup d’imagination pour trouver des solutions alternatives, avec le succès très mitigé que l’on connait. Et pour une bonne raison : on a laissé le champ libre aux constructeurs privés, qui ne sont ni des philanthropes ni des citoyens très responsables malgré tous leurs beaux slogans publicitaires. Après tout, leur but est de faire le plus de bénéfice possible, en rentabilisant le moindre mètre carré. Alors le logement abordable… Qui peut les blâmer ?
C’est aux pouvoirs publics de mettre l’épaule à la roue, rapidement et massivement ! Pensez, il manque plus de 110 000 logements abordables au Québec ; 40 000 ménagea attendent un HLM. La crise sanitaire, la crise énergétique et l’inflation généralisée sur tous les produits et matériaux ces dernières années ont accru les problèmes : il y a de l’argent, mais pas au bon endroit et surtout sans régulation aucune. Les marchés de la construction et locatif dans notre région en sont de bons exemples : si vous pouvez payer 2000 $ par mois, alors vous trouverez sans difficulté un 2 et ½… Mais qui peut se permettre de débourser une telle somme, à part des fonctionnaires (fédéraux) célibataires ?
Éditoriaux de Mai
Nouvelle offensive contre le français…
… sous prétexte de défendre le bilinguisme. Alors que les attaques contre la loi 93 continuent, on assiste à une nouvelle levée de boucliers du Canada anglophone contre la loi C13, dite « sur les langues officielles », qui permettra peut-être aux libéraux de récupérer le Québec aux prochaines élections fédérales. Non pas qu’ils croient dans un bilinguisme officiel somme toute assez récent, mais ils le pratiquent parfois tièdement. Cependant, la reconnaissance que la situation des deux langues est asymétrique constitue une étape historique. Le gouvernement Trudeau aurait même atteint ses cibles d’immigration francophone pour la première fois ! Cibles modestes, mais bon…
Maintenant, au tour des juges à la retraite de voir leur argumentaire fallacieux répercuté dans les journaux du ROC. Et les propos avancés sont assez incroyables. Par exemple, la rénovation de la loi sur les langues officielles conduirait à une fracture entre les deux groupes linguistiques, rendant les positions inconciliables. Ah ! Oui ? Mais 1) ce clivage existe déjà 2) de quelle attitude parle-t-on ? En effet, si l’on observe simplement le milieu de travail qui représente la quintessence de cette loi (le gouvernement fédéral et ses ministères), alors les faits sont là : les réunions se font en anglais ; les francophones se heurtent souvent à un plafond de verre pour accéder aux postes de direction les plus élevés ; le niveau C ou l’exemption restent plus faciles à atteindre en français qu’en anglais.
De plus, contrairement à ce que prétend le vénérable juriste, nous sommes loin de la situation de la Belgique et de sa « dualité linguistique » ; même si certains points communs existent, l’anglais reste la langue très largement majoritaire en Amérique du Nord, la langue d’une grosse partie des affaires et celle d’Hollywood. Comment peut-on encore arguer que la loi actuelle, qui date de 1988, rompt l’« équilibre » entre la situation de l’anglais et celle du français ?
Ultime argument : cela défavoriserait les Canadiens unilingues anglophones. Pardon, je croyais que tout le monde apprenait le français à l’école, au Canada. J’ai dû me tromper… En tout cas, combien de fois dit-on aux francophones (ou allophones) que l’on ne peut travailler sans l’anglais ? D’ailleurs au Québec, les élèves des écoles francophones continuent l’anglais jusqu’en secondaire 5. S’il existe bel et bien deux langues officielles, alors on est en droit d’attendre de la part de tous les Canadiens un certain bilinguisme : francophones autant qu’anglophones doivent faire des efforts… Et pas seulement au fédéral et dans les entreprises de « compétence fédérale », question de principe, non ?
Enfin, depuis 1988, reconnaissons que la situation du français s’est dégradée d’un océan à l’autre, donc cette loi nécessitait évidemment d’être revisitée afin de renforcer le français, aussi peu que ce soit, partout où c’est possible. Le statu quo n’est pas une option, parce qu’il fait immanquablement pencher la balance du côté de l’insécurité linguistique, qui conduit à l’assimilation.
Le véritable bilinguisme n’est pas de se soumettre à la loi du plus grand nombre, mais bel et bien d’être compris dans la langue de son choix et de pouvoir comprendre l’autre langue officielle : parlez-moi en anglais si vous voulez, je vous répondrai en français ; si nous nous comprenons, personnellement, je n’y verrai aucun inconvénient. Au Canada, je m’attends à pouvoir la pratiquer en tout temps, en tout lieu.
Les pieds dans l’eau
Je vous l’avoue, j’ai hésité. Parler de notre nouveau roi était tellement tentant ! Un moment historique comme celui-là, pouvais-je ne pas en parler ? C’est vrai, on ne peut que tomber en pâmoison devant le charme désuet de ces individus intouchables, qui se reproduisent peu ou prou entre eux, héritent d’un titre sans avoir besoin d’étudier ou de travailler, qui se vêtissent comme il y a deux cents ans. Après tout, la famille royale anglaise, qui peut encore défaire nos gouvernements à 7000 km de distance, et la monarchie en général n’incarnent-elles pas tout ce qu’il y a de plus rétrograde et colonialiste ?
Plus sérieusement, si l’on évite de se faire tirer du lit à deux heures du matin pour évacuer notre maison à cause de grands incendies, pourra-t-on garder la tête — ou la maison — hors de l’eau, quand on observe la récurrence et l’amplitude des inondations que l’on vit ? Nous devrons de plus en plus nous poser collectivement cette question dans les années à venir. Et y trouver une réponse.
On me rétorquera qu’il y a en fait plusieurs réponses. Par exemple, par la prévention, en cartographiant les zones inondables, en s’assurant que les municipalités et le gouvernement provincial préparent des plans d’intervention, en règlementant plus strictement le zonage résidentiel, en ajustant la fiscalité pour pouvoir reloger les résidents des zones inondables, en redessinant les trottoirs en y ajoutant des saillies ou en protégeant mieux les milieux humides pour détourner les eaux des égouts qui débordent… Quelques-unes de ces actions sont aujourd’hui en cours après les inondations de 2017 et de 2019. Toutefois, trop souvent, les différents paliers de gouvernement sont en mode « gestion de crise » !
D’autres pourraient avancer que la problématique est plus fondamentale, ontologique : pourquoi vouloir à tout prix contrôler Mère Nature, au lieu d’accepter ses humeurs et ses excès? Après tout, quel orgueil de penser que l’on puisse lui être supérieurs ! Aujourd’hui, les chercheurs et les scientifiques ont introduit le concept d’« espace de liberté » des cours d’eau, qui s’accompagne d’un principe de travail avec elle. En clair, plutôt que de construire des digues et de surélever les maisons, on réaménage les rives et on relocalise les habitations. Certaines MRC (Coaticook, Saint-André d’Argenteuil) mettent cela en pratique ; leur nombre est grandissant, mais on en est encore à des projets de recherche à l’échelle provinciale.
Enfin, parler des cours d’eau au Québec, c’est immanquablement aborder la question culturelle. Le peuplement s’y fait par les rivières, le long des rivières, bravant depuis toujours les éléments. Est-il dans ces conditions raisonnable de penser que l’on pourra déménager tant de Québécois riverains ? Comment les convaincre, nous convaincre d’abandonner tout ce patrimoine bâti ? Quid des maisons centenaires, des maisons de notre enfance ? C’est plus fort que nous, c’est consubstantiel de notre identité ! Malheureusement, tout comme les inondations le sont des rivières, résultat naturel des crus et de la fonte printanière chaque année.
Conséquence : pas plus tard que la semaine passée, les municipalités ont réclamé plus de 2 milliards pour faire face à la crise climatique. Ce n’est que le début… Le gouvernement caquiste leur a répondu qu’il n’avait pas la marge de manœuvre, après avoir consenti une baisse d’impôt équivalente. Il se dit peut-être que les gens pourront toujours s’acheter une pompe ou un bateau gonflable avec !
On est rendu là?
D’après les « spécialistes », avec la fameuse génération Z (née après 2000), il faut comprendre une chose : les individus qui la composent s’assument comme ils sont, ils se connaissent bien mieux que nous, la génération X (si vous êtes né-e entre 1966 et 1979). Ils sont fiers de ce qu’ils sont. Ils sont audacieux et sages. Il paraitrait qu’il n’y a plus de tabous pour eux, et que leur normalité serait différente de la nôtre. Ils sont tellement inclusifs et pluriels ! Nous aurions donc beaucoup à apprendre de nos enfants. Théorie séduisante. Examinons-là un peu.
Pour commencer, je suis un peu étonné : ils se connaissent eux-mêmes ? Selon moi, pas mal de gens, eux aussi très intelligents, ont pensé et repensé cela, depuis Socrate, sans arriver facilement à une réponse. « Qui suis-je ? Qu’est-ce qu’être humain ? » sont encore deux questions auxquelles la majorité des adultes sont incapables de répondre…
Deuxième prémisse discutable : penser que la normalité change et que les enjeux changent avec elle. Les standards de normalité changent avec l’époque et les lieux certes, mais supposer que les problématiques fondamentales évoluent au même rythme me semble d’une naïveté ou d’une ignorance incroyable…
Troisième présupposé, qui tourne au principe fondateur : les enfants ont davantage raison que nous. Raison ? Comme la capacité à établir des liens intellectuellement féconds et développer un jugement critique fondée sur autre chose que sur une réaction à chaud ? C’est drôle, je pensais que si l’âge de raison est établi à 7 ans, seule une bonne expérience de vie doublée d’une réflexion bien outillée pouvait nous y amener, plus tard que tôt…
En réalité, les promoteurs de cette idéologie agiste et jeuniste cherchent une raison d’espérer, un motif pour rester optimistes ; peut-être une manière de se voiler la face… On connait la ritournelle : « mon enfant est si doué » (même quand il énonce les pires bêtises), « tellement bon » (même quand il échoue), « tellement mûr-e » (ses désirs sont des ordres) ! D’ailleurs, la preuve, quand ils manifestent « pour la planète », avec leur petite pancarte individuelle aux slogans si bien trouvés, aux jeux de mots si pertinents ? Une pensée réduite à 3 ou 4 mots le plus souvent. Évidemment, nous les caricaturons parfois — peut-être même en ce moment, avec mes généralisations faciles — sur leur dépendance aux médias sociaux, leur relation fusionnelle avec leur téléphone, leur nombrilisme, leur déficit d’attention chronique.
Mon message à travers tout cela ? Il est simple : vivons non pas à côté (chacun dans nos résidences et nos quartiers exclusifs), mais ensemble ; sortons de chez nous pour aller à la rencontre des autres lors d’événements politiques, sociaux, culturels et artistiques multigénérationnels ; que cette génération Z si sensible à l’injustice s’engage dans l’économie sociale, dans les associations et la connaissance au lieu de courir après la célébrité, un confort matériel outrageux et l’argent facile. La volonté d’être ensemble, les bla-bla d’un jour accompagnés d’une jolie photo sur Insta ne suffiront pas : c’est dans l’action, par exemple à propos de la crise climatique, que nous verrons si la génération Z est meilleure que les autres. Que nous soyons X, Y ou Z, accepterons-nous de sacrifier un tant soit peu notre qualité de vie pour accueillir tous les migrants qui frapperont à notre porte dans les années à venir ?
Le salaire du « plus beau métier du monde »
La réplique de Bernard Drainville, mercredi dernier, à propos des enseignants, quand le journaliste Michel David l’a interpellé sur la reconnaissance de ces derniers, laisse pantois. Le ton autant que le contenu de ses paroles montrent le mépris et l’incompréhension de l’ancien journaliste pour nos professeurs.
Oui, monsieur, on peut absolument les comparer aux députés. D’abord, parce que ces deux professions sont plus que de simples carrières, elles constituent des vocations, un sens du devoir à accomplir pour faire vivre notre démocratie. La mission des uns est de former l’esprit de nos jeunes, afin qu’ils deviennent des citoyens éclairés, critiques et responsables ; la mission des autres est de représenter le peuple, avec toutes les qualités que cela réclame : éthique, sens critique, ouverture d’esprit, sens des responsabilités, notamment. Ajoutez-y les journalistes et vous avez les trois corps majeurs de ce qu’une démocratie peut avoir de meilleur !
Or, comme le faisait remarquer Michel David dans l’entrevue, n’y a-t-il pas quelque chose de bizarre à ce que les députés sont payés plus que leurs homologues du ROC, en raflant au passage une augmentation de 30 % (auquel s’ajoute le remboursement de leurs dépenses) en une seule année, au nom d’un « rattrapage » discutable, alors que les enseignants, sont 20 000 $ en deçà de leurs collègues ontariens ? Pas de rattrapage pour eux ?
Franchement, la pénurie est chronique et massive dans cette profession, elle n’a vraiment pas besoin d’être davantage dépréciée. Les jeunes la boudent, j’en sais quelque chose… je sors d’un semestre à l’Université du Québec en Outaouais, où j’ai enseigné à la cohorte de 2e et 3e année de bac en éducation au secondaire. J’avais face à moi 14 étudiants. Est-ce suffisant pour assurer la relève ? Il n’est pas étonnant des étudiants de Cégep soit acceptés pour assurer la suppléance dans les écoles.
Et le lapin qu’a sorti le ministre de l’Éducation de son chapeau ces derniers jours, une somme forfaitaire et ponctuelle de 12 000 $ comme incitatif, pour empêcher les départs à la retraite cette année, arrive trop tard : les demandes de retraite ou l’attribution des postes ont déjà été faites par les centres de service scolaire.
