ÉDITORIAL
Courir, courir, toujours courir!
Dimanche dernier, si vous avez pris la voiture pour traverser la rivière en direction d’Ottawa, vous en avez subi les conséquences. Cette année, la perspective de la canicule a rajouté du piquant à l’événement. Les courses seraient-elles annulées? Le samedi? Le dimanche? Ces héros modernes que sont les coureurs à pied tomberaient-ils comme des mouches sous les 40 degrés? Est-ce la raison à la présence de tant de spectateurs? En fin de compte, seul le départ du semi-marathon fut avancé de 45 minutes et le temps fut très acceptable toute la matinée. Pensez : 7000 participants juste pour le marathon (42 km); ajoutez-y le semi-marathon, le 10 km, le 5km, le 2km et la course des petits, vous arrivez à 50 000 personnes environ!
Mais pourquoi un tel engouement? Courir est-il si ébouriffant, si addictif? Je ne parle pas des Kenyans ou des Éthiopiens, pour qui ces courses sont un moyen de subsistance. Les 3 premières places chez les femmes comme chez les hommes leur reviennent. 2 heures et 8 minutes pour Dino Sefir, 2 heures 27 minutes pour Koren, sa compatriote. Leur physique est différent, « dopé » depuis leur jeune âge par l’air saturé d’oxygène des hauts plateaux d’Afrique. Et ils s’entrainent très fort également. Cependant, c’est un travail : ils enchaînent les courses dans l’espoir de payer leurs déplacements et d’en garder suffisamment lorsqu’ils retournent dans leur pays. Le premier reçoit 30 000 $. Et parmi eux, 4 auront le droit de participer aux Jeux olympiques, rien que ça!
Non, moi je vous parle des milliers d’anonymes qui se sont levés tôt, « à la fraiche », qui se sont entrainés comme ils le pouvaient avant, pendant ou après le travail, pendant des mois ou des années et qui se pressent dans le corral pour partir en vagues de plusieurs centaines ou milliers d’individus, comme du bétail. Dans l’allégresse générale quand même, parce qu’il faut admettre qu’il y a vraiment une bonne ambiance, entre coureurs et coureuses, mais aussi grâce aux très nombreux spectateurs sur les côtés de la route… pour un membre de leur famille, un ami, un collègue ou juste comme ça, ils sont convi-
viaux et encourageants.
Par ailleurs, outre la monumentale levée de fonds que cela constitue, il y a des retombées économiques importantes pour Ottawa-Gatineau et tout l’Ontario (34.4 $ millions en 2015). Bref, les courses de la capitale nationale (du Canada) brassent beaucoup d’argent. Surtout, c’est festif : entre les groupes de musique qui rythment le parcours de leurs mélodies aux styles variés, l’enthousiasme des enfants le samedi et la présence chaleureuse des bénévoles, on passe là un bon moment. Bien que courir constitue un effort individuel par définition, c’est un bel événement communautaire, un moment de partage.
Justement, que partage-t-on lors de ces deux jours de courses pédestres, en tant que spectateurs, participants ou membres de l’organisation? Des valeurs? Un mode de vie sain et actif, le goût de l’effort, la possibilité pour chacun de devenir le héros d’un jour, le héros de sa propre vie, parce qu’on a l’impression d’avoir accompli quelque chose? Un peu artificiel pour se donner le goût de vivre, mais très efficace… Un moyen peut-être de se reconnecter avec notre corps, que l’on maltraite par notre mode vie, notre alimentation et le stress associé au travail, avec pour corollaire le culte de la performance. Est-ce si différent de cette vie effrénée que nous menons quotidiennement, à toujours courir après le boulot, les courses, les activités, l’école, etc.? N’en est-ce pas plutôt un symptôme? Courir lors d’une course officielle, c’est toujours courir, non?