ÉDITORIAL
Comme au bon vieux temps…
Providence, Ontario, début septembre 2021. Un Conseil scolaire comme les autres. Ce qui est arrivé là-bas pourrait tout aussi bien se dérouler ici au Québec. Après tout l’université McGill a choisi de bannir les œuvres de Dany Laferrière de son curriculum, alors qu’elle l’avait fait docteur honoris causa moins de deux ans auparavant.
Thomas Gerbet de Radio-Canada a mis les faits à jour. Près de 5000 livres jeunesse parlant des Autochtones ont été ou sont sur le point d’être détruits, dans un but de réconciliation avec les Premières Nations. Déjà en 2019, une cérémonie de purification par le feu s’était tenue avec une trentaine de livres. Le but en était éducatif : les cendres avaient servi d’engrais pour transformer symboliquement le mal en bien, faire renaitre de la haine et de la discrimination un pays inclusif, prospère, respectueux, etc. L’opération avait même donné lieu à une vidéo pédagogique. Toutes les écoles devaient faire de même. Une forme de recyclage historico-environnemental, quoi ! Un document de 165 pages donne les précisions sur les titres concernés : romans, encyclopédies, bandes dessinées, tous devaient passer au pilori, sous l’égide d’un comité constitué de membres du conseil scolaire et d’accompagnateurs autochtones. Précisons que le ministère de l’Éducation de l’Ontario n’a pas pris part à la sélection — peut-être aurait-il dû d’ailleurs…
Il est vrai que ces œuvres littéraires présentaient parfois des images, une description négative ou stéréotypée des autochtones. Elles ont aussi parfois été écrites dans le passé, à des époques où le racisme était généralisé et pas seulement l’apanage de quelques auteurs marginaux. Plusieurs Astérix, Tintin, Lucky Luke sont visés, mais pas seulement ; Laflèche fait aussi partie du lot et d’autres contemporains encore. Tous contiendraient un « langage non acceptable », présentent des « informations erronées » ou une « image fautive » ; les Amérindiens y sont montrés comme « méchants » ; on y retrouve les mots « peau-rouge », « indien », « esquimau », « conquête ». Attention! Toute action qui peut ressembler à de l’appropriation culturelle peut conduire au bûcher ! Dans le tas, plusieurs œuvres qui montrent des situations fictives et pas forcément caricaturales, pour justement dénoncer justement le racisme. Ironique, non? Sans compter de nombreux livres avec des illustrations ou tout simplement une couverture discutables. Selon le comité de censure.
Parce que c’est bien ainsi qu’il faut l’appeler. On parle là d’effacer des pages d’histoire de la littérature au nom de très beaux principes de respect des cultures et de réconciliation. Sans consultation des auteurs (quand ils sont encore vivants) ; sans discussion avec des historiens ou des experts en littérature et en art. Et pourquoi ne pas créer un index des œuvres maudites, interdites, sataniques, comme dans les années 1960 dans les écoles catholiques ? En quoi est-ce différent des talibans qui ont détruit les statues de Bouddha en Afghanistan ? Nous voilà retournés à une époque où les superstitions et l’inquisition faisaient loi !
Et l’apprentissage de l’esprit critique par le débat contradictoire, qu’en fait-on ? Ou encore l’éducation par l’étude des contextes et des faits historiques, afin de ne pas reproduire les erreurs du passé ? La vraie diversité n’est pas celle, superficielle, de la couleur de peau, mais des perspectives. Faire table rase du passé, c’est s’assurer de l’ignorance des individus. L’idéal d’une démocratie animée par des citoyens éclairés recule chaque jour un peu plus. On peut s’attendre au pire.