De toute façon, ce ne peut être une solution, parce que la motivation à enseigner ne repose évidemment pas sur le salaire. Outre la passion de transmettre un savoir ou un savoir-faire et l’affection que l’on peut avoir pour ces humains en devenir, comptent également les conditions d’enseignement (la lourdeur de la tâche en termes d’heures, de nombre et de profil des élèves par classe) ou la formation continue librement choisie, autant de facteurs clefs. D’ailleurs ces éléments faisaient partie des exigences des syndicats enseignants. Elles sont minimales.
Bernard Drainville les a balayées du revers de la main dans sa « Réforme de la gouvernance scolaire » (ou Loi 23) en s’accaparant le pouvoir de décider lui-même de la formation nécessaire aux profs, en plus de reprendre le contrôle des centres de service et de s’assurer d’avoir toutes les données utiles pour mener ses politiques. Pas forcément un mal, ce dernier point, mais on voit mal en quoi cela va changer la donne dans les classes, ou mettre des enseignants formés et compétents dans les écoles, dans un système qui est jugé comme le plus inégalitaire au Canada…
Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois
Je sais que l’actualité de ces derniers jours a tourné — fort opportunément d’ailleurs pour les partis au pouvoir, tant au niveau provincial que fédéral — autour de l’immigration et de la langue, deux sujets qui touchent aisément la population, parce qu’ils ont quelque chose de concret, à défaut d’être vraiment palpables. Ils nous interpellent, pas vrai.
Et bien justement, ils ont occulté un autre enjeu, pourtant majeur, sur lequel le gouvernement caquiste doit rendre des comptes : la réponse à la crise climatique. Et plus spécifiquement son « plan pour une économie verte 2030 ». Pour commencer, le fait que l’environnement soit envisagé sous la seule perspective de l’économie en dit long sur la cécité idéologique (et scientifique) de notre société. Les enjeux sociaux (éducation, santé), économiques (industrialisation, investissements, revenus…), politiques et environnementaux sont interconnectés, mais pas pour François Legault.
D’ailleurs, parler de « plan », pour ce qui est au mieux une liste d’épicerie, est bien pompeux ; le premier ministre du Québec présente son rejeton comme « le plus ambitieux des soixante états et provinces d’Amérique du Nord », rien de moins ! Il est vrai que l’on ne peut taxer Legault d’inaction : certaines mesures sont bonifiées, variées et intéressantes, par exemple en matière de transition vers des emballages écoresponsables dans l’alimentation, de décarbonation des bâtiments ou de transport actif. Ses formules sont hyperboliques : le « réchauffement climatique [et non la crise] est le défi du XXIe siècle ». Mais franchement, ses actions ne sont pas à la hauteur.
Il table d’abord sur l’électrification grandissante du transport (individuel, scolaire, marchand), parce que nous avons évidemment l’hydroélectricité ! On sait bien que cette ressource est pour ainsi dire illimitée et peu chère. Or 1) elle a un coût financier et environnemental certain (2,1 cents/kWh à la production certes, mais surtout la destruction d’écosystèmes entiers) 2) si nous devions tous avoir un véhicule électrique, nos barrages électriques n’y suffiraient pas 3) le Québec achète au Labrador une énergie à un prix honteux — 0,25 cent/kWh — qui ne peut qu’augmenter dans les années à venir. Dans la pensée un peu simpliste de la CAQ, cette source d’énergie renouvelable et peu polluante serait la solution magique à tout… ou presque.
Pour le reste, on peut compter sur les progrès technologiques. C’est certain, on va régler avec la technologie les problèmes de l’érosion des berges, des vagues de chaleur, de la gestion des déchets, du gaspillage éhonté de l’eau douce, de la pollution de l’air, de l’eau et des sols, de la multiplication des inondations monstres et des grands incendies, ou de la multiplication des problèmes de santé respiratoires. Dans mon univers un peu rationnel et critique, on appelle cela la pensée magique. Comment un gouvernement qui se dit pragmatique, près de la réalité des gens, peut-il afficher une telle ignorance, une telle déconnexion ?
Il n’y a dans son action aucune vision cohérente et globale, véritablement informée et stratégique sur la crise climatique. Les mots de François Legault sont contredits par les actes de ses ministres, à commencer par le peu d’argent qu’il prévoit de donner aux municipalités, pourtant en première ligne, quand il s’agit des conséquences concrètes et quotidiennes du dérèglement climatique. 850 millions de dollars sur cinq années, au lieu des 2 milliards réclamés. C’est ce que notre avenir vaut pour la CAQ.
Éditoriaux d'Avril
Libres de circuler… et d’en mourir
Comment ne pas être touché-e par le drame mortel survenu sur le territoire Mohawk d’Akwesasne ? Bien sûr, plusieurs questions s’ensuivent : que faisaient là ces deux familles à vouloir traverser le Saint-Laurent ? Qui les accompagnait ? Et pourquoi ? Y avait-il quelque chose à faire pour éviter leur mort ? Les lois en vigueur suffisent-elles ? Est-ce un problème de moyens donnés aux autorités, en particulier à la police autochtone ?
Intéressons-nous aux humains. À ce qui fait qu’un individu est prêt à risquer sa vie, et celle de ses proches — pour aller ailleurs. Je réponds souvent aux gens qui s’étonnent que j’aie quitté le sud-ouest de la France pour le Canada : « L’herbe est plus verte chez le voisin ». Même si cela est fondamentalement vrai, c’est insuffisant pour répondre complètement à la question. Quelle que soit la motivation des émigrants/immigrants — que l’on ne peut juger tant c’est intime — il faut comprendre que, parfois, n’importe quel ailleurs est mieux que ce que l’on connait. Et se déplacer, ce que l’on appelle la « liberté de circulation » est un droit humain fondamental : « Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays » (Déclaration universelle des droits de l’homme, article 13).
Cependant, pour la majorité des états dans le monde, cela ne signifie pas pour autant entrer et sortir — et même séjourner — sans contrôle. Bref, nous avons le droit d’émigrer en général, mais pas celui d’immigrer ! Ce qui paraît un peu contradictoire, mais explique tant de situations problématiques que nous vivons aujourd’hui.
Au bout de cette logique, un constat implacable : nous ne sommes absolument pas égaux au regard du droit à la liberté de circulation ; cela dépend de trop nombreux facteurs, comme le pays de naissance, la nationalité, les législations et autres privilèges. En effet, les ressortissants titulaires d’un diplôme supérieur des pays du sud émigrent davantage. En Afrique subsaharienne, ils ont 37 fois plus de chances de s’expatrier, en raison de politiques d’immigration sélectives des pays du nord global. Pour venir au Québec, plus tu as de diplômes et d’années universitaires, plus tu as de points, ce qui peut te permettre d’obtenir le certificat de sélection du Québec plus facilement…
Toutefois, bien souvent, on ne reconnait pas tes formations. Donc tu as deux options : prendre un boulot alimentaire pour payer ton loyer et faire vivre ta famille ou avoir assez de fonds pour reprendre des études à zéro, quels que soient ton expérience et ton niveau de qualification ! Imaginez le gâchis. Parallèlement, si tu viens d’un pays tel que l’Afghanistan, alors tu peux voyager dans 4 pays dans le monde (sur 195) sans visa, contre 128 si tu es français. C’est à peine mieux pour les Africains, encore une fois.
Et pour finir, quand on ne construit pas de murs — pas seulement aux États-Unis — pour empêcher les demandes d’asile, que l’on n’installe pas de barbelés ou que l’on ne ferme pas les chemins, on utilise les barrières naturelles (montagnes, fleuves…) ; forçant des hommes, des femmes et des enfants, qui ne font que fuir la pauvreté, la faim, les conflits armés et autres maux, à effectuer des voyages plus dangereux, par des voies détournées. 5000 à 8000 personnes en meurent chaque année. Auxquelles, on peut en ajouter maintenant 8.
Libres de circuler… et d’en mourir
Les boîtes de dialogue comme ChatGPT, un programme de traitement du langage naturel développé par OpenAI, ont suscité un intérêt croissant ces dernières années. En effet, ces outils permettent de générer des réponses automatisées à partir de questions posées en langage naturel, offrant ainsi une expérience de conversation virtuelle avec des machines.
Cependant, malgré leur popularité, les boîtes de dialogue automatisées comme ChatGPT ne sont pas exemptes de critiques. Tout d'abord, certains experts en intelligence artificielle soulignent que ces outils peuvent perpétuer des préjugés et des stéréotypes sexistes, racistes ou discriminatoires. En effet, les algorithmes utilisés pour entraîner ces modèles de langage peuvent être biaisés en raison des données d'entraînement utilisées, qui peuvent refléter les préjugés et les normes de la société dans laquelle ils ont été créés.
En outre, les boîtes de dialogue automatisées peuvent avoir des réponses incohérentes ou inappropriées, ce qui peut entraîner une frustration pour l'utilisateur. Par exemple, si un utilisateur demande à ChatGPT une information erronée, la réponse peut être inexacte ou même fausse, ce qui peut entraîner une confusion ou une perte de confiance dans le système.
De plus, certaines personnes estiment que l'utilisation de boîtes de dialogue automatisées peut conduire à une déshumanisation de la communication. En effet, l'utilisation de machines pour interagir avec les gens peut réduire la qualité de la communication et de l'interaction sociale. Les machines peuvent manquer de la subtilité et de la nuance des interactions humaines, qui sont importantes pour comprendre les émotions et les sentiments des autres.
Malgré ces critiques, les boîtes de dialogue automatisées comme ChatGPT continuent de gagner en popularité en raison de leur commodité et de leur accessibilité. Les entreprises utilisent de plus en plus ces outils pour interagir avec leurs clients, ce qui peut améliorer l'efficacité et la satisfaction des clients.
Cependant, il est important de reconnaître les limites de ces outils et de les utiliser de manière responsable. Les entreprises doivent s'assurer que les données d'entraînement utilisées pour les modèles de langage sont exemptes de biais et de stéréotypes, et elles doivent surveiller attentivement les réponses générées par les boîtes de dialogue pour éviter les incohérences ou les réponses inappropriées.
En outre, les boîtes de dialogue automatisées ne doivent pas être utilisées comme un substitut complet aux interactions humaines. Les interactions humaines sont importantes pour établir des relations, pour comprendre les émotions et les sentiments des autres, et pour construire une confiance mutuelle. Les machines peuvent aider à compléter les interactions humaines, mais elles ne peuvent pas les remplacer complètement.
En somme, les boîtes de dialogue automatisées comme ChatGPT ont le potentiel d'améliorer l'efficacité et la satisfaction des clients, mais elles ne sont pas sans critiques. Il est important de reconnaître les limites de ces outils et de les utiliser de manière responsable, en complément des interactions humaines plutôt qu'en remplacement complet.
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Libres de circuler… et d’en mourir
Je sais, le mot n’existe pas… mais convenez qu’il faudrait l’inventer. Après tout, le terme « progressisme » existe bel et bien, lui ! Je plaide souvent pour éviter de nous comparer aux États-Unis. En effet, même si nous sommes nord-américains, avec un mode de vie comparable, nos valeurs sont, je crois, différentes — résultat d’une histoire et d’un substrat culturel distincts — à fortiori en tant que francophones.
C’est vrai en général, mais là, j’ai un doute. Le virage à droite qui me préoccupe est insidieux, mais bien réel, et on le retrouve à l’échelle internationale. Il a déjà une influence chez nous, quand on voit l’émergence d’Éric Duhaime et la montée en puissance au fédéral de Pierre Poilièvre. Tous deux ont fait leur la célèbre maxime du journaliste français Léon Zitrone, qui a formulé une tactique aussi vieille que l’humanité : « Qu’on parle de moi en bien ou en mal, peu importe ! L’essentiel, c’est qu’on parle de moi. ». J’ose espérer que leurs sorties respectives ne sont pas plus que cela, parce s’ils croient vraiment aux âneries qu’ils profèrent…
Juste pour n’en citer qu’une du chef du Parti conservateur du Canada (PCC) : il voudrait que CBC soit désignée par twitter comme un « média financé par le gouvernement » (au même titre que Russia Today en Russie ou China Xinhua News en Chine), parce qu’il faudrait « protéger les Canadiens contre la désinformation et la manipulation des médias d’état ». La radiotélévision publique au Canada, est financée en — petite - partie par le gouvernement certes, mais ce dernier ne peut intervenir dans le contenu éditorial et la liberté d’expression est respectée ici globalement, faut pas rigoler !
Ce genre de remarques, qui nous ferait retourner au siècle dernier, n’est que la partie émergée d’un iceberg idéologique qui s’étend de plus en plus sur le continent. Pensez aux dernières remarques d’Éric Duhaime, chef du Parti conservateur du Québec. Sa pétition pour interdire les dotations aux activités de lecture dans les bibliothèques du Québec par des drag-queens au prétexte que… Que quoi ? Qu’elles « vont commencer à essayer de transformer les enfants en « wokes » ? Une drag-queen n’est rien d’autre qu’un homme qui se déguise en caricature de « femme » ; rien de plus « straight » en fait. Comme l’homosexualité, ce n’est pas une maladie virale ! La semaine précédente, il se disait opposé à ce que l’état règlemente le travail des enfants. Ben oui ! Faisons confiance aux parents pour les mettre au turbin à n’importe quel âge ! Comme dans les mines de charbon du XIXe siècle, avant que les luttes syndicales ramènent peu à peu l’âge de l’éducation obligatoire à un niveau acceptable, du moins en Europe, parce qu’ici, faire travailler les enfants au lieu de les éduquer ne semble choquer personne. Pour ne pas « faire mon Français », un exemple venu du Royaume-Uni : le travail des enfants de moins en 11 ans y a été interdit en 1891 ! Avec Duhaime, on serait à peine mieux, c’est dire !
