ÉDITORIAL
Enfin la Cour suprême vint…
Et, la première au Canada/ Fit sentir chez les bleus une juste cadence/ D’un mot mis en sa place enseigna le pouvoir/ Et réduisit les sceptiques aux règles du devoir. Pardon à Nicolas Boileau, l’auteur du si bien écrit Art poétique (1674), pour le détournement de son hommage à Malherbe, et à vous, fidèles lecteurs, pour les piètres alexandrins ainsi formés. Mais pour le contenu, je n’en démords pas : c’est une grande et belle décision qui est assénée à tous les climatosceptiques (j’ai évité le gros mot de « négationnistes »), d’un océan à l’autre.
Un petit grand pas dans la longue et douloureuse marche vers un Canada carboneutre, voilà ce que signifie la décision de la Cour suprême du Canada, vendredi dernier : la taxe carbone du Gouvernement Trudeau est bel et bien constitutionnelle ! Les premiers à accuser le coup sont les détracteurs de cette mesure, qui ne fait qu’appliquer la règle de bon sens « pollueur-payeur ». Les premiers à accuser le coup sont les politiciens de droite, conservateurs, provinciaux ou fédéraux, et leurs aficionados qui ont, par exemple, refusé récemment à leur chef, Erin O’Toole, la reconnaissance officielle des changements climatiques. Ils en sont encore là.
En tout cas, désormais, les provinces ne pourront refuser la taxe du Fédéral (et son augmentation progressive) qu’à la condition de proposer en échange leur propre tarification carbone équivalente… Et les magistrats du plus haut tribunal au pays sont clairs, eux : « les changements climatiques sont réels [et posent] une menace de la plus haute importance pour le pays et, de fait, pour le monde entier ». Il y va de « l’intérêt national ». Contraignant tous les futurs gouvernements, ils ajoutent : « la tarification des GES en particulier fait partie intégrante de tout régime de réduction de ces gaz ». Dont acte, messieurs et mesdames de l’Ontario, de l’Alberta et de la Saskatchewan — appuyés, faut-il le rappeler, par toutes les autres provinces — dans leur affirmation que le gouvernement d’Ottawa outrepassait ses prérogatives.
En retour, les dirigeants des Prairies ont montré l’étendue de leur mauvaise foi et de leur cynisme, en jouant la carte du « nous, les gens du peuple, dans les provinces de l’ouest », contre « elles, les élites technocratiques à Ottawa qui sont ordres du Québec ». Pathétique. Et d’y ajouter la peur pour mieux contrôler leurs ouailles : que fera Ottawa la prochaine fois ? Imposer des normes nationales en matière de santé ? Ça fait tellement peur que j’en ai des frissons ! Si vous aviez joué les fourmis laborieuses et prévoyantes plutôt que les cigales dépensières incapables d’anticipation, peut-être le gouvernement fédéral ne mettrait-il pas son nez dans vos domaines de compétence…
De son côté, le Québec ne devrait pas trop s’en faire, lui qui participe déjà depuis deux ans à une bourse du carbone nord-américaine. Il imite ainsi de plus en plus en plus de pays, comme l’Union européenne qui a adopté le 10 mars dernier une résolution autorisant la mise en place d’une telle taxe sur les importations venant de pays « pollueurs ». Objectif : devenir le premier continent carboneutre d’ici 2050. Cependant, alors que le Canada continue de dépasser ses cibles d’émission structurellement, l’Europe les devance année après année. Reste que cette mesure est largement insuffisante pour s’attaquer profondément et rapidement à la crise climatique.