ÉDITORIAL
De l’art de la diversion
Maintenant que les Jeux olympiques d’hiver de Pékin sont terminés — enfin, presque : il reste quand même les jeux handisports ! — que l’occupation de la colline parlementaire à Ottawa a été matée (mais restent les manifs de Québec ou d’ailleurs dans le ROC), qu’il est presque certain que la Russie va prendre le Donbass aux Ukrainiens, revenons aux « vraies affaires » ! Vous ne voyez évidemment pas mon sourire en écrivant ces lignes, mais je suis en fait extrêmement sérieux.
On s’en est fait passer une petite vite, pour parler familièrement. La semaine dernière, alors que tous les regards se tournaient vers les méchants manifestants, Transmountain Corporation a publié une mise à jour sur le coût de l’agrandissement du pipeline du même nom… Oui, celui acheté à grands frais au prix de 4,5 milliards de dollars en 2018 par le gouvernement canadien. Ce dernier a forcément été informé et a donné son aval avant la publication de ces informations. Déjà, cette expansion au coût initial de 7,4 milliards (un cadeau à l’industrie des sables bitumineux de l’Alberta) était une aberration (économique) et une honte (morale), dénoncées par les organismes de défense de l’environnement autant que par des économistes. Mais là, ça bat le pompon. L’opération vaudra 21,4 milliards de dollars ! Trois fois le prix estimé au départ ! C’est plus de 560 dollars par Canadien qui vont littéralement partir en fumée. Au moins, nous savons maintenant où passent nos impôts…
C’est ce que l’on appelle poliment un marché de dupe. En effet, outre le fait que nous payons très cher pour une industrie qui est vouée à disparaitre d’ici à la fin du siècle, même si elle a encore quelques beaux jours — nous pourrions investir dés maintenant ces milliards dans les énergies renouvelables et la reconversion des travailleurs des hydrocarbures — le gouvernement Trudeau va revendre le pipeline une fois amélioré, afin que ce soit les compagnies privées qui en tirent les bénéfices. C’est le fameux principe fréquemment employé dans d’autres domaines, comme la construction d’infrastructures sportives : « Investissement public, exploitation et bénéfice privés », autrement appelé au Québec « Partenariat Public-Privé » (PPP). En gros, une arnaque inventée par le privé pour faire payer les citoyens doublement, une fois pour construire, une deuxième comme utilisateurs.
Évidemment, la COVID-19 a bon dos… On nous assure que « l’analyse de rentabilité du projet reste solide » ; l’analyse peut-être, la rentabilité, c’est tout simplement faux. Comment faire pour être bénéficiaire après tant de dépenses ? A fortiori, quand on ne comptabilise ni le bilan carbone ou écologique en amont (extraire le pétrole) ni en aval (la transformation, le transport et la consommation dudit pétrole).
Fait intéressant et qui dit tout, le gouvernement libéral n’a pas commenté la nouvelle par la voix de son ministre de l’Environnement — pauvre Steven Guilbeault, il doit rêver, comme Pinocchio, de devenir humain au lieu de rester une marionnette de bois — mais par celle de la vice-première ministre Freeland. Cette dernière a défendu la position de l’équipe Trudeau, à coup d’arguments hautement convaincants, tels que : ce projet est « important et nécessaire » ; il est « d’intérêt national » ; rendrait le Canada « plus souverain et plus résilient » et même « carboneutre » ; « nos ressources seront encore nécessaires à travers le monde ». Je suis confondu par tant d’altruisme et de vision à long terme pour l’avenir de la planète !