Et chez nos voisins, après la Floride, c’est maintenant au tour du Mississippi, du Texas, de la Pennsylvanie et du Tennessee : après la remise en cause du droit à l’avortement, on s’attaque au contenu des bibliothèques publiques, en censurant par la loi les publications qui parlent d’homosexualité, de diversité de genres, de racisme ou de dictature. Un avis là-dessus messieurs Duhaime et Poilièvre ?
La rivière à moitié pleine… Ou à moitié vide
Il y a bien des manières de considérer les choses, certaines plus optimistes… et valables, si la perception qui les commande est de bonne foi, sans cynisme ou duperie. Le problème est de savoir 1) si ces considérations améliorent la situation 2) si elles n’empêchent pas en réalité toute prise de conscience et donc toute action positive qui devrait être menée. Comment le savoir quand on entend les déclarations de nos gouvernements, et qu’on les compare aux chiffres et aux mesures écologiques concrètes qu’ils ont prises. Certains diraient justement : tout dépend de la perspective.
Par exemple, à l’échelle provinciale, le Québec a mis en place une « bourse » du carbone ; il a donc mis un prix sur la tonne de CO2 produite, obligeant ainsi les entreprises qui en produisent à payer un montant compensatoire. Et bien, les trains et les autobus interrégionaux, pourtant moins polluants, doivent s’y plier, mais pas les avions voyageant à l’intérieur de la province ! Et puis où vont les revenus de cette opération ? Je ne parle même pas des moyens de transport à l’échelle du Canada.
Tiens, tant que nous y sommes, les dernières sorties de notre vert de plus en plus pâle ministre de l’Environnement, Steven Guilbault, sont savoureuses. La plus grosse ? Suite à la promesse de son maitre de planter 2 milliards d’arbres d’ici 2031, le résultat : 16,6 millions d’arbres ont été plantés en deux ans ! C’est pas mal, pourrait-on dire… En fait, le gouvernement libéral planifiait en planter 60 millions l’année dernière, mais de toute façon, cela ne constitue que 2,3 % de l’ensemble !
Comme nos rivières, dans le genre de La Romaine, un autre verre à moitié plein : les libéraux de Trudeau ont mis fin au projet de GNL Québec pour des raisons environnementales, mais continue de soutenir le projet controversé LNG Canada, un autre projet d’exportation de gaz naturel liquéfié en cours de construction en Colombie-Britannique. Ajoutez-y un projet Bay du Nord au large de terre-neuve, qui doit prévoit 300 millions de barils de pétrole. Et pour épicer le tout, le rapport du commissaire fédéral à l’environnement et au développement durable. Jerry V. DeMarco a déclaré que les politiques fédérales, « c’est une série d’échecs depuis 30 ans », en mettant en doute le réalisme de plusieurs promesses libérales. Chrétien, Martin, Harper, Trudeau, même méthode : beaucoup de belles paroles, d’engagements, de mots, de plans, peu d’actions concrètes. Mais pour Steven Guilbeault, « le plan fonctionne », les GES ont baissé entre 2019 et 2021… Oui, vous savez, pendant la pandémie qui vous a forcé à rester chez vous ! En fait, elles ont même augmenté entre 2020 et 2021.
À plus large échelle – rions jaune - nous pourrions même nous féliciter que la guerre en Ukraine pousse de nombreux pays vers la transition écologique et les sources d’énergies renouvelables. Cependant, combien de pays ont argué de l’urgence de combler leurs besoins énergétiques en relançant qui le nucléaire (le Japon, la France, la Belgique ou l’Allemagne) qui les centrales au charbon (la Chine, les États0unis, la Pologne, l’Australie, le Mexique, la Turquie et le Japon) ! Se pose-t-on les mêmes questions lorsque le niveau de nos rivières monte au point d’inonder nos maisons? Stoppons le règne des demi-mesures et faisons face à la crise climatique !
Éditoriaux de Mars
La colère est mauvaise conseillère
Je vous l’avoue, si j’avais pu insulter l’un-e de nos éminent-e-s politicien-ne-s, tous partis confondu (ou presque), mais surtout ceux du Parti libéral du Canada, je l’aurais fait et assez méchamment. Je me suis calmé. Mais à peine, parce que chaque fois que je retombe sur le chiffre, j’enrage à nouveau.
40 milliards d’investissements dans l’exploitation des énergies fossiles au Canada en 2023. Comment peut-on laisser faire ça ? Au moment où l’on peine à recruter des infirmières et des enseignants, ou du personnel dans quantité de secteurs. Au moment où il y aurait tant de domaines dans lesquels s'engager et qui créent aussi de l’emploi. Au moment où de plus en plus de gens en arrachent et sont réduits à faire appel aux banques alimentaires ou ne trouvent pas de logement abordable.
D’ailleurs, qui injecte cet argent ? Nos institutions financières, en plaçant notre épargne ? Nos gouvernements, en utilisant nos impôts ? Des compagnies privées ou des particuliers pleins aux as ? Je croyais qu’il n’y avait pas d’argent, que la croissance était en panne ! En tout cas pour les bonnes raisons, visiblement. En ce qui concerne les banques, parlez-en entre quatre yeux à votre conseiller financier : qu’il supprime de votre panier d’actions les investissements juteux sous peine de perdre un-e client-e fidèle. Pour ce qui est du gouvernement, la riposte est claire : arrêtons de voter pour ces pantins de la grosse industrie et des grands intérêts financiers. Tout simplement. Notez bien que Guilbault et Trudeau ont promis d’arrêter toute subvention en 2023, mais pour l’instant, rien ne se passe… Ah, j’oubliais les pleins aux as : mettons un plafond aux salaires comme il existe un plancher ; imposons leurs investissements et patrimoines : s’ils peuvent avoir deux voitures, deux maisons et partir en congé quatre fois l’année, c’est bien assez, non ?
Mon discours parait populiste, anti-élite. Certains rétorqueraient que je fais même partie de cette élite. Et bien non, parce que 1) je ne cherche pas à flatter qui que ce soit dans le sens du poil, je n’y ai aucun intérêt de toute façon 2) mon mode de vie est celui de la classe moyenne, rien de plus, même si mon revenu me permettait des dépenses plus extravagantes. Bref, je n’ai aucun désir ou ambition de richesse, mon compas moral est au bon endroit, rassurez-vous.
Et sur le fond, vous savez que j’ai raison. L’un des nombreux exemples d’hypocrisie et de manque de leadership criant des libéraux, c’est le projet Bay du Nord, porté par le géant Equinor, au large de Terre-neuve. Mise en exploitation déjà prévue en 2028… « Sous réserve de certaines conditions environnementales », nous serine le vert pâle Guilbault, en précisant d’un même souffle que le projet devra être carboneutre d’ici 2050. Tu vérifieras ça depuis ta maison de retraite, Steven ? Et c’est promis, il n’y aura pas d’impacts environnementaux négatifs importants… Ben oui, c’est vrai, le pétrole ne produit pas de GES lorsqu’il sert de combustible ! Selon vous, qui engrangera les bénéfices finalement, nous ou l’entreprise norvégienne ? Et qui paiera pour les dégâts irrémédiables sur l’environnement, pendant et une fois l’exploitation terminée ? L’ordre du jour est clair pourtant, bande de sans-dessein: « Le monde doit abandonner les combustibles fossiles le plus rapidement possible ». Et ceci n’est qu’un exemple parmi d’autres. Vous voyez, je ne me suis même pas énervé.
Équité linguistique, pas égalité
La semaine dernière encore, je lisais dans le Bulletin cette lettre en pleine page sur deux colonnes de la part de la Task Force on Linguistic Policy. S’il est vrai que la question de l’ingérence chinoise est l’actualité du moment, et que nous devrions nous sentir concernés (truquage des résultats des dernières élections, accès à nos données personnelles par Tik Tok), se joue en ce moment une partie d’échecs cruciale pour notre avenir en tant que pays bilingue, un trait essentiel à notre identité profonde en tant que Canadien, selon les libéraux eux-mêmes.
Or, comme d’habitude, ceux que l’on entend (ou lit) le plus sont souvent les extrémistes, en l’occurrence certains groupes de pression anglo-québécois. Déjà, le fait que leur lettre soit uniquement en anglais montre le peu de cas qu’ils font du bilinguisme ; et puis leur nom, qui est une sorte d’appel à la guerre, confirme l’exagération permanente dans laquelle ils drapent leur propos, ne serait-ce qu’en déclarant que la loi fédérale C13 (sur la modernisation de la loi sur les langues officielles du Canada) est le « précurseur de l’indépendance du Québec et la fin du Canada tel que nous le connaissons » (traduction libre).
Mais n’importe quoi ! Je le sais, vous le savez, nous le savons tous : les Québécois ont passé leur tour historique pour l’indépendance ; pour en être certain, demandez-leur ! Et de quel Canada parle-t-on ici ? Parce que le gros argument de nos compatriotes anglophones est que cette loi ne traite pas également les deux langues officielles… Évidemment ! Dans les faits, les deux langues ne sont pas à égalité, ni à petite échelle (au Québec) et encore moins à grande échelle (continentale). L’égalité suppose une absence de discrimination ; l’équité, d’attribuer à chacun ce qui lui est dû. Que fait-on quand une minorité est historiquement et culturellement lésée ? On lui confère certains avantages (quota, réglementation spécifique, budget, etc.) afin de rétablir l’équilibre. Ce que ces mêmes groupes de pression réclament, en arguant faussement qu’ils défendent les minorités ethniques — comme si tous les immigrants qui arrivent au Québec étaient de facto anglophones ! — pourquoi ne pas l’appliquer au français ? Surtout si l’on considère son statut réel dans la société nord-américaine. Cela s’appelle l’équité.
De plus, les cris d’orfraie qu’elle pousse nous en rappelle d’autres. Elle suggère qu’elle a peut-être été à l’origine des lois passées à partir de 1969 pour la reconnaissance du bilinguisme, ce qui, au passage, n’est pas comme reconnaitre le « fait français ». Mais qu’en disait à l’époque les Anglo-québécois ? Immigrants ou pas, ils parlaient du droit de choisir, surtout, en général, l’anglais ; 20 000 personnes manifestaient déjà devant le parlement en 1969 contre la loi sur le bilinguisme. Et à propos de la loi 101, sans laquelle le français aurait disparu du paysage ? Opposition systématique : opposition en 1974, lors du vote de la loi sur le français comme la langue officielle ; opposition via la Cour suprême en 1979 ; en 1982, via la loi sur langues officielles ; en 1988 sur l’affichage ; en 2010 sur les écoles passerelles… Années après année, toutes ces actions réduisent les droits linguistiques fraichement acquis pour protéger le français. Faut-il rappeler que les communautés québécoises d’expression anglaise, elles, contrairement aux minorités francophones du ROC, ont parfaitement accès aux services d’éducation ou de santé dans leur langue ?
Élargissons le « cercle des initiés »!
Cette année 2023 restera dans les annales de l’Académie française : le grand écrivain d’origine péruvienne Mario Vargas Llosa y a été reçu, tout comme l’avait été Dany Laferrière il y a dix ans. Mais entre eux, une grosse différence. Même s’il parle et comprend très bien le français, le premier n’a jamais publié une seule ligne dans cette langue. Cela peut nous interpeler sur le statut actuel du français dans le monde, alors qu’est célébrée la Journée internationale de la francophonie au moment où j’écris ces lignes.
Se bat-on encore pour elle et donc pour une certaine vision des choses, pour une perspective distincte de celle de l’anglais ? Parce que, ne nous y trompons pas, une langue est autant un outil de simple communication qu’un moyen de considérer le monde qui nous entoure selon un certain point de vue ; les langues expriment une pluralité de perspectives.
Je ne reviendrais pas sur les luttes des francophones et des francophiles pour la survie du français ici, en Amérique du Nord, au Canada, au Québec et même en Outaouais, j’y ai déjà consacré plusieurs éditoriaux. Voyons plus large, au moment où vient d’ouvrir en grande pompe la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts, en France. Avec 320 millions de locuteurs comme langue maternelle ou d’adoption, le français reste statistiquement en bonne position dans les années à venir, compte tenu de la croissance démographique dans les Afriques, qui en compose déjà plus de la moitié.
Toutefois, après le Rwanda, qui a opté pour l’anglais comme langue officielle et qui s'est retiré de l'OIF, le Gabon et le Bénin qui ont adhéré en 2022 au Commonwealth, voici plus récemment la Roumanie et le Liban qui tournent le dos à la Francophonie. Ajoutez-y le rejet — politique, cette fois-ci — de l’aide française par les états de la région du Sahel pour lutter contre le terrorisme islamiste… et l’Algérie, qui cloue le cercueil en conseillant d’enseigner désormais à tous les niveaux scolaires exclusivement en arabe, et le portrait est plus sombre.
Il est compréhensible que les anciennes colonies françaises se détournent de la francophonie, ou même qu’elles cherchent à s’allier à d’autres « blocs » en matière économique. Personne ne dira le contraire. Cependant, le français est malmené, en grande partie à cause de l’attraction de l’anglais, certes pratique en maintes occasions, mais pas nécessaire en tout temps. En France, et dans les pays où il a le statut de seule langue officielle, le français ploie sous le poids de l’anglomanie. Peut-être cela constitue-t-il un progrès, sinon une tendance normale, dans l’évolution d’une grande langue vivante : elle s’adapte pour survivre ?
