ÉDITORIAL
Alter Venetia mundus (Pétrarque)
Je vous écris au sortir d’un séjour d’une semaine dans la Sérénissime. 7 jours et 7 nuits dans un appartement du quartier Dorsoduro, en plein cœur de Venise. Précisons : « Venezia, Italia » et non « Venice, Californie ». Outre le dépaysement inhérent aux vacances, l’idée était de vivre comme des Vénitiens pendant quelques jours ; sans le travail, mais avec les mêmes autres contraintes : alimentation, transport, climat... Au-delà de la simple anecdote, la question que je me pose à chaque voyage est de savoir ce que m’a appris ce séjour?
D’abord à réfléchir à ce que nous montrons de nous aux autres, par exemple. Ainsi les façades des maisons vénitiennes – riches ou pauvres — sont littéralement en lambeaux. Toutefois, à travers une grille ou une fenêtre ouverte, vous serez surpris par les aménagements intérieurs et le luxe des cours intérieures ou des jardins. Encore au XVIIe siècle, les Vénitiens avaient les moyens de construire et d’entretenir de tels trésors, plus maintenant. Mais ils s’occupent fort bien de leur intérieur. À moins que cette décrépitude qu’offre Venise soit à l’image de son histoire : derrière le masque de carnaval, la décomposition. Carrefour commercial dès le Moyen âge, elle devint le phare économique et culturel à la Renaissance grâce à sa position stratégique entre l’Occident et l’Orient. La « République » des doges perdra peu à peu sa position dominante à partir de la découverte des Amériques, avec la croissance du commerce avec le Nouveau Monde et la mondialisation des échanges. L’Adriatique monte, Venise s’enlise et finira par sombrer dans la vase de l’oubli. Comme toute civilisation.
Autre leçon : le savoir-vivre, qui ne se résume pas à la politesse et aux règles de bienséance en société… Comment ne pas apprécier l’arrêt général (ou presque) des activités entre 13h et 15h, au plus chaud de la journée, pour prendre le temps de manger, de faire une sieste réparatrice ou un peu de lecture; puis reprendre les activités sociales et professionnelles jusqu’à 19h? Vous me direz : « Mais à 19h, ma journée est quasiment terminée : j’ai soupé, je me préparer à coucher mes enfants et je vais m’installer devant un film ou profiter de ma cour». Eh bien, c’est l’heure de l’apéritif local sur les « campo » (vastes espaces publics) : attablés dans les nombreux cafés de la ville, les Vénitiens refont le monde, échangent les confidences avec leurs amis ou collègues et regardent les passants passer. Le « Spritz » (Prosecco, Apérol, eau pétillante) est rafraichissant, la température décroit, bref, la vie est belle! Tellement plus appréciable que de s’en retourner chez soi, enfermé entre quatre murs!
Dernière leçon : l’importance et le plaisir de vivre au sein d’une communauté riche en culture, et là, je pense surtout aux arts. Notre corps a des besoins matériels, mais notre esprit? Voir au quotidien des œuvres d’art nombreuses (tableaux, sculptures surtout), côtoyer, être imprégné malgré soi de ce passé si riche en artistes, explorateurs, philosophes. Certes, dans un sens, c’est se complaire dans le passé, tourner le dos à l’avenir, mais cela enrichit tellement l’expérience de vie. Je crois que quiconque a visité une ville européenne a eu cette sensation profonde que la culture ouvre notre existence à une autre dimension, spirituelle et essentielle.