ÉDITORIAL
Contre l’intérêt général
Chaque semaine nous apporte des preuves du danger du libéralisme économique sous sa forme la plus moderne, le capitalisme. Si vous êtes chef d’entreprise, électeur de la plupart des partis en présence, souvent en colère contre les impôts, l’intervention de l’état, les syndicats et tous ces irritants qui entravent nos initiatives et droits individuels, alors vous en êtes un-e adepte.
L’intention de départ est fort louable. En effet, le libéralisme économique prend sa source historiquement dans une philosophie politique et morale dont l’idée est que chaque être humain possède des droits fondamentaux inaliénables et doit garder la liberté de les exercer. Idée nouvelle à une époque où les despotes gouvernaient (je parle bien sûr du XVIIIe siècle).
Le libéralisme économique en découle avec ses trois piliers : l’initiative privée, la libre concurrence et l’économie de marché. Je ne reviendrai pas sur ses concepts déjà abordés dans des éditoriaux précédents. Je vais me concentrer sur quelques exemples actuels, qui nous touchent de près.
Je ne m’étendrai pas sur les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft et toutes les autres : Airbnb, Alibaba, Linkedin, Netflix, Twitter, Uber, Yahoo…). Cependant, leur persévérance à entrer dans notre vie privée est désormais reconnue. Et punie. Mark Zuckerberg va devoir payer 5 milliards de dollars aux États-Unis, et suivre de nouvelles règles de conduite. La France vient d’adopter une loi qui taxe ces entreprises multinationales des médias et de la communication et l’UE pourrait bientôt suivre. À cela une bonne raison : elles ont abusé et abusent encore de nous, en exploitant et parfois en revendant nos informations personnelles à d’autres entreprises pour faire du profit. Rien à voir avec le bien commun.
Autre illustration de la nocivité des entreprises privées, lorsqu’on les laisse faire et dire n’importe quoi : les produits laitiers. Imaginez un futur premier ministre totalement vendu à la cause des producteurs de lait, qui oppose à la recherche scientifique universitaire celle de ces mêmes entreprises, dont la survie dépend de notre croyance dans la nécessité vitale des produits laitiers. Et bien, pourquoi ne pas l’écouter et modifier à nouveau le Guide alimentaire canadien? Continuer l’élevage bovin ultra-polluant à grande échelle? Poursuivre l’empoisonnement généralisé de toute la population avec des produits industriels remplis de cochonneries? Et cela au nom de la libre entreprise…
Dernier exemple, et un gros. Il nous est donné par l’AECG, l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne, négocié et âprement défendu par le gouvernement Trudeau (moins de barrières douanières, moins de réglementation, et les clients seront mieux servis). Il prévoit d’ouvrir le marché européen aux céréales génétiquement modifiées, courantes chez nous, mais sur l’innocuité desquelles la recherche scientifique a des doutes. Résultat : ces produits doivent être étiquetés « OGM ». On appelle ça le principe de précaution. Le Canada a aussi saisi le tribunal de l’Organisation mondiale du commerce, sous prétexte que les normes sur les pesticides présents dans les produits alimentaires sont trop sévères en Europe. Euh, excusez-moi, parle-t-on de la santé des gens ou d’augmenter les marges de profit des grandes entreprises agro-alimentaires?
Adam Smith, le fondateur de la pensée libérale, ne disait-il pas lui-même : « Leur conversation [celle des membres d’une même industrie] aboutit invariablement à une conspiration contre l’intérêt général ou à un accord pour augmenter leurs prix. »? Méfions-nous.