Au-delà de ce constat, la question se pose cependant : quelles références culturelles habitent aujourd’hui l’esprit, l’imagination, l’âme des francophones autour du monde ? Quel écho trouve le français dans nos cœurs ? Le français reste-t-il encore ce vecteur incroyable pour accéder à a culture, à la littérature universelle de Rabelais, Molière, Voltaire, Hugo, Miron, Senghor ou Camus ? Ces auteurs restent encore les plus traduits en dehors de la francosphère. L’enjeu est là, il est crucial. En musique, dans le cinéma, les arts de la scène, le français, je crois, le français survit grâce à une relève venue de partout dans le monde… Mais à quel prix et jusqu’à quand ?
Un toit sur la tête
Parfois, je me demande sur quoi nos gouvernements fondent leurs priorités, que ce soit à l’échelle municipale, provinciale ou nationale. Pour ce qui est des priorités internationales, je crois que, malheureusement, elles sont très (trop) claires : les multiples crises humanitaires du moment — mais c’est chronique — nous ramènent sans cesse à des besoins fondamentaux. Maslow illustre ces derniers par sa fameuse pyramide ; à la base, on y trouve les besoins physiologiques : la respiration, la nourriture, l’eau, le sexe, le sommeil, l’homéostase et l’excrétion ; en second, ce qui a trait à la sécurité, notamment du corps, de la famille, de la santé et de la propriété. Avoir un toit au-dessus de sa tête est la condition sine qua non à plusieurs de ces nécessités-là évidemment. C’est pourquoi l’ONU finance des constructions de camps (à court terme) ou de logements en dur (à plus long terme) à travers ses agences et programmes. Des logements abordables, cela va sans dire.
Alors, quand on voit des chefs d’État se rencontrer autour de sujets aussi « importants » qu’empêcher des personnes de s’établir au Canada, des familles qui rêvent simplement de pouvoir vivre en paix et en sécurité et qui ne sont un danger pour une personne, on ne peut que se poser des questions… À l’échelle provinciale, la mesure phare de Legault est quand même « les plus importantes baisses d’impôts de l’histoire du Québec » : 1 % aux deux premières tranches d’imposition. Comme si cela était un objectif en soi et une tare de la société québécoise ! Ce qui est certain, c’est que l’une des choses le plus faciles et rapides à faire… Coût : 1,7 milliard. Surtout, en ponctionnant le fonds des générations qui, comme son nom l’indique, est un legs aux générations futures. Gain : 128 $ dollars pour un foyer de la première tranche, une fois, cette année. On y ajoutera un crédit d’impôt pour la solidarité pour les personnes qui ne vivent pas dans un logement subventionné. Sera-ce suffisant pour permettre aux gens de répondre aux dits besoins essentiels, qui, eux, sont à long terme ? Une meilleure éducation pour leurs enfants ? Un panier d’épicerie plus abordable ? Un accès à un médecin ? À un logement à coût abordable ? Poser la question, c’est y répondre. Franchement, parler d’une promesse tenue, c’est pas de la démagogie ?
Plus précisément, sur la question du logement, la CAQ avait annoncé en campagne la construction de plus de 11 000 logements sociaux ! Attention, je ne parle pas de la construction d’habitations en général, mais bel et bien de résidences, d’appartements ou de maisons abordables. A-bor-da-bles. Bien sûr que les entrepreneurs bâtissent, mais pas à des prix accessibles ! Le budget Girard de 2023 en prévoit à peine 1000 par an pendant 5 ans ! C’est une promesse brisée. Avouons par ailleurs que réglementer l’hébergement touristique style Airbnb, en obligeant les propriétaires à posséder un numéro d’immatriculation de la corporation de l’industrie touristique du Québec (CITQ), pourrait aboutir à la mise en marché de ces logements, peut-être à des prix abordables… Cependant 1) ce n’est pas l’objectif du gouvernement, mais plutôt un avantage collatéral 2) les résultats sont largement incertains. Tous les acteurs du secteur sont largement d’accord : le gouvernement Legault est en mode rattrapage, et vient tout simplement de signer la mort du logement social.
Éditoriaux de Février
Faire passer l’âge de la retraite à 64 ans, c’est de la rigolade, ici, au Québec. En effet, il est actuellement de 65 ans (61 ans en Suède, 68 au Portugal). Cependant, le débat qui fait rage en France cache au moins deux aspects problématiques et cruciaux de notre existence.
Le premier enjeu provient d’un fait simple, clair, indiscutable : notre économie comporte de moins en moins d’« actifs » et de plus en plus de retraités. Donc, de moins en moins de personnes payent les cotisations sociales, alors que de plus en plus de personnes qui en dépendent. C’est le fameux système par répartition… qui ne répartit plus. Et malheureusement ni la natalité ni l’immigration, toutes les deux trop faibles, ne pourront inverser l’inéluctable conclusion. Pire, demandez à vos filles, petites-filles, cousines, sœur, etc. : Vous allez vous apercevoir qu’elles n’ont pas l’intention de rajouter un autre humain au tableau catastrophiste actuel et à venir. On dirait aussi qu’avoir un enfant est devenu pour beaucoup une véritable charge physique et mentale, voire une fonction bassement reproductrice qui aliènerait la femme pour d’autres. Après la naissance, on se charge d’ailleurs vite de trouver au dit humain une pathologie : TDAH en série et autres troubles du langage ou de l’apprentissage font de l’éducation un véritable parcours du combattant… Et puis, une fois adulte, pourquoi s’embarrasser d’un tel fardeau si l’on veut poursuivre des études, s’investir à 100 % dans son travail, partir dans le sud, avoir du fun avec les chums, bref vivre sa vie ? Enfin, un enfant, ça pollue, non ?
Le deuxième enjeu découle de notre conception « moderne » de l’activité, terme ici synonyme de travail rémunéré (et imposé) au sein d’une structure privée ou publique, individuelle ou collective. Alors, déjà, le terme — tripallium — signifie étymologiquement « torture », et il faut avouer qu’il est souvent synonyme d’ennui et de souffrance pour plusieurs d’entre nous. Ce n’est pas bon signe… de là à penser que prendre sa retraite équivaut à arrêter la torture. Mais pourquoi ne peut-on imaginer un autre fonctionnement socio-économique, où un citoyen ne serait pas mis au rencart, au ban de la société, mais son expérience valorisée, rémunérée ? Où le volume de travail serait partagé et une somme décente pour vivre serait versée à tous, alors que l’évolution technologique permet une meilleure productivité et que de la richesse est créée ? À nous de mieux la partager.
Parce que les faits historiques ont la tête dure : depuis 150 ans, on travaille moins et on produit plus et mieux, même si nos décideurs continuent de nous seriner encore que le travail, c’est la santé, tout au moins économique, qu’il faut travailler plus et plus longtemps, au nom de la performance et de la compétition, mais également du pouvoir d’achat et de la consommation. Leur credo : maintenir le taux de croissance, produire de la richesse ! On doit se rappeler que plusieurs meurent avant la retraite, que la moitié d’entre nous développent des maladies ou des douleurs chroniques… Alors, oui, l’espérance de vie augmente, mais pas forcément la bonne santé. On ne se pose pas trop non plus la question du partage de cette richesse, de l’abordabilité des biens et services. Doit-on continuer de produire sur le même modèle qui nous a conduits au pied du mur climatique ?
Vu d’ici, en Amérique du Nord, continent qui n’a pas connu la guerre sur son territoire depuis bien longtemps, les conflits armés à l’étranger restent toujours loin psychologiquement, un peu abstrait. Bien sûr, certains ont perdu un membre de leur famille au cours du XXe siècle, pendant la Première, la Seconde Guerre mondiale, en Corée ou plus récemment au Moyen-Orient, mais ce danger n’a jamais été vraiment à nos frontières… Il n’est pas proche et n’a pas les relents de ce que l’Europe a vécu comme tragédies lors des deux grandes guerres.
Ainsi, malgré le danger évident que constitue la Russie (j’ai failli écrire l’URSS !), les puissances occidentales ont voulu ménager la chèvre et le chou, maintenir un semblant de non-ingérence armée tout en fournissant des armes aux Ukrainiens. Entre parenthèses, les pays « non occidentaux » oscillent entre l’indifférence et la sympathie envers les Russes, mais montrent rarement de la sympathie envers les Européens. Cela semble compréhensible, compte tenu du passif colonial et impérialiste des dits pays. Et puis quel impact l’« opération militaire » (dixit Poutine) en Ukraine peut-elle avoir sur les Pays du sud qui détériore leur situation ? Presque rien si ce n’est augmenter les prix de certaines céréales à la base de leur panier alimentaire ; déstabiliser les cours du pétrole, donc de l’énergie ; accaparer toute l’attention et l’argent de nations, grandes financières des fonds internationaux ; donner la part belle à de nouvelles dictatures impérialistes (Turquie, Chine), en laissant dans l’ombre d’autres conflits ou crises alimentaires, sanitaires, politiques qui font des ravages. Une broutille, donc.
Et voilà ti pas que l’alliance plus ou moins formelle bâtie autour de l’OTAN, déjà un fossile datant de la guerre froide contre le bloc communiste, monte la barre un peu plus haut. Jusqu’à maintenant, personne n’était dupe, mais tout le monde faisait semblant. Les missiles, batteries antiaériennes, canons, et autres équipements — y compris roulants — n’étaient soi-disant que « défensifs », donc « inoffensifs » officiellement, et le front anti-Poutine pouvait se déclarer hypocritement non-belligérant.
Or, une arme défensive n’existe pas. Mais en plus, désormais, l’Allemagne, en faisant le pas décisif et historique d’autoriser l’envoi de ses chars d’assaut Léopard à l’Ukraine, pire, en choisissant d’en céder elle-même un certain nombre, arrache le voile de la fausse pudeur occidentale. Non seulement la patrie du Nazisme a-t-elle repris du service par le changement radical de sa politique étrangère, mais c’est pour attaquer un ancien Grand Ennemi historique. Figurez-vous qu’un tank, c’est un « panzer » en allemand. Ça ne vous rappelle rien de vos cours d’histoire sur la guerre 39-45 ? Si vous vous en souvenez, imaginez les Russes !
D’ailleurs, Poutine, qui avait déjà averti que certaines limites ne pouvaient être dépassées, n’a pas tardé à déclarer que cette décision était « extrêmement dangereuse [et allait] amener le conflit vers un nouveau niveau de confrontation ». Il pèse ses mots, le bonhomme, parce qu’il désire maintenir l’incertitude et l’imprévisibilité : une vieille tactique de guerre inspirée de Sun Tzu. On se demande maintenant jusqu’où il ira pour répondre aux désormais cobelligérants déclarés… Et vu le nombre de pays impliqués, on pourrait même se demander si ce conflit ne s’est pas transformé en troisième guerre mondiale qui ne voudrait pas se l’avouer. Quelle est la prochaine étape ? Les avions de combat et les missiles à longue portée, comme le réclame Zelenski depuis mercredi ? Et ensuite ?
La conjonction d’évènement est toute personnelle ; elle ne prétend à aucune objectivité. Toutefois, elle met en lumière l’une des angoisses les plus puissantes qui se puissent parmi les humains et qu’habituellement on refoule. La peur de perdre son enfant est évidemment une réaction instinctive de l’espèce qui refuse de s’éteindre, mais davantage également.
Dans nos sociétés du Nord global, l’enfant est à la fois adulé et haï. En effet, nous vivons dans un univers peuplé de parents « hélicoptères », toujours là autour de leur(s) petit(s), à les accompagner partout et en tout temps, à prévenir le moindre traumatisme - physique ou psychologique - à les surprotéger, quitte à leur laisser croire qu’ils sont les meilleurs, les plus intelligents. Nous vivons dans une société d’éducateurs (enseignants, entraineurs, etc.) dont l’objectif est de développer le potentiel — forcément exceptionnel — de leurs joueurs, de les faire progresser sans douleur, ni épreuve, ni échec (surtout) : tout le monde est bon, tout le monde a gagné… même après une défaite !
Parallèlement, jamais dans l’histoire de l’Humanité, nos jeunes adultes ont-ils moins exprimé le désir d’avoir des enfants, de perpétuer la lignée. L’individualisme exacerbé par une société de consommation et de divertissement, qui vise surtout à satisfaire nos moindres désirs personnels et nous fait prendre des vessies pour des lanternes, les distrait des vrais enjeux de notre temps. Pourquoi s’embarrasser d’un enfant, obstacle à un hédonisme sans frein ? Quel intérêt à grever son budget, à creuser son endettement ? L’horloge biologique ne joue plus. De surcroît, l’horizon qui se présente à notre relève est franchement déprimant : pandémies, guerres, crise de la démocratie, récession économique, sur fond de changements climatiques et d’inégalités flagrantes et grandissantes à tous les niveaux : qui voudrait offrir cela à des petits d’hommes et de femmes ?
Et puis surviennent des tragédies comme l’attaque à l’autobus d’une garderie à Laval, ou, à plus large échelle, les séismes en Turquie et en Syrie aux dizaines de milliers de morts (dont des milliers d’enfants). Et en ce qui me concerne, la disparition subite de l’un de mes anciens élèves (et joueur de tennis) à l’âge de 20 ans, mort d’une rupture d’anévrisme. La goutte de sang qui fait déborder le vase. Alors, on sent bizarre, tout pensif ; comme les autres, on est sonné, frappé dans sa chair, traumatisé. Ce qui ne nous empêche pas de tomber dans le sensationnalisme et le voyeurisme via les médias, dans la sensiblerie dégoulinante.
Il n’en demeure pas moins que le choc est justifié : il n’est pas dans l’ordre naturel des choses que les enfants meurent avant leurs parents. C’est une infraction incompréhensible aux règles de fonctionnement de notre existence et de la vie en général. Ces drames nous renvoient non seulement à ce que nous laisserons derrière nous, mais ils nous renvoient aussi à propre mort. Et c’est effrayant, n’est-ce pas ? Cependant, comme pour la perte d’un enfant, il n’y a pas d’explication… Un-e responsable ? Oui, certainement : le chauffeur d’autobus, la Nature… et quoi d’autre ? Pourquoi ici et maintenant ? Pourquoi un tel et pas tel autre ? On peut toujours lever les yeux aux ciels et invectiver Dieu ou toute autre puissance suprême, nos appels resteront toujours sans véritable réponse. Il n’y a pas de règles en la matière, il n’y a pas de justice.
