Au pays des cèdres
Le 21 septembre 2001, j’habitais encore Toulouse lorsque l’usine d’AZF, une usine de production d’engrais, explosa. Nous n’étions pas encore sortis du traumatisme de l’attentat des tours jumelles à New York ! On a d’abord pensé à un attentat terroriste. Finalement, la catastrophe résultait simplement d’une négligence : on avait laissé du nitrate d’ammonium dans un entrepôt et une réaction chimique avait eu lieu. Bilan : 31 morts, 2500 blessés (suite au souffle de l’explosion et à ses effets) et 3 milliards de dollars de dommage. Un an et demi après l’explosion, 14 000 personnes souffraient encore de désordres psychiques. La détonation a été entendue à 80 km de là. Les vitres du bureau de mon épouse, qui travaillait à moins de 10 km, ont explosé brutalement! Toutes les communications étaient coupées. En une heure, la ville était fermée, les rues vidées de leurs passants et l’armée patrouillait. Pendant 48 heures, ce fut l’état de guerre.
Je peux imaginer ce que vivent aujourd’hui les Libanais. Le bilan va être très très lourd. Sans commune mesure avec Toulouse. Et je compatis de tout mon cœur avec eux et leurs familles, dispersées partout dans le monde, cette diaspora quasi unique de 14 millions de personnes, soit presque le triple de la population restée au pays. Qui ne connait pas dans la région une famille libanaise ? Il faut en convenir, la situation n’était déjà pas reluisante : corruption chronique de l’appareil étatique ; enlisement politique d’un système multiconfessionnel qui a fait son temps ; crise économique ; conséquences des conflits armés de la région. La violence de la réaction de la population au désastre de l’explosion du port de Beyrouth est à la hauteur des problèmes profonds et systémiques qui gangrènent la vie au Liban.
Je me pose toujours la même question quand je vois la situation au Proche-Orient : comment avons-nous pu en arriver là, à cette véritable « pétaudière » ? Vous y comprenez quelque chose, vous, à ce qui se déroule dans ce coin-là du globe ? Mais qui se détestent. Avec 30 % de musulmans chiites, un autre 30 % de musulmans sunnites, 20 % de chrétiens maronites et un peu plus de 10 % de chrétiens orthodoxes, sans compter les 200 000 de réfugiés palestiniens (le Hezbollah en fait sa base arrière) et son million de réfugiés syriens, cette république confessionnelle est à l’image de la région... Par chance, jusqu’à récemment, en nommant un président chrétien, un président du conseil des ministres sunnite et un président du parlement chiite, un certain équilibre avait été trouvé. À part que ce sont toujours les mêmes tribus, les mêmes familles qui se retrouvent au pouvoir (ça vous dit quelque chose ?). Une élite à l’abri de tout procès.
Le fond du problème au Proche-Orient est que les frontières actuelles résultent d’un découpage artificiel fait à la règle et au crayon, à la fin de la Première Guerre mondiale. La France et l’Angleterre coloniales de l’époque, ont tracé des traits sur une carte en faisant fi des populations et de l’Histoire, afin de servir leurs propres intérêts. La situation au Liban aujourd’hui devrait en faire réfléchir plusieurs dans le domaine de la politique étrangère, mais aussi, en politique intérieure, sur les limites du communautarisme ou sur la tendance à retrouver des dynasties au pouvoir dans nos démocraties.