ÉDITORIAL
Gardons toute notre tête!
Je n’en rajouterai pas dans la dispute qui sévit depuis quelques semaines à propos des services en anglais (au Québec) ou des services en français ailleurs dans le ROC. Cependant, la St Jean-Baptiste arrive, on reparle de notre fierté d’être québécois. Et par le fait, on reparle du fait d’être francophone.
Cependant, je tiens à dire immédiatement que dans mon esprit, il est très clair que cette identité québécoise, elle peut se vivre autant en anglais qu’en français. Se sentir différent des citoyens des autres provinces, cela arrive assez vite dès que l’on sort du Québec. Est-ce à cause des valeurs? De la place donnée à la culture? Aux services publics? À l’histoire? Aux liens sociaux? Un certain je ne sais quoi? Rien que le fait d’en avoir conscience est la preuve que nous, Québécois, sommes une société distincte.
Autre fait indiscutable : la fête de la St Jean trouve son origine dans la religion catholique (qui a elle-même été reprise du solstice d’été païen, aux premiers temps du christianisme), puis à partir de 1834, elle devient la fête nationale des Canadiens français; le 24 juin devient un jour férié en 1926 et ce sera le Parti québécois qui la déclarera officiellement « fête nationale du Québec » en 1977.
Or, comme vous le savez, au Canada, la rivalité francophone/anglophone se double historiquement d’une rivalité catholiques/protestants. En tout cas, cela n’a pas simplifié les choses au cours des siècles passés. Aujourd’hui, avec la diminution de la pratique religieuse et de la foi au sein de la population, c’est probablement moins important… Reste que nos valeurs, nos principes, notre mode de vie ont été teintés durablement par la religion.
Et preuve que cette fête est indissociable de notre identité canadienne-française : après la rébellion de 1837, elle va disparaître et ne réapparaitre que sous une forme religieuse dans les années 1840. Il y a donc bien dans cette célébration un aspect politique. À partir de la Confédération, qui a cette année 150 ans, même l’hymne des Canadiens français est repris comme hymne du nouveau dominion Canada : c’est « Ô Canada ».
Bizarrement, malgré les nombreux Irlandais (catholiques pour la plupart, qui, comme les Canadiens français, ont été le « cheap labour » de la minorité anglaise à partir du régime anglais) ou les autres anglophones québécois, la St Jean Baptiste est souvent associée au fait français.
À tort selon moi : arrêtons de la simplifier au fait français, en en excluant de fait les autres québécois, les anglophones, mais aussi les allophones qui sont en train d’apprendre la langue du pays. Incluons-les, mais sans oublier que 10 millions de francophones en Amérique du Nord se retrouvent sans cesse en danger de disparaître au milieu de 400 millions d’anglophones. Promouvons le multilinguisme, mais restons droits dans nos bottes quant à l’utilisation du français dans notre province : la loi 101 existe, appliquons-la.
Le français est la langue officielle du Québec, comme l’anglais l’est en Ontario, ou dans les autres provinces, à part le Nouveau-Brunswick officiellement bilingue. Pourquoi permettre à un jeune qui sort du secondaire francophone d’aller dans un établissement public collégial en anglais, quand on sait que la langue des études postsecondaires conditionne la langue de travail? Ne peut-on travailler en français? Dire au Québec « Sorry, I don’t speak French » n’est-il pas aussi incongru que dire « Sorry, I don’t speak English? » en Alberta? Prenons conscience que parler français seulement à la maison, le réduire au cercle familial, privé, c’est le condamner un jour à l’autre à devenir une langue folklorique.