ÉDITORIAL
De bons petits Suisses
J’ai déjà utilisé l’expression « vivre ensemble »; elle devrait être au cœur de toutes les cam- pagnes électorales, surtout municipales, premier palier de gouvernement qui nous touche au quotidien. Or, dans la campagne actuelle, il n’a jamais été question du vivre ensemble sous l’angle de la position des services publics munic- ipaux. Pourtant, avec les débats autour de l’ap- plication de la loi 62 dans les transports publics, nous sommes en première ligne.
Le nom exact de la loi 62 est: «Projet de loi favorisant le respect de la neutralité de l’état et visant notamment à encadrer les demandes d’accommodements pour un motif religieux dans certains organismes ». En fait, son seul arti- cle contraignant concerne les vêtements religieux.
Cependant, il faut se rappeler que le principe de neutralité face à la religion ou aux opinions politiques n’est qu’un aspect d’un ensemble plus vaste, que le gouvernement libéral hypocrite- ment ne veut pas nommer, la laïcité. La laïcité s’appuie en effet sur les notions de protection de l’égalité des personnes, de la liberté de con- science et de la séparation de l’église et de l’état, dont découle la neutralité de ce dernier. Selon Bouchard-Taylor, la neutralité est la « philoso- phie politique qui interdit à l’état de prendre parti en faveur d’une religion ou d’une vision du monde aux dépens d’une autre ». Dès lors, si l’imposer à des usagers, sauf pour raison d’iden- tification, est absurde, il paraît tout aussi évident que l’on devrait l’imposer aux employés de l’é-
Tat. Toutefois, au Canada et au Québec, à cause du début du Préambule de la Charte des droits et libertés (« Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la supré- matie de Dieu et la primauté du droit »), ces dis- tinctions ne peuvent être tolérées, ne sont pas légales. Le ROC essaie maladroitement de nous le faire comprendre en nous insultant. Avant tous les droits, il y a Dieu. On comprend ainsi mieux le respect outrancier que certains ont pour les croyances religieuses et leur expression. Au passage, notons que bien souvent ces gens confondent croire et montrer sa croyance, deux choses distinctes en vérité.
Pour moi, croire en Dieu ou dans toute idéologie est affaire privée, mais pour plusieurs, cela confère le droit de l’exposer en public, y compris à la face de gens qui ne croient pas ou différemment. Ce serait donc ça le respect. Un peu comme si je me promenais en arborant un t-shirt « I love Staline » dans la rue ou en enseignant, dans ma salle de classe. Ah! C’est mon droit de libre expression; personne ne touchera à ma liberté de conscience!
Pire, et si ma religion me dictait de me promener tout nu? Devrais-je être accommodé moi aussi? Laisser l’espace public, donc les droits du collectif, être envahi par des deman- des individuelles ouvre la porte à toutes sortes de situations farfelues. Porter la burqa peut même devenir un symbole de liberté, au nom de l’application de préceptes religieux qui n’exis- tent même pas dans le Coran : c’est un vêtement traditionnel Pachtoune (Afghan) qui remonte à la Mésopotamie, il y a trois millénaires. Le rap- port avec l’Islam? Demandez aux savants musulmans, il n’y en a pas. Je ne parle même pas de la pseudo-notion de modestie...
Au fond, la neutralité c’est potentiellement tout accepter dans l’espace public, à coup d’ac- commodements; la laïcité, c’est tout réserver à l’espace privé. En conséquence, soit la loi 62 ne va pas assez loin dans la laïcité, soit elle est trop timide dans la neutralité : bannissons le crucifix de l’Assemblée nationale et récitons nos huit prières quotidiennes!