ÉDITORIAL
Cannabis et cie
Alors, ça y est. Nous y sommes. Non, pas encore dans la troisième guerre mondiale suite au largage de la « mère de toutes les bombes » par l’armée américaine en Afghanistan. La semaine prochaine, sur la colline du Parlement à Ottawa, sera probablement votée la loi qui légalisera la consommation de la « Marie-Jeanne » à but récréatif d’ici à 2018. C’est, vous en conviendrez, une petite révolution. Quand une drogue a-t-elle été légalisée pour la dernière fois au Canada? Jamais.
Légalisation, dépénalisation (ou décriminalisation), de quoi s’agit-il exactement? La première est très différente de la deuxième. En effet, en légalisant la marijuana, non seulement va-t-on pouvoir en cultiver et en consommer, mais aussi en acheter et en vendre en toute quiétude. Dépénaliser signifierait simplement supprimer les sanctions, amendes et autres peines d’emprisonnement en cas de possession et de vente. Là, on va plus loin, pour un produit que 25 % des jeunes de moins de 25 ans déclarent consommer plus ou moins régulièrement, en s’approvisionnant notamment auprès de revendeurs illégaux, qui proposent d’autres drogues, souvent plus puissantes et addictives et qui sont de surcroît eux-mêmes au contact de criminels plus endurcis. Ceci étant dit, comment sera-ce contrôlé? Qui établira la réglementation? Les gouvernements provinciaux en décideront. Au Québec, un monopole d’État (ou presque), comme pour les alcools, est-il possible? Le marché a un « potentiel de croissance élevé », comme on dit dans le monde des affaires, en tout cas, trop important pour que le privé ne veuille pas sa part du gâteau.
Ce qui m’amène à l’un des deux aspects problématiques de la question. D’abord, l’attraction terrible que constitue cette manne financière pour toutes sortes de requins de la finance, spéculateurs en tous genres ou criminels qui pourraient ainsi laver leur argent sale… Nous avons appris la semaine dernière que des membres associés aux Hells Angels avaient déjà demandé des permis pour produire de la marijuana thérapeutique… Imaginez maintenant. Il s’agit d’un marché de 5 milliards de dollars! En bourse, la spéculation sur les titres des entreprises qui se lancent dans ce commerce est telle que l’on est tout près d’une bulle financière, comme il y en a eu dans l’immobilier dans les années 2000. Il existe déjà des fonds communs de placement accessibles à tous : demandez à votre banquier. Les investisseurs (vous, moi, nos banques, etc.) y ont placé en cinq jours l’équivalent de ce qu’un an de cotation en bourse rapporte (95 millions de dollars). C’est fou! Et l’intérêt de la population et des consommateurs là-dedans?
Par ailleurs, plus grave selon moi, il y a un manque flagrant d’information de la population à propos de la nature de cette drogue (contrairement à l’alcool ou au tabac) et de ces effets. Qui ne serait pas prêt à goûter une fois en passant un cookie au cannabis? Ça n’engage à rien… En connaissez-vous les effets? Repartirez-vous à la maison en voiture après avoir pris votre café avec le biscuit? Comment savoir? Il est évident que l’état québécois va devoir débourser beaucoup d’argent dans une campagne d’information et de prévention sans précédent, si l’on ne veut pas banaliser la consommation d’un produit qui est une drogue aux effets variés et variables selon les individus. Un peu comme l’alcool, mais en pire. Sans compter qu’il sera nécessaire d’établir des normes de production, d’en contrôler l’application. Et ça encore, seul le gouvernement peut s’en charger; le laisser à l’industrie reviendrait à introduire le loup dans la bergerie. Or, peut-on avoir confiance dans l’éthique des entreprises et dans les lois du marché pour en sortir gagnant?