Alain Deneault et son œuvre
Vendredi dernier, une rencontre rare avec l’un des grands penseurs de notre temps – rien de moins - a eu lieu dans l’une des deux librairies indépendantes que nous avons la chance d’avoir ici, à Aylmer. Le philosophe Alain Deneault a passé presque deux heures entre les murs de Bouquinart, sur l’invitation des copropriétaires, Claudia et Joanne, sa mère. Le penseur originaire de Gatineau a répondu aux questions éclairées de Nicolas Pelletier, journaliste et animateur à l’émission de Radio-Canada « Les Malins ».
Si Alain Deneault a grandi en Outaouais, il a obtenu ses diplômes universitaires principalement en France. En plus d’être directeur de programme au Collège international de philosophie à Paris, il enseigne la philosophie et la sociologie à l’université de Moncton, où il vit. Il a étudié en particulier la philosophie allemande de Georg Simmel, mais se trouve être l’un des rares philosophes francophones de haute volée à être capable de penser le concept d’économie. Depuis le début des années 2000, il a entrepris de vulgariser la philosophie à travers des activités publiques, telles que des conférences, des rencontres et la publication de plus de 20 livres. Trois maisons d’édition l’hébergent (Lux, Écosociété, VLB) et lui servent de porte-voix sur des sujets aussi variés que les paradis fiscaux, le Canada et la corruption en Afrique, l’industrie minière, la démocratie, la politique, les entreprises multinationales et évidemment l’économie. D’ailleurs, il redéfinit les contours de ce dernier domaine à l’aune de son sens étymologique : la mise « en relation » de différents éléments « de façon féconde » et avec une idée de « juste mesure », y compris dans l’équilibre à maintenir avec la nature ; l’économie est en fait un concept transversal qui s’applique à tous les domaines (théologie, rhétorique, linguistique, esthétique, psychanalyse, droit, etc.), loin de son acception néolibérale liée aux enjeux de marché, comme l’exploitation outrancière des ressources naturelles, la production intensive, la distribution ou la (sur) consommation. Sa dernière parution, Mœurs. De la gauche cannibale à la droite vandale est une analyse originale et pertinente de la fameuse « polarisation », dont on ne cesse de parler pour qualifier le paysage politique dans nos sociétés modernes.
En tout cas, la conférence-discussion à Bouquinart ne visait pas à promouvoir ou discuter de l’un des essais d’Alain Deneault en particulier, mais bel et bien à échanger sur l’ensemble de son œuvre et ses enjeux variés, qu’ils soient sociaux, culturels, économiques ou politiques. La période de questions du public (90 personnes dans un atmosphère – intellectuellement - surchauffée) a également tenu ses promesses. S’il est courant que l’on s’attende des philosophes qu’ils répondent à toutes les questions possibles, ce fut le cas… Cependant, l’auteur s’est prêté à l’exercice avec générosité et passion, de l’usage plus ou moins forcé des pronoms dans les signatures électroniques à la pertinence d’un gouvernement supranational/international fort pour répondre aux enjeux globaux d’aujourd’hui, en passant par l’absence de solidarité affichée officiellement par les états occidentaux vis-à-vis des Iraniens en rébellion ou les modalités de mise en place des « biorégions », concept clef proposé par le penseur néo-acadien comme nouveau palier de gouvernement pour aider à résoudre la crise climatique.
Alain Deneault est de ces intellectuels engagés qui se montrent capables de s’élever au-dessus de la mêlée et du brouhaha ambiant, tout en nous donnant à penser en profondeur. On se sent plus intelligent à le côtoyer et cela, c’est l’apanage d’un pédagogue dans la lignée des plus grands de la tradition philosophique, tels que Socrate, Platon et Aristote.
Pour les crédits photo : Bouquinart, librairie et galerie d’art