ÉDITORIAL
Droit à la vie, droit à la mort
Je me rappelle avoir discuté une ou deux fois avec James Shea, une personnalité attachante de notre communauté. Son décès m’attriste. De même que celui de la mère d’un de mes amis, atteinte d’Alzheimer, qui fut une délivrance après dix ans de déclin et d’agonie. En tant que survivant de la disparition des êtres qui nous entourent, nous sommes dans l’affliction. C’est naturel.
Cependant, avouons que ce désarroi, cette vacuité qui nous envahissent alors sont aussi la réponse à notre angoisse de la mort. Et plus exactement de la souffrance qui peut la précéder. Mourir, oui (et encore), mais pas dans la douleur. Parce que si l’on peut s’habituer à l’idée de disparaître, il est plus compliqué de se préparer à endurer la souffrance, surtout physique.
Toutefois, c’est avant tout la personne concernée qui devrait décider quand et comment mourir. Si l’on ne choisit pas le moment de sa naissance, l’une de nos libertés fondamentales consiste à disposer de notre corps à notre guise. Par principe, et au-delà des contingences ou responsabilités familiales et sociales qui nous échoient. Dans plusieurs traditions autochtones, la personne qui sent que la fin approche règle ses affaires, s’éloigne des siens pour trouver un endroit propice et attend ainsi la mort. Pas de regard moralisateur sur cet acte ni d’acharnement thérapeutique au nom de la préservation de la vie…
Bon, mais qu’arrive-t-il si la personne n’est plus en mesure, physiquement ou intellectuellement, de prendre l’initiative? Il semble naturel de respecter ses vœux, non? Et si elle ne les a pas exprimés clairement? Qui peut prendre la décision de la « débrancher », comme on le dit froidement, sachant qu’un(e) malade relève également de la responsabilité de son médecin, qui doit répondre à un code déontologique? Là, on parle d’aide à mourir. Et les lois québécoise (Loi concernant les soins de fin de vie, 2014) et canadienne (C14, 2016) cherchent à encadrer ce processus.
Ces dernières exigent que le patient soit « en fin de vie » ou que « la mort [soit] raisonnablement prévisible », comme si elle ne l’était pas de toute façon : nous commençons tous à mourir dès lors que nous naissons. Évidemment, il y a un formulaire que toutes les parties consentantes doivent signer, et c’est une partie du problème, mais surtout, le médecin ou la famille doivent accepter, geste moral et psychologique ô combien difficile, de « laisser partir » le malade mourant. L’euphémisme de cette expression en dit d’ailleurs beaucoup sur notre incapacité à accepter la mort.
Or, il en est encore qui ne peuvent pas accéder à ce droit fondamental, malgré ou à cause des mêmes balises qui ont été mises en place par la loi. Si je voulais me jeter du 20e étage d’un immeuble, me pendre, me jeter devant un camion ou ingurgiter du poison, la loi ne me l’interdirait pas… Pourquoi donc interdire à une personne malade, invalide, qui souffre outrageusement – et elle devrait être la seule à en juger – un geste équivalent, d’autant plus si elle a encore la capacité de l’exprimer? C’est grave, et pas forcément triste, si l’on considère la délivrance qui peut s’ensuivre. Jean Truchon et Nicole Gladu ont donc raison de porter leur cause devant les plus hauts tribunaux au pays.