Chaque année apporte de nouveaux scandales de violence dans le sport. Attention, je ne parle pas de la brutalité dans les sports eux-mêmes, qui n’est pas forcément un problème en soi, si elle est réglementée et que l’on s’assure de son respect. C’est de l’agressivité ou la « gnaque », nécessaire dans un sport individuel, collectif, sans contact ou avec contact… Mais on la canalise. C’est normal dans une certaine mesure ; même dans des pratiques récréatives, hors compétition, sans enjeu, on joue avec agressivité, et c’est ainsi que l’on peut se dépasser tout en s’amusant !
En revanche, la violence hors du terrain, dans les gradins, dans les vestiaires est inadmissible, a fortiori entre co-équipiers ou entre entraineurs et joueurs. Encore en 2023 ?
Nous avons la mémoire sir courte ? Rien qu’en 2021, le journal Le Monde rapportait que 445 personnes avaient été mises en cause dans le sport français : agents publics, professeurs d’éducation physique, éducateurs professionnels… au sein de 48 fédérations, avec dans la moitié des cas, des signalements dans le sport de haut niveau. Souvent sur des mineurs de moins de 15 ans. Ici, au Canada, récemment, en plus du hockey, nous avons eu le ski (suite au témoignage de Geneviève Simard) et la gymnastique (Gymnastique Canada est même poursuivie). Une enquête conjointe de Radio-Canada et CBC a révélé que pas moins de 340 entraineurs avaient été accusés de délits sexuels en 20 ans ; ils ont fait plus de 600 victimes !
Voilà pourquoi je suis indigné, mais moyennement étonné suite au jugement de la Cour supérieure de l’Ontario, dans le cadre d’une demande de recours collectif faite par trois hockeyeurs juniors. Au Québec, il existe un service d’écoute 24 heures sur 24 depuis 2018 ; les fédérations sont accompagnées afin d’élaborer des politiques de protection des athlètes, des codes de conduite et des campagnes de sensibilisation dans les villes ou sur les réseaux sociaux sont effectuées. Mais que faire quand la violence, l’abus physique ou psychologique, provient des pairs, d’autres joueurs, comme c’est systémiquement le cas dans le hockey junior majeur ? Parce que là, il s’agit de la culture propre à ce sport en particulier, « ça fait partie de la game » diraient certains.
Les enfants sont naturellement durs entre eux, depuis toujours (rappelez-vous votre enfance), mais l’encadrement de ces jeunes, les dirigeants de la fédération et probablement des parents ont minimisé et banalisé le harcèlement, le viol en réunion et d’autres actions infâmes. Il y a ici une culture du secret, dénoncée d’ailleurs depuis belle lurette par les chercheurs. Au nom de quoi ? La performance ? La victoire ou la carrière ? Ou peut-être même parce que pour certains parents, leur enfant constitue un investissement ? Une chose est claire : le changement ne viendra pas de l’intérieur.
Il y a pourtant maintes manières de développer le sentiment d’appartenance d’un individu à son équipe. Jouer, s’entrainer collectivement en est la base ; quand c'est compétitif, les matchs en sont un autre : on souffre ensemble, on sue sang et eau ensemble, on perd ou on gagne ensemble. Toute autre activité est en option et ne devrait jamais humilier qui que ce soit, de quelque façon que ce soit. Les violences sexuelles et la misogynie, en particulier dans le sport masculin, n’ont tout simplement pas lieu d’être !
Éditoriaux de Janvier
Eau secours ! Allez, une bonne nouvelle pour commencer l’année ! Le ministre de l’Environnement du Québec, Benoit Charrette, veut augmenter « significativement » le prix de l’eau. Comment ça, vous dites-vous, je paye l'eau que je consomme, et elle va me coûter encore davantage ? Comme si la hausse du prix du carburant ne suffisait pas ! Rassurez-vous : la mesure ne nous concerne pas, nous les simples citoyens — c’est ça la bonne nouvelle — et en plus, étonnamment, les particuliers ne payent toujours pas l’eau, ici, au Canada !
Je dis étonnamment, parce que dans beaucoup d’autres pays, surtout en Europe (qui est en avance sur nous en termes d’écologie), l’eau a un prix ! Ce n’est pas pour rien que l’on parle de plus en plus de l’« or bleu »… Elle est précieuse, cette eau douce, encore plus vitale que l’autre, salée, qui constitue les océans et les mers… Et même si nous pourrions croire qu’il s’agit d’une ressource infinie — pas tout à fait synonyme de renouvelable — en regardant par la fenêtre la belle neige fraîche qui orne notre cour arrière, ce n’est pas si simple.
Déjà, les misérables 2,5 % d’eau douce que contient notre globe proviennent des lacs, des rivières, des glaciers et des nappes phréatiques. Or, cette eau se renouvelle, mais selon un cycle spécifique : évaporation, condensation, précipitations, infiltration, ruissellement, stagnation. Cette dernière qui garantit la qualité de l’eau, peut varier de 8 jours, si l’eau stagne dans l’atmosphère, à 2500 ans dans les océans, en passant par 17 ans dans les lacs. À une échelle locale, elle peut donc s’épuiser. D’autant plus, parce qu’elle est utilisée jusqu’à l’excès : pour boire, se laver, laver des bâtiments, des véhicules, des trottoirs (!!), refroidir les métaux dans la métallurgie, entrer dans la composition de multiples produits fabriqués par les entreprises, etc. D’ailleurs, c’est là qu’intervient la redevance caquiste qui, à date, se monte à 30 petits millions par an pour des centaines de milliards de litres d’eau prélevés par les compagnies québécoises.
De surcroît, il faut savoir que l’eau douce n’est pas répartie de manière égale sur la planète. Dix pays se partagent 60 % des précipitations ; plus de la moitié des habitants de l’Amérique latine, de l’Asie et de l’Afrique n’y ont pas accès, soit un être humain sur trois. Et cela va empirer dans les années à venir… Enfin, mon propos aujourd’hui était plutôt de rebondir sur les 25 ans du mouvement Eau secours (eausecours.org) pour aborder ce sujet crucial, soit en amont, lorsqu’il est question d’extraire une eau souvent contaminée par les produits phytosanitaires et autres arsenic utilisés dans le domaine agricole aussi bien que minier depuis un siècle ou de confier cela à des entreprises privées auxquelles cela ne coûte presque rien ; soit en aval, avec la problématique de la mise en bouteille, dans des contenants plastiques qui finissent dans les océans, les cours d’eau, la faune marine et en bout de chaîne alimentaire, qui nous empoisonne ou bien encore avec le problème de l’accès à la ressource pour vivre, tout simplement.
Cet enjeu local autant qu’international est plus que jamais d’actualité, il est majeur pour notre survie, et il est incroyable que l’on ait régressé depuis 1997… Il est inacceptable que cet élément essentiel à toute vie se dégrade ainsi et reste entre les mains d’intérêts privés !
Le constat est sans appel : la clientèle est de retour dans les gyms en ce mois de janvier 2023. Après les fermetures et les confinements de la pandémie, après une année de transition, 2021, marquée par la guerre en Ukraine, les ratés des chaines d’approvisionnement, l’inflation galopante, la pénurie de main-d’œuvre et l’intensification des « accidents » climatiques, je suis heureux de savoir qu’il y a dans nos existences une chose intangible, qui reste positive : l’envie (le besoin ?) de rester en forme, ou plutôt de ne pas prendre trop de formes. Rien de tel qu’une résolution de début d’année pour nous sentir vivant-e ! J’ironise, mais j’en ai moi-même pris ; cependant, rien de plus que de perdre les deux kilos que je gagne habituellement en avant l’été.
Mais la fréquentation à un niveau qui dépasse celui de 2019, est-ce réellement l’effet des multiples tourtières ayant conduit à ces fameuses « bonnes résolutions » du temps des fêtes ? C'est un véritable sujet de sociologie, que les économistes m’envient à coup sûr… Et oui, les salles d’entrainement sont plus occupées que jamais. Les sondeurs le confirment : faire de l’exercice constitue l’une des résolutions les plus communes chez les Québécois. On s’abonne, on s’achète l’« outfit » qui va bien, on chausse nos plus belles espadrilles, et zou ! Sur le tapis mécanique ! Han ! Que je te soulève de la fonte ! Bien qu’une majorité de ces zélés sportifs s’essouffle au bout de quelques semaines, il n’en reste pas moins que la tendance est lourde ces dernières décennies : nous sommes de plus en plus à « cultiver » notre corps sur une base régulière. Et ce n’est pas qu’une question de tactique, style « Mets tes séances à l’agenda, mais reste flexible », « Vas-y moins, mais régulièrement », « Suis un entrainement adapté avec un professionnel” ou “Fixe-toi un objectif concret, précis et à court terme”.
Au fond, au-delà de la perte de poids, du cardio ou du mieux-être (vivre en santé, une question de santé mentale aussi), cette fascination générale pour sculpter son corps (regardez les réseaux sociaux, les séries TV et les télé-réalités), associée à la marchandisation des services, répond à des motivations plus profondes… et désespérantes. Il s’agit du rapport entre notre enveloppe physique comme interface avec qui nous entoure. Une préoccupation qui existe depuis longtemps - sinon depuis toujours - dans nos sociétés : les Romains et les Grecs esthétisaient déjà le corps humain à travers la performance. Évidemment l’hygiénisme du XIXe siècle est passé par là ; aujourd’hui, on parle de saines habitudes de vie.
Surtout, alors que l’individualisme s’est imposé au fil du XXe siècle en tant que valeur cardinale, nous sommes sommés de nous bâtir une apparence de santé. À part que la maladie , la mort nous rattrapent quand elles veulent. En véritables entrepreneurs de nous-mêmes, après les rituels quasi religieux que nous suivons scrupuleusement, semaine après semaine, nous exerçons ainsi notre liberté, nous reprenons le pouvoir, nous nous sentons enfin exister ! Certains avancent l’hypothèse que la peur et l’incertitude de ces dernières décennies nous poussent davantage à trouver réconfort dans l’une des rares choses sur laquelle nous avons du pouvoir : notre corps. Notre corps comme ressource à transformer en capital existentiel, voilà la version moderne et narcissique de la nécessité d’exister !
On peut s’en lasser, c’est certain. Mais pour bon nombre de personnes, de familles telles que la mienne, on peut en être nostalgiques, croyez-moi. En effet, passer les célébrations de fin d’année (que ce soit pour les réveillons — de Noël ou du Nouvel An — ou pour les jours qui les suivent) loin de ses parents, cela n’est jamais facile. Que vous soyez immigrants, ou dans une famille dont les membres sont partis vivre ailleurs. Un ailleurs parfois sur un autre continent, au-delà des océans. Et le temps ne change rien à l’affaire : on a beau avoir de nombreux et nouveaux amis, des « parrains », « marraines », « grand-papa » ou « grand-maman » d’adoption dans notre nouveau chez nous, ils ne remplaceront jamais tout à fait la famille d’origine.
Pourtant, les repas des fêtes en famille, c’est quelque chose ! En plus, d’une véritable orgie de nourriture et de boissons — le plus souvent alcoolisées — c’est l’occasion de renouer des liens entre cousins, c’est un moment d’échange dans une bonne humeur un peu factice, mais qui fait du bien au cœur aussi. En tout cas, en général. Parce que ces événements annuels ne seraient pas ce qu’ils sont sans quelques bonnes conversations musclées. Par exemple, du côté de la famille de ma mère, ça ne manquait jamais : l’un de mes oncles, déjà fort en gueule en temps normal, devenait sous l’effet des nombreux verres (d’apéritif, le Pastis, et de vin — un vin différent à chaque plat ou service !), donc le frère de ma mère devenait alors un vrai tribun de la gauche française, prenant à partie quiconque soulevait un sourcil ou amorçait une phrase, même pour abonder dans son sens. Quand l’un de ses fils fut assez grand, ce fut avec lui qu’il échangea les pires insultes. Tout cela devant les yeux ébahis des plus jeunes. On finit par ne plus l’écouter.
Voilà un geste d’autodéfense que je vous suggère si par malchance, vous avez parmi vous un trublion de cet acabit. Ne nourrissez pas le feu, éloignez de lui tout carburant potentiel. En plus, nous vivons dans une époque de polarisation des opinions sur l’actualité, politique, sociale, économique, etc. J’ai parfois l’impression qu’à l’exception de la météo, il n’y a plus grand sujet de discussion qui puisse être abordé sans risquer un embrasement général ou des mots qui dépassent notre pensée et créent des schismes infranchissables. Et d’ailleurs, aujourd’hui, même le climat peut être l’objet de débats, pour si peu que l’on s’intéresse à ses causes… Il reste les enfants et les animaux domestiques, objets d’interminables descriptions et narrations assez consensuelles, il faut l’admettre.
Mais surtout, trouvez un cadre adéquat, sympa et convivial, peut-être en territoire neutre (pour calmer les esprits forts)… Et pourquoi pas un restaurant d’Aylmer, sur notre rue Principale, qui a tant souffert depuis le début de la pandémie ? Si vous pensez quelques instants à la rotation de commerces qui a lieu depuis 2 ans chez nous (et ailleurs), franchement, c’est affligeant ! Et plusieurs parmi ceux qui restent, surtout dans le domaine de la restauration, sont à la limite de lâcher… Que nous reste-t-il ? Alors, achetez local, mangez local, réservez tout de suite pour vos repas de fêtes dans l’un de nos restaurants, ici, à Aylmer… et passez de joyeuses fêtes de fin d’année !
