ÉDITORIAL
Croa! Croa! À tous les corbeaux de ce monde!
Dernièrement, j’aidais ma fille à réviser son cours d’éthique et culture religieuse pour une évaluation. Le thème était la tolérance et l’histoire des religions au Québec. Chaque fois que revient la dispute autour de la laïcité de l’état (confondue en fait avec sa « neutralité ») et du respect des religions, je suis gêné. J’ai l’impression que la plupart des Canadiens considèrent ce débat comme évident, portant sur des points de détails ou des exceptions. Multiculturalisme oblige. Pourtant certains iraient en cour suprême si nécessaire! Cela me semble donc toucher au contraire le cœur de notre société.
D’abord, rappelons que dans la plateforme électorale de la CAQ le mot « laïcité » recouvre « l’interdiction du port de signes religieux au personnel en position d’autorité, ce qui inclut les enseignants » (Rubrique Identité et culture). Le parti de François Legault a annoncé la couleur, ne faisons pas les étonnés! Je ne reviendrais même pas sur l’influence ou le pouvoir coercitif des enseignants; ne représentent-ils pas des modèles et des figures d’autorité pour nos enfants?
En vérité, la laïcité est fondée sur trois valeurs : la liberté de conscience et la liberté d’expression; la séparation des institutions publiques et des organisations religieuses; l’égalité de tous devant la loi, peu importent nos convictions ou croyances. Ainsi nous avons tous le droit d’avoir ou de ne pas avoir de croyance, d’en changer ou de ne plus en avoir. Personne ne brime ici la liberté de conscience, mais seulement son expression, qui n’est pas essentielle. De toute façon, cette liberté-là, nous la restreignons tout le temps par respect, pudeur ou peur d’être jugé…
Quant à la séparation de l’État et de la religion qui en découle, elle repose sur l’idée que l’ordre politique est fondé sur la souveraineté de l’État et du peuple et des citoyens (comme un collectif) et non sur la domination des organisations ou croyances religieuses, qui sont relatives à chaque individu. Les fonctionnaires représentent avant tout l’État (pour tous, sans distinction) et non leur croyance ou opinion personnelles. La laïcité n’est pas une opinion parmi d’autres, mais la liberté d’en avoir une.
Retour au programme d’ECR : il permet de réfléchir aux liens entre la tolérance (le respect?) et le bien commun, de comprendre que le Québec vit un processus de sécularisation (ou laïcisation), notamment depuis la création d’un ministère de l’éducation en 1963, qui a retiré de facto au clergé ce pouvoir-là. Personne ne s’en plaint, je crois. Toutefois, le mot « laïcité » n’apparait dans aucun texte de loi canadien ou québécois; l’état et l’église ne sont pas officiellement séparés. Au contraire, le préambule de la Charte canadienne des droits et libertés stipule : « Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de dieu et la primauté du droit… » Dieu avant le droit. Malheureusement pour nous, la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, qui ne mentionne pas Dieu, reste subordonnée à celle du Canada. Bref, si la cause se rendait jusqu’à la Cour suprême du Canada, c’est probablement le droit à la religion qui prévaudrait. Par respect pour mes opinions, aurais-je pour autant le droit d’enseigner à mes élèves portant un t-shirt à l’effigie de Lénine?