ÉDITORIAL
« Croyez-vous aux sorcières? » - Jean Leloup
Dernièrement, Denise Bombardier a défrayé la chronique lors d’une discussion avec Bernard Landry, en osant avancer que le français reculait au Canada et que Montréal était une ville anglophone. Plus qu’un personnage à la Don Quichotte, l’auguste auteure québécoise, « sans peur et sans regret » (comme l’indique le titre de ses mémoires), fait plutôt figure de sorcière à bien des égards. Insulte qui lui a déjà été faite d’ailleurs. Mais quelle pitoyable réponse à Mme Bombardier! C’est ce qui arrive lorsqu’on ne peut accepter et réfuter les vérités qui nous sont assénées.
En cette période d’Halloween, il est bon de se rappeler ce que sont les sorcières, à part des personnages de fiction (romans, séries TV ou de films). Sabrina, Amandine Malabul, Hermione Granger ou les sorcières d’Eastwick cachent sous une apparente diversité une même symbolique. En effet, historiquement, la sorcière est une femme célibataire, autonome (voire indépendante), libre de sa sexualité comme de ses opinions… et qui reste d’autant plus mystérieuse qu’elle vit à l’écart de la société. La sorcière est l’emblème de la féministe avant l’heure, le symbole d’une féminité assumée, que la société patriarcale déteste. Elle est l’opposée de l’épouse modèle, de l’objet domestique servile, juste bonne à procréer. La figure de la sorcière est donc une création de la société des hommes pour stigmatiser une femme qui ne correspond pas à la norme sociale.
Or, étonnamment, aujourd’hui existe encore cet inconscient collectif, qui resurgit par moment : des hommes utilisent cette insulte millénaire, retombent dans la violence verbale ou physique, dès lors qu’une femme s’assume, sort du lot, dérange. « Sorcière » devient alors le corollaire d’« hystérique », « chienne », « folle », « ménopausée », « mal baisée », « chipie » ou « conne » (pas sympa pour le sexe de la femme), etc. Après tout, la légende autour du concile de Mâcon (VIe siècle) persiste : on aurait discuté afin de déterminer si la femme avait une âme, avant de répondre oui… par une très courte majorité! En tout cas, cet événement plusieurs fois servit d’argument pour justifier la domination de l’homme.
Or, on ne nait pas sorcière, on le devient. Inspirée par d’autres, donc éduquée, on ouvre ses horizons (d’où la partie occulte, associée à la magie, à la médecine par les plantes et les potions), on s’émancipe. De Cassandre ou Méduse dans l’antiquité à Denise Bombardier ou Catherine Millet, en passant par Blanche de Castille, Jeanne d’Arc, Olympes de Gouges, George Sand, les suffragettes, Colette, Françoise Giroud ou Anaïs Nin, et d’autres encore, la gent masculine n’a pas cessé de montrer du doigt ces femmes-là, de vouloir les museler, quitte à les traiter de tous les noms ou leur trouver des maladies inexistantes. Par leurs perspectives iconoclastes, les femmes parfois dérangent. Et c’est tant mieux. La contrepartie? On peut les mettre sur un bûcher pour moins que ça!
Agir comme une sorcière s’apprend certes, mais c’est aussi une façon d’être, d’être une femme et de faire évoluer l’humanité tout entière. La sorcière est libre, c’est cela qui lui est reprochée au fonds. Mais alors, se faire traiter de « sorcière » serait plutôt un compliment, non? Pensez-y une seconde quand vous habillerez votre fille ou petite-fille en sorcière pour Halloween!