J’aurais bien commencé l’année en abordant les perspectives pour les mois à venir… Mais l’actualité m’a rattrapé et ce début janvier est plutôt marqué par une immoralité latente. Je vais donc jouer au « père la pudeur », aussi grinçant et désagréable cela peut-il être.
Dès le 2 janvier, les 100 dirigeants d’entreprises les mieux payés au Canada avaient déjà touché au moins une année du salaire d’un-e Canadien-n-e moyen-n-e. Soit plus de 200 fois que ces travailleurs dont le revenu est autour de 53 000 $. En ce qui me concerne, j’en suis à gagner deux fois ce montant, et je suis « riche », objectivement et pour Revenu Canada : je me permets de ne pas vraiment regarder le prix des aliments à l’épicerie… Mais vous avez remarqué que j’ai employé le verbe « gagner », parce qu’en effet je travaille assez dur pour mériter ce salaire. Quid de ces grands patrons, dont le quotidien consiste à participer à des conseils d’administration, « impulser les politiques » de leur groupe ou « avoir une vision stratégique » ? Plusieurs remettent même en cause leur pertinence, au regard de leurs tâches effectives…
En tout cas, dans cette catégorie on place ces hautes personnalités du monde l’entreprise privée qui sont non seulement payés des millions pour leurs services à la tête de grandes entreprises, mais sont aussi très souvent comme « cul et chemise » (permettez-moi l’expression) avec nos dirigeants politiques. Oui, je sais, c’est très grave du point de vue éthique, c’est de la collusion ; nous, on parlerait tout simplement de « chums ». Par exemple, Justin Trudeau et Dominic Barton, ex-grand patron mondial de la firme de conseil McKinsey, sont chums.
Si les images peuvent tromper (leur accolade en 2017), les actions ne trompent guère : après avoir chargé le cabinet-conseil dudit Barton de penser pour lui dans le domaine de la défense, de la santé (en pleine pandémie) ou de la politique énergétique (c.-à-d. exploitation des énergies fossiles), au coût de 66 millions de dollars en 7 ans (contre à peine plus de 2 millions en 9 ans pour les conservateurs), le gouvernement Trudeau lui a confié la présidence d’un comité consultatif d’économistes chargé de la « transformation » d’immigration Canada. Certes il y a des choses à changer, à repenser, mais confier cela — et tout le reste — à une entreprise privée transnationale qui travaille juste avec les plus offrants (Russes, Chinois, Français, Américains…) sans appel d’offres et de plus en plus souvent ? Il y a là un méchant conflit d’intérêts à travailler pour tant de pays si différents, sur des sujets aussi sensibles, non ? Ça ne vous choque pas ? L’idée des 450 000 immigrants par an pour combler la pénurie de travailleurs, c’est McKinsey ! Une gang de brillants experts qui, en échange d’une rétribution mirobolante, ont organisé une dizaine de présentations et rédigé deux ou trois rapports !
Cerise sur le sundae ! Pour récompenser Dominic Barton de ces bons et loyaux services, les libéraux de Trudeau n’ont pas hésité à lui offrir le poste d’ambassadeur du Canada en Chine entre 2019 et 2021, quand il a pris sa « retraite » de McKinsey. Il me semble qu’ailleurs dans le monde — et je ne veux pas jouer mon conservateur, je ne le suis certainement pas — la société civile aurait d’ores et déjà réclamé la démission du chef de l’état pour un tel scandale. Et l’aurait obtenue.
Éditoriaux de Décembre
Surtout à ce niveau-là. On le sent, on le sait. Cage aux sports du Plateau. Finale de la Coupe du monde de football. Mais rassurez-vous, pas de commentaire sur le score, pas de dégoulinement d’émotions personnelles. Il y a plus intéressant. Mon édito aurait pu tout aussi bien porter sur une autre de ces grand-messes financées à coups de centaines de millions de dollars, qui nous accaparent ponctuellement.
Je disais donc, c’est plus que du sport. C’est de la politique, c’est un révélateur des tensions internationales, une manière pour les pays d’exister, de s’affronter sur une pelouse, dans les règles, sportivement. Sur le plan domestique, on voit également s’exacerber les tensions entre citoyens d’origines différentes : la cohésion sociale est mise à rude épreuve.
C’est du social : quel autre évènement peut rassembler autour d’une même cause tout un pays, ou mieux, plusieurs pays ? Le temps d’une demi-finale, le Maroc est ainsi devenu le porte-étendard de l’Afrique et des pays arabes réunis ! Les équipes nationales sont aussi souvent un échantillon de la société dont elles émanent ; par exemple le Canada ou la France sont un magnifique exemple de leur diversité ethnique. Chacun-e s’y reconnait. Le sentiment d’appartenance s’en trouve surstimulé, transformé par l’alchimie d’émotions puissantes et primaires. Tout cela est éphémère, unique… et si divertissant ! Malheureusement pour notre santé mentale, diraient certains (« divertissement » signifie sortir de la voie, donc perdre de vue ce qui est important, un buzz temporaire) ; heureusement, répliqueraient d’autres : il est bon d’oublier nos soucis de temps à autre. Parce que la Coupe du monde, c’est d’abord du grand spectacle, avec des héros (les joueurs, dieux du stade modernes), des rebondissements (les éliminations surprises ou les blessures), du suspense (le retour de la France à 2-2 après 70 minutes et puis les tirs au but comme ultime épreuve). Facile d’être accro.
C’est du philosophique : l’événement qui place le pays hôte sur la carte l’ouvre au reste du monde, l’incite à se moderniser, par la construction d’infrastructures nouvelles, mais également en changeant ses perspectives, ses habitudes, ses mœurs. Le foot devient alors un facteur de démocratisation, un vecteur de progrès social (peut-être davantage de petites filles qataries joueront-elles au soccer à l’avenir ?). Toutefois, entre le traitement indigne des dizaines d’ouvriers morts pour édifier les stades, la corruption pour l’octroi de la compétition ou pour simplement adoucir l’image du Qatar, et les interdictions sur place pour les spectateurs, on peut en douter.
Le plus étonnant reste : comment et qui a pu penser qu’organiser un tel évènement au milieu du désert, dans un pays où le « foot » est quasi-inconnu, en hébergeant plus de deux millions de spectateurs, était une bonne idée ? Et avec aplomb, annoncer la Coupe du monde la plus « verte » de l’histoire ? Le Qatar produit 99 % de son électricité grâce au pétrole et ne possède littéralement pas d’eau douce et potable. Ce qui restera un record, c’est la quantité de GES produite ; et la « compenser » n’y changera rien ! En 28 jours, cela aura équivalu à 775 000 voitures ayant roulé pendant un an !
Ah ! J’oubliais, le sport à ce niveau-là, c’est quand même aussi… du sport, mais plus grand que nature, une performance physique et technique (artistique ?) qui peut constituer une inspiration pour tous, amateurs et pratiquants.
J’aurais pu écrire en sous-titre « Ou comment éviter de scier la branche sur laquelle nous nous trouvons ». Nous, humains, aimons bien les chiffres, de petits signes visuels qui symbolisent parfois des quantités ou des idées inimaginables. Mais on peut leur faire dire ce que l’on veut. Une bonne illustration en est le 30 %, objectif majeur de la COP15 sur la biodiversité à Montréal. 30 % des milieux naturels terrestres et marins protégés d’ici 2030. Super ! Rien que dans le sud du Canada, il ne reste déjà plus que 7 % de milieux naturels préservés. Donc, au Québec, notre gouvernement caquiste peut respecter cet objectif tout en ne protégeant en fait que des zones peu habitées, voire inhabitables, et continuer de laisser aux promoteurs et aux industries l’initiative du développement du territoire. Un vrai tout de passe-passe d’écoblanchiment !
Soyez rassurés cependant, si la flore et la faune sont toutes deux en péril, si l’humanité telle qu’elle vit aujourd’hui est en péril, la planète, elle, ne l’est pas : elle nous survivra, d’une façon ou d’une autre. En attendant, comme la COP 15 de Montréal le souligne fortement, on observe une accélération historique de la disparition des espèces vivantes, qui constituent chacune, faut-il le rappeler, un maillon de l’écosystème dans lequel nous vivons. Désormais, ce sont 70 % des écosystèmes de la planète qui sont dégradés ou perdus. Et notre coin de pays ne fait pas exception : regardez autour de chez vous ce qu’il en reste de « la Nature » ! Et je ne parle pas juste des arbres ! En effet, nous avons la chance énorme d’être entourés d’eau douce. Partout ailleurs dans les pays du Nord, les citoyens payent pour l’eau qu’ils consomment en vertu de la règle plus que logique de l’utilisateur payeur. 90 % de récifs de corail (qui abrite 6000 espèces et 30 % de la vie marine) disparaitront d’ici 2040 ou qu’un million d’espèces végétales et animales soient en voie d’extinction.
Chez nous, la rivière des Outaouais et les lacs avoisinants abritent des centaines d’espèces variées de plantes et d’animaux, qui déclinent voire meurent sous les effets conjugués de la prolifération d’espèces envahissantes, du développement urbain et de la pollution d’origine résidentielle et industrielle. Nous avons tous entendu parler de la reinette faux grillon, sur laquelle j’avais personnellement été interpellé, sans savoir quoi faire… Elle est maintenant protégée, mais il y en a tant d’autres !
Aux sceptiques, je dis : vous croyez être à l’abri des inondations, des tornades, de la sécheresse dévastatrice pour les cultures, des canicules, des problèmes respiratoires ou de la multiplication des virus aériens ? Mais si vous vous vous sentez tout simplement-e, je réponds : pourquoi ne pas signer une pétition aujourd’hui, faire un don à des organisations comme Garde-rivière des Outaouais demain, acheter des produits d’entretien bio en fin de semaine, participer au nettoyage de la forêt Deschênes au printemps, vous adresser à votre représentant politique occasionnellement ou encore vous impliquer dans votre association de quartier ? Les options sont nombreuses, il ne tient qu’à vous d’agir ! Paradoxalement, la COP 15 risque de s’achever sans objectif chiffré, à cause de l’obstruction de certains pays… Or, réintroduire de la biodiversité est un levier majeur, sinon essentiel, à la lutte contre les changements climatiques, l’ignorer est tout simplement criminel.
Qu’il s’agisse de Plan particulier d’urbanisme (PPU) pour le Vieux-Aylmer, de la bisbille autour du 19-21 rue du patrimoine (derrière l’immeuble du café « La Femme à marier ») ou de la récente conférence « Densification et patrimoine » organisée par l’Association du patrimoine d’Aylmer (APA), on devine aisément quel est l’enjeu qui se dessine là… Mais la véritable question à long terme est plutôt : à quoi ressembleront nos villes et nos logements dans le prochain siècle ? Question autour de laquelle ont tourné les cinquante derniers débats et table ronde de l’université de la terre sous l’égide de l’UNESCO, rien que ça ! 10 000 participants, près de 300 intervenants il y a peine deux semaines à Paris.
La densité urbaine est souvent amalgamée à la densité de population (nombre d’habitants au kilomètre carré) ; ce concept de concentration humaine, qui a pour corollaire la densification — son processus — a correspondu en réalité à différentes visions urbanistiques… et politiques : depuis la vision hygiéniste face à l’insalubrité de plusieurs quartiers par le passé, en passant par la pensée fonctionnaliste pour répondre au baby-boom de l’après-guerre, avec ses grands ensembles et la verticalité de ses tours. Mais, quel que soit l’aménagement urbain, encore faut-il en partager les ressources, y bien vivre, dans une communauté bienfaisante. C’est seulement depuis le rapport Bruntland (ONU, 1987) que la densité urbaine revient au premier plan, associée à la notion de développement durable.
C’est maintenant l’Alpha et l’oméga du développement des villes, à Gatineau comme ailleurs, et un enjeu majeur à l’ouest de la ville. L’exode rural vers les villes des derniers siècles a conduit à une saturation des réseaux et à quantité de problématiques plus criantes que jamais : développement des transports en commun, gestion des déchets, accès aux services (santé, éducation, alimentation), accès au logement (abordable) ; et avec la crise climatique, aménagement de « poumons », d’espaces verts qui évitent les îlots de chaleur et la pollution atmosphérique. A fortiori si l’on pense la ville comme une juxtaposition de quartiers spécialisés (affaire, résidentiel, industriel, etc.), au lieu de miser sur la mixité fonctionnelle, soit dit en passant seule alternative à un réseau de transport exceptionnel et très couteux. Mesdames et messieurs de la mairie, c’est pour vous !
Je terminerai en rappelant qu’en matière de densification urbaine, l’expérience d’une ville-état comme Singapour — l’exact opposé de Gatineau et de toutes les villes continentales, certes — peut nous aider à réfléchir. En effet, nous avons la plus grande difficulté à envisager de construire vers le haut et à utiliser chaque centimètre carré : notre histoire canadienne s’est faite horizontalement, à coup de déboisement et de rangs, au sein d’un espace que l’on pourrait croire infini. Voilà deux principes de densité urbaine que nous acceptons avec grande difficulté. Les Singapouriens passent leur temps à détruire leurs habitations pour en construire des plus grandes des plus hautes, des plus modernes à étendre les terres constructibles, en assurant une qualité de vie extraordinaire.
Cependant, ne vaut-il pas mieux améliorer l’ancien plutôt que construire du neuf ? Revitaliser les petites villes plutôt que d’étaler les métropoles ? Les GES, c’est surtout lors de la construction qu’ils sont émis, en plus de consommer beaucoup de matériaux énergivores et d’accélérer l’artificialisation des sols naturels et agricoles. Alors, restaurons, rénovons, adaptons, créons des espaces verts et rendons les espaces publics… aux citoyens !
