ÉDITORIAL
Enfoncer le clou… encore et encore !
J’écris depuis une maison sise sur un territoire autochtone non cédé. Alors que l’enquête sur la mort de Joyce Echaquan se termine au Québec, la découverte d’un cimetière contenant 215 corps anonymes d’enfants autochtones en Colombie-Britannique montre le visage hideux d’un racisme non seulement systémique, mais qui fut jusqu’à récemment systématique.
Le Canada est devenu une chambre d’écho où retentissent les cris désespérés et insoutenables des Premières Nations. Et pour une bonne raison. Nous avons affaire à un génocide. Un génocide dont les racines s’enfoncent dans l’histoire coloniale et s’étendent encore aujourd’hui. Je sais que le terme vous parait énorme compte tenu de la situation. Cessons d’atténuer la réalité et regardons les choses en face.
Selon l’article II de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide des Nations Unies, le génocide est un : « quelconque acte commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux » par le meurtre, l’atteinte à l’intégrité physique ou mentale, la soumission à des conditions de vie entrainant la destruction physique, ou des mesures visant à empêcher les naissances ou un transfert forcé d’enfant d’un groupe à un autre.
Tous les éléments du puzzle étaient donc déjà sous nos yeux. Pensez-y : depuis l’invasion et l’expropriation des terres supposément inhabitées jusqu’aux inégalités dans les soins, l’éducation, les opportunités économiques, en passant par les mesures politiques successives, qui ont d’abord cherché à « faire disparaitre l’indien », avant d’ignorer les problèmes engendrés par la sédentarisation forcée et l’acculturation. Il y a eu quelques améliorations : on n’en est plus à refiler des couvertures infestées par les maladies ou à battre, violer, mal nourrir et laisser mourir les enfants dans un pensionnat. Cependant, le dernier pensionnat a seulement fermé en 1996 ! Il y a à peine une génération ! Et aujourd’hui encore, certaines réserves n’ont pas l’eau courante ou bien on stérilise les femmes autochtones contre leur volonté ! Ce n’est donc pas de l’histoire ancienne. Comment s’étonner d’ailleurs que ces peuples aient les pires statistiques d’emprisonnement ou de protection de l’enfance ?
Le pire est que la situation a été documentée ; le gouvernement sait depuis longtemps ce qui se passe ; la population dans son ensemble, nous le savons. Il y a même eu des commissions (« Vérité et réconciliation », « Viens »), des enquêtes (« Femmes et filles autochtones disparues ou assassinées »), des excuses, des pardons, la reconnaissance d’un « génocide culturel » à propos des pensionnats. Les témoignages ont été recueillis, les statistiques effarantes ont été calculées (en un siècle, 150 000 enfants arrachés à leur famille, par exemple), des conclusions ont été tirées et des actions concrètes recommandées. Résultats ? Rien ou presque.
Si le gouvernement fédéral et son administration semblent paralysés dans une sorte de posture « culturelle », celui du Québec affiche ses couleurs : rien à faire, puisque le gouvernement Legault ne reconnait pas le racisme systémique ! Pour moi, il est évident qu’en plus des moyens matériels et de l’adoption de règlementations qui facilitent les conditions de vie des autochtones, il y a urgence à 1. Reconnaitre les peuples autochtones comme « nations fondatrices du Canada » et 2. conférer à leurs langues le statut de langues nationales, qui leur permette, par exemple, d’être entendus dans un palais de justice dans leur langue natale. Qu’est-ce qui nous en empêche ?