ÉDITORIAL
« Citius, altius, fortius »
Ô rage! Ô désespoir! Ô situation atroce! N’ai-je donc tant vécu que pour cet embarras? Choisir entre la France et le Canada. Voilà la terrible question qui m’a assailli chaque fois que les deux pays se sont affrontés aux Jeux olympiques (J.O) depuis deux semaines. Au rugby, au soccer, au tennis, au basket-ball, au volley-ball ou dans la finale du 100 métres. Mon cœur fut écartelé entre mes deux patries, représentées par de fiers participants désintéressés venus à Rio pour l’amour du sport et la gloire de leur nation. Désintéressés et amateurs, tel que le conçut Coubertin (par ailleurs colonialiste, raciste et conservateur, à l’instar de la majorité des gens à son époque) en 1894, lorsqu’il fonda le Comité international olympique? Qu’en est-il vraiment?
Je lisais dans Courrier international que les J.O constituent depuis 30 ans un gouffre financier qu’aucun pays organisateur n’arrive à combler; les fameuses « retombées » financières ne suffisant pas, les profits en sont surtout médiatiques : c’est d’abord une question d’image, celle du pays hôte qui compte sur cet événement planétaire pour redorer son blason.
Pour tous les gouvernements, c’est l’occasion de divertir le peuple pendant deux à trois semaines, plus si l’on y ajoute les annonces avant et les rétrospectives après, tout en flattant la fibre nationaliste. D’ailleurs tout à coup, on se sent plus canadien. On a une petite larme lorsque telle nageuse ou telle joueuse de rugby monte sur le podium. « Panem et circences » (du pain et des jeux), déjà à Rome la formule fonctionnait bien pour éviter la grogne populaire et les révoltes…
En ce qui concerne les athlètes, à part ceux ou celles qui utilisent les J.O afin de mettre en lumière leur sport une fois aux quatre ans (ex : vélo BMX ou trampoline), ceux qui se font un nom avec ou les vrais amateurs, qui ont un boulot, un patron et qui doivent en plus se débrouiller pour financer leurs compétitions (demandez aux joueurs de water-polo), les J.O sont actuellement une compétition parmi les autres, ouverte aux professionnels. Basket-ball, golf, soccer, tennis, ces gens-là sont parmi les mieux payés au monde… Au XIXe siècle la règle de l’amateurisme jouait surtout à l’avantage des riches, qui n’avaient nul besoin de gagner leur vie en travaillant. Qui en profite aujourd’hui?
En tout cas, difficile de ne pas faire un lien avec le culte de la performance qui prévaut. Oui à la formule « Plus loin, plus haut, plus fort » (voir titre), mais à quel prix? Savez-vous que la différence entre la médaille d’or et la 7e place à un 100 m de natation se joue en un battement de cil? Les uns existent, les autres disparaissent en un clin d’œil, après tant d’efforts, de sacrifices, d’argent et d’aide de toutes parts? Et puis pourquoi nous infliger si souvent le classement des médailles? Rien de pire que cette logique comptable.
Et nous dans tout cela, simples spectateurs que nous sommes? Si vous êtes comme moi, vous privilégiez le beau jeu, la finesse, la tactique, le franc-jeu et l’audace, tout en sachant que ces variables ne garantissent pas le résultat. C’est aussi ça la beauté du sport, non? Par exemple, on peut admirer le pragmatisme et la résilience des Canadiennes qui ont marqué le but de la victoire en quart de finale contre les joueuses de soccer françaises (justement), alors qu’elles ont été dominées toute la partie et n’ont eu que deux occasions de but, sans jamais s’empêcher d’attaquer dès qu’elles le pouvaient. Bravo, Mesdames! Mais ne tombons pas dans le pathos et le sensationnalisme.