Sur les 60 témoins entendus par la commission Rouleau sur l’état d’urgence de février dernier, combien croyez-vous étaient francophones ? Et combien ont parlé en français ? Seulement trois hauts fonctionnaires du Service canadien du renseignement de sécurité ? Dominique Leblanc, acadien, ministre des Affaires intergouvernementales, de l’Infrastructure et des collectivités ? Justin Trudeau? En réalité, un seul témoin a entièrement communiqué en français : Steeve Charland, un Québécois leader du groupe des Farfadaas, un groupe d’opposants aux mesures sanitaires ! Sympa comme image des Francos !
Mais enfin, il s’agissait d’une commission fédérale ! Vous savez, ce palier de gouvernement qui prétend défendre le français et prône l’emploi des deux langues officielles au travail? Et bien, même dans ce genre d’événement, il ne serait donc pas possible d’échanger dans la langue de son choix, en l’occurrence le français ? Faits intéressants : la traduction simultanée était offerte et le juge Rouleau, qui préside cette commission, est franco-ontarien ! Que s’est-il passé ?
La réponse est simple. Et triste. La plupart des témoins francophones trouvent l’anglais plus « facile », plus « confortable » et normal, puisque certains avocats ne parlent pas le français. Comme c’est mimi ! Comme c’est généreux ! On pourrait aussi y voir de l’aplaventrisme, corollaire d’une insécurité linguistique généralisés, résultat de l’anglonormativité (l’anglais est la langue dominante, on doit être capable de se faire comprendre et de l’utiliser en toute circonstance), bref comme une forme de « racisme » linguistique systémique, puisque relié aux structures du pouvoir. La moquerie subie par le conseiller municipal Mathieu Fleury durant son témoignage en est d’ailleurs un exemple parfait.
Alors, pour régler le problème, pourquoi ne pas suivre les conseils de la ministre Mona Fortier ? On va « continuer à suggérer d’utiliser les deux langues officielles partout ». Et bien, avec ce genre de mesure puissante, on n’est pas sorti de l’auberge ! Et on comprend mieux pourquoi la modernisation de la Loi sur les langues officielles, promise depuis 2015 par le gouvernement libéral de Trudeau n’a toujours pas été adoptée, alors qu’elle est à l’étude depuis mars dernier. Et je ne parle même pas du contenu de ladite loi, clairement pas à la hauteur des enjeux réels de la survie du français au Canada.
La situation est vraiment préoccupante. À l’image de la francophonie institutionnelle, celle de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Cet organisme unique au monde réunit 88 pays et états francophones et mène des actions pour créer des ponts entre les 320 millions de francophones. Or, l’OIF a pour secrétaire-générale la citoyenne d’un pays qui a non seulement abandonné l’organisation, mais également le français lui-même, en adoptant l’anglais comme langue officielle ! Elle a été placée là par Emmanuel Macron, le président français, pour des raisons politiques. De plus, le Sommet de la Francophonie s’est tenu la semaine en Tunisie, un pays dirigé certes par un président élu, mais qui, depuis, a dissout le parlement et s’est arrogé les pleins pouvoirs. Bel exemple de démocratie ! On rétorquera que l’OIF aborde des enjeux d’aujourd’hui, dans une perspective multilatéraliste : l’éducation des jeunes, l’entrepreneuriat féminin comme facteur de croissance économique, la culture numérique, la « défiance citoyenne » envers les gouvernements… Ne sont-ce pas les problématiques du futur pour une francophonie de l’avenir ? Et au Canada? Demandez à nos décideurs ce qu’ils en pensent, ici, dans notre beau pays bilingue. Juste pour rigoler… ou pleurer.
Éditoriaux de Novembre
J’ai fait mon laïus auprès de mes élèves les plus âgés, parce que je ne pouvais décemment pas l’ignorer. Appelons-le enseigner l’esprit critique ou l’éducation citoyenne, mais certainement pas de la partisanerie. Parce qu’objectivement, utiliser nos impôts pour payer un voyage à la COP 27, en Égypte, aux quatre entreprises pétrolières les plus grosses au Canada, sous prétexte qu’il faut maintenir le dialogue avec ces immenses pollueurs, qu’ils « font partie de la solution », c’est une honte. Ironie extrême : ces sociétés, qui exploitent les sables bitumineux et le gaz de schiste, se sont présentées en tant que championnes de la transition écologique ! En effet, ne vont-elles pas « capturer » le dioxyde de carbone et l’enfermer à tout jamais ? C’était un peu comme inviter un pyromane à trouver des solutions aux feux qu’il a allumés et puis qu’il propose de planter quelques arbres en retour.
À part ça, ça va bien. On voulait réaffirmer que l’objectif de tous les pays de la planète, mu par le même souci du bien commun, était de sortir de l’exploitation des énergies fossiles, rien n’est dit dans le texte final. On visait un maximum de 1,5 degrés d’augmentation des températures moyenne, c’est mentionné du bout des lèvres ; en vérité, tout le monde sait que ce sera infaisable… Mais on ne les dépassera pas, promis, juré, craché ! Et le Canada est le premier à l’affirmer avec force. Le dire, c’est une chose, mettre en œuvre les moyens, en est une autre.
Par ailleurs, le deuxième résultat – historique, lui - de cette COP, mais dont le sujet apparut incidemment à l’ouverture de la réunion, est de prévoir un mécanisme, un fond permanent de dédommagement des pays victimes de catastrophes climatiques ; un genre d’assurance tout risque rapidement débloquée en cas de sinistre environnemental. C’est beau, c’est nouveau, et c’est une initiative des Pays du Sud, les mêmes qui polluent le moins, mais en subissent le plus les effets. Seul petit problème : les plus gros pollueurs de la planète (la Chine et les États-Unis pour ne pas les nommer) ne veulent pas y contribuer ! On ne sait toujours qui va payer ! Et quid du dédommagement des pays colonisés pendant les 150 dernières années d’exploitation et de pollution, et victimes massives aujourd’hui de la crise climatique ? Oups ! On l’a oublié !
Quand on apprend qu’il y avait à Charm el-Cheikh plus de lobbyistes proénergies fossiles que de groupes défenseurs de l’environnement et de la biodiversité, on comprend vite que l’optimisme de notre ministre fédéral de l’environnement, passé maitre dans la langue de bois, avec ses expressions atténuantes et ses déclarations creuses, n’est guère plus qu’un murmure éphémère. Cette fois-ci, les libéraux de Trudeau ont accouché d’un nouveau concept : le Défi mondial sur la tarification du carbone ! Commencez par atteindre les objectifs que vous vous êtes donnés dans votre propre pays, les gars, et on en reparle.
On a beau dire que le dialogue entre les états est nécessaire, que les COP sont juste le reflet ponctuel de l’état d’avancement de nos actions, la pilule est amère à avaler : c’est par une débauche d’allées et venues créatrices de GES, dans une station balnéaire pour les riches, que ces discussions ont lieu et mènent plus à de belles paroles (et encore !) qu’à des actes concrets.
Vous êtes de petits coquins ! Ne vous sentez pas personnellement visé-e, mais vous m’avez forcé à chercher dans mes textes passés, afin de vérifier que je ne me trompais pas. Et en effet, j’évoquais encore à l’époque (au printemps dernier, et avec un optimisme très modéré) le maintien du réchauffement climatique à 1,5 degré. Et bien c’est définitivement terminé. Le bilan est limpide : aucun des engagements pris dans les Conférences des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques précédentes n’est suffisant. Ces derniers seraient réalisés — ce qui n’est même pas le cas — que nous nous dirigerions toute de même vers du 3 degrés ! Or, aucun des 40 indicateurs de progrès élaborés par les chercheurs du rapport L’État de l’action climatique 2022 n’a évolué dans le bon sens à ce jour !
La 27e COP a commencé dimanche dernier à Charm el Cheikh ; elle durera jusqu’au 18 novembre et tentera de « renouveler la solidarité entre les pays du monde afin de concrétiser l’accord historique de Paris. » Dans ce noble but — sauver le monde, rien que ça ! — les chefs d’État, les ministres, les négociateurs, les militants proclimat, les maires, les chefs d’entreprise et les lobbyistes de tous horizons vont plancher sur les solutions à la crise climatiques et le respect de leurs engagements.
Comme si l’on ne connaissait pas les solutions. Comme s’il fallait attendre la COP pour tenir ses promesses. Comme si l’on n’avait pas compris que les efforts chez nous, c’est bien, mais financer les efforts dans les pays du sud global, c’est mieux. En 2015, la COP avait abouti à une promesse de leur verser 130 milliards de dollars par année, à partir de 2020 (vous voyez un peu comment ça fonctionne. Ça ne vous rappelle pas certaines promesses libérales ?). Ce chiffre n’est même pas atteint en 2020, alors vous pensez, en 2022 ! Parce qu’évidemment, l’effet de reprise post-COVID étant passé, nous sommes désormais empêtrés dans une récession (que nos élus osent à peine nommer telle) et dans une crise énergétique sans précédent depuis 50 ans. Dès lors, où trouver l’argent ? D’ici le 18 novembre, une fronde des pays les plus pauvres — qui sont, comme par hasard, les plus touchés par les catastrophes naturelles — n’est pas impossible…
Et je ne parle même pas de reconnaitre les pertes et les dommages que ces pays ont subis dans le passé, du fait de la responsabilité historique de quelques pays, dont le Canada, dans la crise climatique actuelle. Quid des actions entreprises par les plus grands pollueurs de la planète, l’Inde, la Chine, la Russie et les États-Unis ? Seules 24 « parties » ont déposé une mise à jour de leur cible de réduction des GES.
Pourquoi la mise en place des solutions contre la crise climatique n’avance-t-elle pas plus vite ? D’abord à cause d’une incompréhension profonde de la situation, qui n’est pas seulement physique, économique et technique, mais sociopolitique : les lobbys, les intérêts divergents des états nationaux s’ajoutent à l’impossibilité intellectuelle de se projeter, de se figurer les conséquences matérielles de la crise. Et on vous les donnerait, vous n’y croiriez pas ! Ainsi est fait le cerveau humain… Je désespère que les états participants à la COP 27 aient l’honnêteté de reconnaitre le pétrin cosmique dans lequel nous nous trouvons.
Il y a deux semaines, deux militantes de Just stop oil avaient jeté le contenu d’une boite de conserve de soupe de tomate sur la toile « Les Tournesols », à la Galerie nationale de Londres. Argument avancé en public sur la vidéo virale : « Qu’est-ce qui a le plus de valeur ? L’art ou la vie ? ». Une manière d’attirer de façon très visuelle (pensez aux couleurs ainsi associées !) l’attention médiatique, selon ces militantes écologistes. Une manière aussi de rappeler à l’ordre un gouvernement qui veut continuer l’exploitation des hydrocarbures sous prétexte de crise énergétique.
Ce n’était pas une première dans la capitale britannique, c’est même un stratagème séculaire. Mais convenons que cela a fonctionné. Heureusement, l’œuvre célèbre de Van Gogh était protégée par une vitre. La semaine dernière, à Berlin, deux écomilitants de Last generation ont lancé de la purée sur « Les Meules », un tableau du peintre impressionniste Claude Monet. Dans les derniers mois a eu lieu une véritable épidémie de « performances », qui n’ont rien d’artistiques, mais sont plutôt politiques.
Vous avez trouvé cela choquant ? Vous ne comprenez pas la relation entre le pot de jus de tomate ou de purée et les œuvres ? C’est tout à fait normal : l’objectif n’était pas d’attirer la sympathie du grand public ou de faire de l’art, il était purement médiatique. D’ailleurs, sur le fond, tous ces activistes qui désespèrent de voir nos gouvernements bouger, changer de paradigme, ont-ils réellement tort ? Certes, nous aurions été désolés de voir le tableau de Van Gogh, d’ailleurs méconnu et ignoré par ses contemporains, abîmé, mais qui se révolte de la disparition de la surface de la Terre d’une espèce vivante (animale ou de plante) chaque 20 minutes ? Et même si seulement la moitié de ces 26 000 extinctions sont le fait de l’activité humaine, avouez que ce chiffre est effarant. Notre indignation collective est pas mal à géométrie variable.
De plus, les musées ne symbolisent-ils pas l’élitisme culturel et les gouvernements, souvent même utilisés par ces derniers dans les relations diplomatiques et pour raconter une version idéologique de l’histoire nationale ? “Les Tournesols” valent aujourd’hui près de 40 millions de dollars, “Les Meules”, 111 millions de dollars. Des prix pour un art seulement accessible à des “investisseurs” privés - princes, magnats de l’industrie, patrons de start-up milliardaires ou traders qui jouent avec nos épargnes - ce 1 % qui accapare 80 % de la richesse mondiale.
Un paquet de gens, y compris moi, en ont ras le bol. On change nos habitudes de consommation, on tente de convaincre nos proches, on manifeste, on se dit qu’en s’impliquant politiquement ou dans des associations, les choses changeront. Mais la situation environnementale et sociale se dégrade plus vite que les états n’agissent… Quel score a fait le Parti vert du Canada aux dernières élections ? Qu’a changé Steven Guilbault depuis qu’il est ministre fédéral ?
L’action perturbatrice est donc une voie possible, quitte à faire ce que Gandhi et sa marche du sel, Rosa Parks et son boycott ou les Baltes en chantant ont fait. Une révolution pour répondre à une crise profonde et injuste de leur société. Alors, bloquer l’entrée d’un site de chargement de pétrole, s’enchainer à des grues sur le point de détruire des écosystèmes cruciaux, faire un sit-in quotidien devant les bureaux de nos représentants politiques, pourquoi pas ?
