ÉDITORIAL
Astérix, Obélix, Assurancetourix… et les autres
On les a comparés aux irréductibles Gaulois, qui résistent à l’envahisseur romain, qui refusent l’assimilation au grand empire, qui sont fiers de leur exception culturelle. Quitte à passer pour des réactionnaires, des pisse-froid qui gâchent la fête, tant il est vrai qu’ils ont brisé le consensus. Ces Wallons coincés au fin fond de la lointaine Europe, sur le vieux continent, nous ont fait peur. Ils ont failli faire échouer l’accord de libre-échange avec L’Union européenne!
Même signé, le parlement européen doit encore le voter, mais surtout chacun des 28 parlements nationaux a à le ratifier également. En attendant, étonnamment, le traité de libre-échange entre le Canada et l’Europe (Accord économique et commercial global ou AECG) commencera à être appliqué. Pour le bonheur de tout un chacun, comme le voudrait la doctrine libérale : moins de barrières douanières favorisent les échanges commerciaux entre pays, donc permettent aux consommateurs d’avoir un plus grand choix de produits et services, alors qu’il y a plus de concurrence entre les entreprises; les meilleurs produits se démarquent au meilleur prix et tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Qui pourrait dire non? On ne voit pas vraiment les inconvénients à cette proposition, n’est-ce pas?
La question serait plutôt : à qui profite le crime? Outre le fait qu’aucune clause de sortie n’était initialement prévue pour les pays concernés, les critiques portent plutôt sur le manque de transparence dont les négociateurs ont fait preuve tout au long du processus : vous a-t-on donné à lire le contenu du traité, ne serait-ce que sous une forme simplifiée? Durant les tractations, aucune information n’a été délivrée aux journalistes. On conteste aussi le fait qu’une entreprise – disons-le, une multinationale – puisse poursuivre un état si la politique ou la réglementation en vigueur ne lui convient pas! Un comble dans une démocratie, où nos impôts pourraient servir à enrichir davantage des entités dont le but est quand même à la base de faire du profit.
Les lois sociales, environnementales et financières visent en général dans nos sociétés industrialisées à protéger les citoyens des abus du même marché qui préconise le libre-échange : s’assurer que les entreprises payent leur juste part d’impôts – faut-il rappeler l’importance de l’évasion fiscale opérée par nos grandes entreprises au moment où j’écris ces lignes? —, respectent des normes environnementales qui protègent la nature et notre santé et ne mettent pas au travail des enfants des 12 ans ou nous payent une misère, comme c’était le cas au XIXe siècle aux premiers temps du capitalisme sauvage. Rien de moins.
Bref, nous aurions dû remercier nos cousins francophones belges d’avoir mené le combat que nous devrions mener de notre côté. Comme les Allemands, ils ont obtenu des déclarations de la part de leurs gouvernements respectifs : ils pourront en tout temps faire jouer une clause de sauvegarde (qui permet de sortir du traité) s’ils estiment que la législation européenne est enfreinte, que des enjeux économiques ou culturels locaux sont en jeu. En démocratie, et même si nos ministres ou nos présidents nous représentent, il faut toujours prendre en compte l’acceptabilité sociale, c’est à dire, ce que les citoyens sont prêts à accepter, et à quel prix, après avoir été suffisamment informés. Or, dans le cas de l’AECG, cette acceptabilité est loin d’être générale. En effet, le beau Justin et ses acolytes nous parlent de favoriser les échanges, sous-entendant que ce sera synonyme de création de richesse, mais pas de meilleure répartition de cette richesse. Et si c’était toujours les mêmes qui s’en mettaient plein les poches?