ÉDITORIAL
Ciel, mon freure!
Tempête dans le verre d’eau francophone ! Le dictionnaire Le Robert fait entrer « iel » (pronom personnel sujet neutre, 3e personne du singulier) dans son édition 2021. Petit rappel. Depuis quelques années se pose de plus en plus la question de la désignation d’un individu qui ne se reconnait ni homme ni femme. Nous pourrions épiloguer sur les raisons de cette évolution sociétale, mais aujourd’hui, restons sur l’aspect linguistique, pratique. Bref, une personne peut appartenir à la catégorie « non-binaire » (a-genre) ou « fluide » (entre les deux, ou l’un et l’autre à la fois). Vous pouvez sourire, il n’empêche que l’on parle ici de l’identité de genre — sexuelle — d’une personne, c’est sérieux ; à ne pas confondre avec l’orientation sexuelle (lesbienne, gai, bisexuel-le, pansexuel-le) !
À une époque où un mot peut rapidement être perçu comme discriminatoire, où l’on se préoccupe beaucoup de ce qui ressenti individuellement, essayons de respecter le choix de tout un chacun… ou plutôt le non-choix du genre sexuel. En effet, n’est-il pas l’un des constituants de notre identité ? Une caractéristique qui nous est donnée malgré nous à la naissance ? Bref, y réfléchir n’est pas si futile que ça. Et l’on pourrait croire qu’il est naturel que la langue officielle, du dictionnaire, suive l’évolution sociale, après tout. Dans le cas de « iel », la véritable question est plutôt: l’entrée dans le dictionnaire doit-elle suivre ou anticiper l’usage du mot ou de l’expression ?
En effet, introduire un mot dans un dictionnaire officialise ce mot, lui donne une sorte d’existence légale. En temps normal, deux critères doivent être réunis : la fréquence (le mot doit être beaucoup utilisé) et la dispersion (le mot doit être utilisé dans un espace géographique suffisamment étendu). Or, pour ce qui est de « iel », ce dernier ne réunit aucune des deux conditions. L’emploi du pronom est même encore sujet à discussion dans la communauté LGBTQ2S+… alors, est-ce une courbette marketing de plus de la part des auteurs du Robert ? Pas impossible. Était-ce trop tôt ? Peut-être. Un faux débat ? Non. Certains proposeraient de s’inspirer de l’anglais, qui utilise ils/elles (« they », ce qui ne règle pas l’affaire, à moins de créer un pronom pluriel, mais qui donne un peu l’impression bizarre d’avoir des personnalités multiples) ou ça (« it »), mais qui chosifie la personne ?
Au fonds, sur le plan de la langue fortement genrée qu’est le français, le problème ne réside pas tant dans le choix du pronom (« iel, ille, yel, ul, ol ») que des changements grammaticaux que cela engendre, parce qu’il faut tout accorder ! À date, rien n’est prévu pour la construction des noms, des pronoms, des déterminants, des adjectifs ou pour les terminaisons des participes passés. Au lieu de « mon » et « ma », invente-t-on un « mo » ? Ajoute-t-on « T » ou « z » pour le marquer (ex. : « Ul est aiméT » ; « Ol est bien entourae ») ? Utilisons-nous des formes contractées des adjectifs (ex : « valeureux/valeureuse » devient « valeureuxe ») ou des doublets abrégés (arrivé(e) au lieu de « arrivé/arrivée ») ? Et les pronoms, « cellui », « céal » ?
Le problème pourrait être réglé en employant une formulation épicène, qui inclut la forme masculine et féminine : « requérant/requérante ». Malheureusement, cela n’offre pas de véritable solution si l’on veut utiliser un pronom. Imaginez un roman entier écrit de cette manière ! Bon, j’avoue, je m’y suis moi-même essayé dans un roman feuilleton cyberpunk publié sur Internet l’an dernier…