Éditoriaux d'Octobre
Nous pourrions nous réjouir d’entendre la mairesse Bélisle annoncer son intention de placer dans la liste des enjeux à présenter au gouvernement provincial fraîchement élu le projet de tramway à l’ouest de la ville. Cependant, pourquoi le remettre sur la table, alors qu’ à part pour le palier fédéral - merci Greg Fergus - il fait déjà consensus ?
Personnellement, je ne comprends pas. S’assurer (à nouveau) que le gouvernement « continuera » dans ce projet nécessaire, structurant et écologiste ? Instiller un doute sur sa pertinence sans le remettre en cause frontalement ? J’ai un doute sur les motivations profondes de notre nouvelle élue. N’a-t-elle pas elle-même parlé de le « repositionner » ? Creusons un petit peu.
Visiblement, les autorités fédérale et provinciale ne s’entendent pas sur le financement et la gestion de ce projet qui sont désormais interprovinciaux, depuis que l’arrimage avec le système de transport ottavien a été acté par toutes les parties. La ville et la STO déclarent vouloir garder en ligne de mire le rail plutôt que la route (l’autobus), mais l’harmonisation des deux réseaux semble problématique… Se désengager de cette initiative telle qu'elle est aujourd'hui est-ce la solution ? En tout cas, le résultat est clair : le financement pour l’étude de l’avant-projet n’est même pas encore arrivé !
Or, à trop tarder, nous allons avoir dans 10 ans un moyen de transport dont la technologie datera d’il y a 15 ans, celle utilisée par Ottawa avec le succès — mitigé — qu’on lui connait. On parle -là d’un « retard » de 25 ans. Une génération ! Veut-on vraiment de cela ? Quelle vision d’avenir, quel leadership environnemental cela illustre-t-il ? Puisqu’il s’agit d’un enjeu de gouvernance, la ville pourrait reprendre la main et changer le tracé, abandonner l’idée du lien interprovincial, réviser le choix de la technologie… Mais cela signifie également repartir de zéro !
En réponse à ces atermoiements, la réponse de nos élus est molle ; ni Mathieu Lacombe ni Greg Fergus ne semblent prendre la mesure de la frustration de la population ; ils disent « continuer à travailler avec tous les partenaires ». Pour ? Rien : aucun résultat tangible dans un dossier dont j’entends parler depuis mon installation dans la région en 2005 ! Ils manquent tout simplement de leadership. Ou bien le député McKinnon et son souhait d’un sixième pont à l’est de la ville a-t-il plus de poids auprès de Trudeau que notre représentant dans Hull-Aylmer ?
Ce qui est certain, c’est que toutes les études montrent que le tramway, en plus d’être moins polluant, représente le meilleur moyen pour répondre aux enjeux de transport collectif en général : il permet de transporter deux fois plus de gens que des autobus et l’on sait qu’une plus grande rotation de petits transports vaut mieux qu’un autobus accordéon à la demi-heure, fût-il un service rapide par bus. À l’horizon 2030, poursuivre sur la lancée du Rapibus signifierait en effet davantage de congestion routière et plus de GES.
L’argument qui prévaut en ce moment de la complexité extrême du projet, parce que nécessitant une coordination entre cinq gouvernements distincts, ne doit pas nous faire oublier une chose : le projet d’un transport structurant et écologique à l’ouest de la ville est absolument nécessaire. Et entre nous, on en a un peu assez d’être les parents pauvres de l’accessibilité aux services essentiels ici, à Aylmer.
Et oui, il arrive parfois qu’au-delà des paroles creuses que l’on entend de-ci de-là sur l’importance du français, sur la nécessité de le soutenir, par une rénovation de la loi sur les langues officielles (au Canada) ou de la loi 101 (au Québec), il arrive alors que des actes forts consacrent la langue de Corneille, de Rostand et de Miron comme langue universelle. Décerner le prix Nobel de littérature à une écrivaine française en est un sacré !
Mais revenons d’abord sur le processus qui conduit à ce résultat pour mieux en comprendre la portée. Chaque année depuis 1901, en mémoire d’Alfred Nobel qui créa l’Académie du même nom, on remet un prix à cinq personnes (ou groupes) ayant rendu service à l’humanité dans cinq disciplines : paix, littérature, chimie, médecine et physique ; celui d’économie, créé en 1968, est le seul qui ne figurait pas dans le testament de l’illustre Suédois. Les lauréats sont annoncés en octobre et reçoivent leur prix (environ 870 000 euros chacun) en janvier.
Cependant, ils doivent respecter plusieurs critères pour y être éligibles. Déjà, contrairement à l’Académie française, personne ne peut se présenter soi-même, les candidatures proviennent de diverses académies dans le monde, de figures reconnues, de personnalités qualifiées dans leur domaine. Les candidatures sont ensuite sélectionnées une première fois par un comité spécial composé de cinq académiciens aidés par des conseillers et des experts internationaux, et élus pour trois ans. Avant l’été, cinq noms ressortent de ce tri dans chaque discipline. Les mois suivants sont occupés à la lecture en profondeur de leurs œuvres. Après une dernière rencontre mi-septembre, le vote est organisé ; la décision est prise à la majorité des voix. L’âge, l’origine géographique et le sexe n’y font rien théoriquement, mais évidemment, depuis sa création, une majorité d’homme blancs anglophones ont reçu le Nobel. Les choses ont changé depuis 2018, suite à un scandale qui a forcé l’Académie à revoir ses critères de sélection. Malgré tout, recevoir ce prix équivaut encore à une reconnaissance prestigieuse, à une consécration : l’œuvre primée doit se démarquer par son ampleur, son style unique et parce qu’elle « fait preuve d’un puissant idéal ».
Après le romancier anglais d’origine tanzanienne Abdulrazak Gurnah et la poétesse américaine Louise Glück, cette année, la Française Annie Ernaux s’est vue récompensée « pour le courage et l’acuité clinique avec lesquels elle met au jour les racines, les éloignements et les contraintes de la mémoire personnelle ». Elle aborde les thèmes de la mémoire, mais aussi des rapports de domination sociale, des femmes. On parle ici du genre autobiographique, qui touche à l’universel à travers le particulier. Un tour de force, dans ce qu’elle nomme une « autobiographie impersonnelle ».
Contradictoire ? Assurément. Sa perspective est iconoclaste, tout à fait particulière. Elle le dit elle-même : « Pour moi, chaque mot doit avoir la lourdeur du vécu. Je recherche la densité des mots […] J’essaie de justement de déjouer tout ce langage qui classe et hiérarchise. ». Elle est la seizième Française à recevoir le prix Nobel, et la dix-septième femme. Son premier succès international ? Les Années (Gallimard, 2008). Son dernier roman ? Le Jeune Homme (Gallimard, 2022).
Au-delà de la nationalité de la récipiendaire du Nobel de littérature, qui a tout pour nous rendre fiers en tant que francophones, c’est surtout une victoire de la littérature elle-même.
Selon Élections Québec et Statistiques Québec, ce sont respectivement, et du premier au dernier, le montant de votants, de citoyens inscrits et de Québécois au total. Il y a plusieurs conclusions évidentes à tirer de ces trois nombres, il suffit d’en regarder les deux premiers chiffres !
Pour commencer, seulement deux personnes sur trois ont fait le déplacement pour exercer leur droit. Ce n’est clairement pas assez pour une démocratie, mais si l’on se souvient du chiffre des élections municipales (33 %), on se console, comme dit l’expression ! Et c’est égal au taux de participation de 2018. Alors ? Alors… La participation stagne depuis plusieurs années, avec une tendance à la baisse sur un demi-siècle, toutes élections confondues. Certains pourraient demander que le vote soit rendu obligatoire… D’autres rétorqueraient aussitôt qu’on leur prend une liberté de plus…
Que faire ? Il y a manifestement un désintérêt croissant pour la politique (partisane), une perte de confiance énorme, une perte du crédit donné à nos gouvernements pour accomplir leur mission, pour prendre soin de la population. C’est grave. Et si l’on comptabilisait le vote blanc, par exemple, comme l’expression véritable d’une fidélité à la démocratique, et non seulement comme un désaveu des forces en présence ?
Ensuite, la CAQ, qui se targue d’avoir « un mandat clair » de la population, ne récolte finalement que 41 % de 66 % ; un quart (soit à peine un sur deux) des électeurs ayant voté, soit un-e Québécois-e sur quatre. Vos deux voisins, celui de droite et de gauche, mais aussi celui au centre en face de vous, n’ont pas voté pour le premier ministre de la continuité Legault. Vu sous cet angle, cela parait incroyable, non ? Avec leurs 600 000 votes et leur soi-disant « mandat fort », eux aussi, les libéraux devraient moins claironner : s’ils avaient la moindre parcelle d’intégrité politique et morale, ils devraient plutôt reconnaitre que, dans les faits (en termes de soutien populaire), ils sont troisièmes derrière QS… et pas mieux que le PQ. Ajoutez-y le PCQ, qui les talonne !
Ces quatre partis font pitié, disons-le. Pour des raisons différentes et que l’on peut déplorer ou pas, selon nos préférences. Cependant, objectivement, entre un parti libertarien — naissant et opportuniste — un parti qui a perdu le Nord — et racole ce qu’il peut, cantonné qu’il est à Montréal — un parti qui a retrouvé son Nord, mais dont les électeurs voient de moins en moins la pertinence — et un vrai parti de gauche, qui a la justice chevillée au corps, mais qui s’est converti au wokisme et au multiculturalisme — comment faire pour qu’ils soient justement et dignement représentés à l’Assemblée nationale ? Peut-être, introduire de la proportionnalité dans un scrutin uninominal majoritaire à un tour venu directement des temps anciens du dominion britannique ?
C’est pour cette même dernière raison qu’aucun parti n’est prêt s’allier à un autre, prêt à collaborer pour monter une liste électorale ? N’y a-t-il donc aucun point commun, aucun terrain d’entente, aucun dénominateur commun entre vous ? Quelque chose qui permettre au Québec de gagner contre les crises que nous traversons, quitte à y perdre un peu ? La « tradition parlementaire », le système britannique ont bon dos. Pour le bien de tous, s’il vous plait, mettez vos ego de côté, soyez humbles et surtout, soyez pragmatiques !
Au moment où j’écris ces lignes, je ne connais pas le résultat précis des élections provinciales. Évidemment, la CAQ va rester aux commandes du Québec, avec une majorité de sièges… et la plus forte minorité de voix parmi les partis en présence. Le résultat d’une distorsion systémique qui a posé et pose un problème grandissant de représentativité démocratique.
Cependant, il existe au moins un sujet qui nous concerne tous (simples citoyens, associations, entreprises, partis de droite comme de gauche — si cette dichotomie existe encore —), un sujet qui fait l’unanimité, mais largement galvaudé et que certains toutefois dénoncent. La transition énergétique doit pourtant une priorité absolue — oui, devant l’inflation, l’immigration ou l’économie — pour le nouveau gouvernement.
Pour comprendre ce concept, il faut se rappeler que notre dépendance aux énergies fossiles (essentiellement pétrole, gaz et charbon), en remplacement des énergies traditionnelles (l’eau et le bois) et au détriment des énergies renouvelables (marémotrice, éolienne, solaire, etc.), cette addiction est un choix qui date de la fin du XVIIIe siècle pour répondre à la poussée démographique et à l’accroissement des productions en Europe.
C’est dans les années 1860-1870 que l’hégémonie du charbon se réalise… peu après remplacée par celle du pétrole, à l’orée du XXe siècle. La Première Guerre mondiale marque le début du règne de l’automobile, la seconde celui de l’avion. À l’époque, une convention impose même à tous les états de vendre le kérosène à prix coutant, sans taxe. Cette mesure, qui devait permettre la mobilité du plus grand nombre, nous a juste collectivement précipités dans l’une des crises existentielles les plus graves que l’humanité ait jamais traversées. Nous n’en sommes toujours pas sortis : réfléchissez-y bien, notre mode de vie est littéralement basé sur l’automobile. Et qui est prêt à en changer ? Vous ? Moi ?
Or, plusieurs nous ont prévenus depuis longtemps, bien avant que se présente l’enjeu climatique dans les années 1970, avec la découverte du trou de la couche d’ozone. L’historien Lewis Mumford, le philosophe Ivan Illich ou l’économiste Alfred Sauvy ont entrevu l’impasse du « tout-auto » (autrement appelé la « mentalité moteur »). Mais qu’arrive-t-il aujourd’hui ? Tous les constructeurs, avec l’aval de nos gouvernements, nous présentent l’automobile électrique comme la solution, un transport propre (quid de sa construction ?), en oubliant de parler de la production d’énergie en amont, par des centrales thermiques ou nucléaires… Objectif d’ici 2050 : la neutralité carbone, qui se fera à coup de subventions massives qui elles-mêmes vont augmenter la pression fiscale, au détriment des revenus et de la redistribution dans des domaines tels que la santé et l’éducation.
De surcroît, le problème demeure que nos solutions ne sont valables que si elles sont également appliquées par les autres régions du monde (90 % de la population mondiale). Nous sommes par ailleurs consommateurs de produits de plus en plus énergivores : électronique de nos véhicules, téléphones 5G, cinéma-maison, frigos ou maisons connectés, métavers… Tous friands de minerais rares, au point que les énergies renouvelables ne pourront probablement pas y suffire. Et c’est sans compter que l’être humain n’a jamais autant brûlé de charbon et de pétrole ! Au fond, une véritable transition énergétique requiert deux actions simples dans les actes — mais difficiles psychologiquement : diminuer notre consommation d’énergie, voire notre consommation tout court ; et limiter l’utilisation de l’automobile et de ces variantes !