ÉDITORIAL
Bonnet blanc et blanc bonnet?
Quel est le point commun entre les élus démocrates américaines en blanc, les gilets jaunes français, les carrés rouges étudiants, les Canadiens arborant le coquelicot rouge pour le 11 novembre ou les nostalgiques du communisme portant un t-shirt à l’effigie de Lénine? Leurs vêtements envoient un message.
Barthes a analysé la tenue vestimentaire comme une forme de langage, l’expression du « degré d’intégration du porteur par rapport à la société dans laquelle il vit ». Tout signe apparent, a fortiori vestimentaire (mais pas seulement - bijoux, tatouage, couvre-chef, accessoire), véhicule donc un message expressif voire prosélyte. La recherche en sciences sociales a été validée par les cours de justice : les symboles culturels et religieux sont liés au système de valeurs et à la conception du monde des adeptes d’une religion donnée » (Gualtieri). Symboles qui, par définition, offrent une multiplicité d’interprétation.
Si vous êtes croyants, réveillez-vous! Vous ne vivez pas en vase clos ; vous n’avez pas le monopole de la signification du message que vous envoyez. Ce sont vos voisins, amis, collègues, concitoyens qui vont se faire une opinion, dépendant du contexte. Le sens de ce nous portons ne dépend pas exclusivement de notre intention, il se fait malgré nous. Il faut juste en avoir conscience. Et puis, le message religieux n’est jamais que religieux : homosexualité, mariage et divorce, avortement, etc. Les grandes religions monothéistes ne sont pas que paix et amour… De toute façon, croire en Dieu et adhérer à une religion sont deux choses distinctes ; rester neutre pour un fonctionnaire n’implique pas que les gens renoncent à leur foi, il s’agit simplement de la garder pour soi, et d’éviter la moindre suspicion de parti pris : tous les citoyens méritent le même traitement, non biaisé.
Si vous êtes fanatique du multi-culturalisme et des droits individuels, un détail : le droit de se vêtir comme on le désire n’existe pas en soi. Sinon, les militaires, les pompiers, les policiers ou les postiers s’habilleraient selon leur humeur du moment ou leurs croyances. Un évaluateur habillé en camisole, shorts troués, le crâne rasé, tatoué des pieds à la tête vous ferait passer le permis de conduire. Et pourquoi pas, me direz-vous ? Sérieusement, vous mettriez vos a priori de côté et accepteriez en toute confiance de suivre un cours où vous seriez évalué par une personne vêtue ainsi ? Franchement, accepteriez-vous sans tiquer qu’une mosquée soit construite au coin de votre rue ? Ou que votre fille se convertisse à l’Hassidisme ou à une quelconque secte évangélique et renonce à ses païens de parents ? Là, vous montreriez votre ouverture d’esprit, votre respect de la liberté de conscience religieuse de votre enfant. Entre parenthèse, la liberté de conscience, qu’elle soit religieuse ou politique, est certes le préalable à la liberté d’expression, mais il n’y a pas de hiérarchie entre. Accepter l’une, c’est accepter l’autre.
Si vous considérez toujours que demander la neutralité des fonctionnaires revient à brimer la liberté d’expression des pratiquants de telle ou telle religion sans raison, par pure intolérance, sachez que le débat sur la neutralité est naturel : les sociétés humaines cherchent toujours la cohésion, plutôt que la dissension ou la division que peut occasionner une multitude de communautés distinctes, comme en Angleterre. Est-ce là le modèle que nous désirons?