ÉDITORIAL
Desastres de la guerra
Lorsque j’ai vu le reportage filmé à Bucha, puis ailleurs en Ukraine, j’ai eu une impression de déjà-vu, mais en plus nauséeuse, plus horrifiante. J’ai d’abord songé aux eaux-fortes du peintre espagnol Francisco Goya, réalisées pendant l’occupation française de l’Espagne au début du XIXe siècle. Elles sont terribles à voir… et quasi-identiques aux images provenant des villes d’Ukraine. Vous me direz que j’aurais pu également penser à celles de la Syrie, ou plus récemment à celles d’un charnier au Mali qui a déclenché une polémique. S’il est vrai que le point commun entre les trois est la présence de soldats ou de mercenaires russes, malheureusement, russes ou pas russes, la guerre provoque (je pèse mes mots) systématiquement ce genre d’atrocités. Le plus étonnant est que l’on feint de le découvrir à chaque fois. Amnésie volontaire ? Déni devant la triste réalité humaine ? Cynisme racoleur ? Il peut y avoir plusieurs raisons. Les faits demeurent. Les civils sont toujours ceux qui payent le prix fort en cas de conflit armé. Même la légendaire « guerre en dentelle » du XVIIIe siècle n’avait rien de propre ; c’était une véritable boucherie. C’est la réalité de la guerre !
Alors, il parait qu’il y aurait maintenant des lois de la guerre, que certaines choses seraient immorales, outrancières. Curieux, je me suis renseigné. Effectivement, ce n’est pas nouveau. Depuis les trêves pour ramasser les cadavres et enterrer dignement ses morts dans l’Antiquité jusqu’aux « conventions » les plus récentes (par exemple, celle pour la prévention et la répression du crime de génocide, en 1948) et autres codifications, comme celle de l’article 8 du Statut de Rome sur les crimes de guerre, dans le cadre du tribunal pénal international, on peut trouver quantité de mesures prises afin de limiter les excès en situation de guerre. On dit que le concept de crime de guerre est aussi ancien que les « lois de la guerre », qui faisaient elles-mêmes partie du « droit des gens », et ce sur tous les continents, dans toutes les sociétés. Ont-elles empêché les viols d’enfants ou de vieillards, les massacres, les exécutions sommaires de civils ou de militaires ? Pas que je sache. Je pourrais vous en donner la liste. Ce qui est remarquable, c’est que les règles se soient multipliées, jusqu’à créer un « droit international » en la matière, alors que nos moyens de destruction et que la létalité de nos armes grandissaient exponentiellement. Imaginez qu’une seule bombe atomique tactique pourrait détruire Gatineau en quelques secondes !
Évidemment, il y a des nuances. Ainsi tous les actes de cruauté commis à l’occasion d’une guerre, ne sont pas pour autant des crimes de guerre. Selon la Convention de Genève (1949), envahir un pays dans ses limites officielles et reconnues par la communauté internationale, sans raison valable, sans qu’il y ait agression ou danger préalable est déjà une infraction aux lois de la guerre ; l’homicide intentionnel, la torture, les expériences biologiques, la destruction et l’appropriation de biens, la prise d’otages, la déportation sont aussi considérés comme de « simples » crimes de guerre. Au-delà, on parle de crime contre l’humanité : « l’extermination, la réduction en esclavage, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre » (Charte de Londres, 1946).
La guerre fabrique des monstres, elle ravage les corps et les âmes des victimes civiles autant que des belligérants.