Allô, Londres, nous avons un problème !
On se pose de drôles de questions parfois, ici, au Canada. Mais pas toujours les bonnes. Par exemple, à l’occasion de la démission de la Gouverneure générale du Canada, Julie Payette. Rappelons les faits pour mieux comprendre.
Calquée sur le modèle anglais, La monarchie parlementaire canadienne, fait en sorte que nous avons encore au XXIe siècle, deux personnes qui se partagent le pouvoir exécutif : le ou la chef du gouvernement (un-e premier ministre), et un ou une chef d’État (le-la Gouverneure générale). Cette dernière n’est pas élue, mais nommée par la Reine d’Angleterre, qui vit à 7000 km, (nettement) plus près de l’Europe que du continent américain ; alors que le premier ministre, lui, accède à sa fonction par le biais d’une élection indirecte (son parti, ayant obtenu une majorité relative ou absolue, peut automatiquement placer son chef à ce poste). Dans les deux cas, nous sommes loin d’une véritable représentativité démocratique. Ah ! J’oubliais, le juge en chef de la Cour suprême (plus haut tribunal au pays), lui-même non élu, mais nommé par le gouvernement, avec l’accord de la Chambre des communes et du Sénat, peut remplacer le Gouverneur général, comme ce sera le cas dans les mois à venir.
C’est là que le Canadien moyen, comme moi, s’étonne. Il s’étonne d’entendre parler de cette personne, de cette fonction de « gouverneur général ». Il s’étonne, parce que cela n’arrive que de temps à autre, à l’occasion d’une élection fédérale notamment, donc chaque quatre ans environ. Ce citoyen lambda s’étonne également, parce qu’il ne comprend pas ce qu’il se passe, à quoi sert un Gouverneur général, pourquoi Julie Payette apparait sur les photos en uniforme comme une générale, pourquoi sa démission parait créer tant de remous politiques…
D’ailleurs, si vous avez, comme moi, écouté les commentateurs politiques, ils n’ont fait qu’ajouter à la confusion. En effet, leurs messages sont contradictoires : le Gouverneur général n’aurait qu’un rôle symbolique de nos jours, celui de chef d’état sans pouvoir réel, seulement présent pour représenter la monarchie britannique, qui continue de nous couver de son regard bienveillant et paternaliste depuis le XVIIIe siècle ; le Gouverneur général a cependant le pouvoir de sanctionner les projets de loi, de choisir le premier ministre, refuser éventuellement sa nomination, même si son parti a gagné les élections ou de dissoudre le parlement, par exemple, si le gouvernement subit un vote de défiance. À première vue, ses pouvoirs sont grands. Mais les « conventions constitutionnelles » (dixit les experts juridiques) font qu’en réalité aucun Gouverneur de l’histoire du Canada depuis plus d’un siècle n’a exercé son pouvoir discrétionnaire, en s’opposant aux résultats des élections ou au résultat d’un vote de confiance perdu. La force de l’habitude, quoi !
Dans ces conditions, la véritable question à se poser n’est pas de savoir si la démission de Julie Payette est justifiée, si Justin Trudeau a manqué de jugement, ou comment la vie politique canadienne va pouvoir continuer avec un intérimaire n’effectuant que la moitié des tâches, ou qui pourrait la remplacer, si ce sera une femme un homme, un-e francophone ou un-e anglophone, ou encore comment les multiples prix qu’un Gouverneur général remet vont pouvoir l’être, mais bel et bien pourquoi, encore en 2021, on garde ce vestige — payé et entretenu grassement avec nos impôts — d’un régime politique anachronique.