LETTRE
Gatineau « pour la vie » dites-vous ?
À Gatineau, au cours des 30 dernières années, un ramassis d’autoroutes, de commerces échevelés et de condos beiges a éteint jusqu’à la dernière luciole du terrain de jeux de mon enfance. Au cœur de ce gâchis industriel qu’est devenue ma ville, en tendant l’oreille, j’entends aujourd’hui, sous le pic et la pelle, les dernières notes tristes d’une minuscule choriste. Les Anglos l’appellent, avec à propos, la Western Chorus Frog. Avec son appel unique, impossible de dissocier la plus petite de nos quatre rainettes au Québec de la saison des amours. Impossible hélas non plus de dissocier cette fragile beauté de l’insistance incessante de l’humain à tout détruire sur son passage.
L’existence de notre petite reine des mares temporaires en Outaouais ne tient plus qu’à un roseau. Comment cela ?
La liste est bien longue : nos lois, conventions et ententes sont soit dégriffées (au Qc : Loi concernant la conservation des milieux humides et hydriques, Loi sur les espèces menacées ou vulnérables), soit ignorées (Loi canadienne sur les espèces en péril, Convention internationale sur la biodiversité). Question : Qu’a fait la Ville de Gatineau pour honorer le protocole qu’elle a signé en 2018 afin d’assurer la préservation et la pérennité des habitats et des populations de la rainette faux-grillon de l’ouest ?
Quelqu’un a entendu parler de mesures concrètes de protection de l’habitat de la rainette depuis la signature de ce protocole ?
Mais aussi, les développeurs se massent, aux côtés de la Ville, pour enfoncer la dernière porte derrière laquelle se tapit notre petite grenouille pour construire jusqu’à plus soif d’autres châteaux de béton (village urbain de la Cité, secteur Gatineau et à Aylmer, un secteur dont le précieux patrimoine naturel disparaît comme peau de chagrin, le projet résidentiel actuellement en cours Ferme Ferris et le mégaprojet à venir Porte de l’Ouest). Mais encore : la Ville veut , à tout prix, un Rapibus et elle insiste pour que ce dernier passe au cœur du Parc du Lac-Beauchamp, ce précieux et superbe espace naturel chez nous où on trouve rainettes et autres petites bêtes en mal d’habitats ; pourtant, il existe de nombreuses options de rechange possibles : voies réservées, voies de contournement, train léger ! Et on n’a pas parlé de notre super nouvel aréna Guertin qui a englouti un autre petit mouchoir sur lequel s’agrippait notre rarissime amphibien à Gatineau, des rainettes vendues pour 675 000 $ d’argent citoyen. De quel droit nous permettons-nous de décider ainsi de la vie ou de la mort d’une espèce ? Quand comprendrons-nous enfin que lorsque nous faisons payer la nature, c’est nous qui payons en bout de ligne ?
Le chant qui s’éteint de la rainette faux-grillon en Outaouais reflète qui nous sommes. Il est le résultat de notre apathie généralisée à Gatineau et, hélas, de notre inconscience aux conséquences irréversibles. Sommes-nous donc tous sourds ?
Son chant, frêle et fragile, porte pourtant toute la robustesse de la seule « logique implacable » qui vaille, M. le maire, et qui va comme suit : Business as usual, c’est totalement irréconciliable avec Gatineau pour la vie ! Le nécessaire changement de cap de la gestion municipale, c’est MAINTENANT qu’il nous le faut, pas demain, NI APRÈS une autre marche mondiale pour le climat parce que, M. le maire et cie, moi-même et des milliers d’autres gens, on n’en peut plus de sortir pour RIEN, entendez-vous ?
Que nous reste-t-il si la société civile perd espoir ?
Se comparer aux meilleurs : il y a des endroits dans le monde pour nous motiver :
Curitiba, ville brésilienne de 3 millions d’habitants où on trouve pas moins de 14 forêts urbaines ; Londres, entourée d’une ceinture verte de trois fois sa grandeur, bigarrée de pedestrian friendly public spaces et où les parcs et les espaces verts représentent le tiers de la ville ; et Copenhague où il y a cinq fois plus de vélos que d’autos et où le maire et son équipe s’activent pour que leur ville devienne la première capitale carbone neutre au monde d’ici 2025!
Pour mettre enfin la table pour le 21e siècle. Et pour commencer à regarnir cette table, nous demandons ce qui suit à notre municipalité :
1. À partir d’aujourd’hui, zéro impact sur les derniers habitats de la rainette faux-grillon à Gatineau ;
2. Que la Ville adhère dès maintenant au Fonds des municipalités pour la biodiversité ;
3. Que le nouveau Plan stratégique présentement en élaboration assure la protection de la biodiversité sur l’ensemble du territoire de la Ville avec des cibles à atteindre, des mesures concrètes et engageantes ainsi que des rapports annuels publics sur les résultats obtenus.
Claire Charron, enseignante, Aylmer; Marc Bégin, programmeur-analyste, Aylmer; Nadine Blais, enseignante au Cégep, district du Versant; Sylvie Blais, enseignante, secteur Gatineau (Cheval blanc); Bill Clennett, militant des droits humains, Vieux Hull; Esther Cyr, retraitée, Aylmer; Laura Enriques, étudiante, Cité collégiale, du Plateau; Stefan Haag, biologiste, Aylmer; Lise Lapratte, chef d’équipe (cie d’assurances), Gatineau (St-Rosaire); Félix-Antoine Nadeau, étudiant Poly Grande-Rivière, du Plateau; Luc Picard, naturaliste, Hull; Lucie Rochon, traductrice, Aylmer; Sylvain Tremblay, technicien en bâtiment, secteur Gatineau, et Johanne Vallée, éducatrice en garderie, Gatineau (Notre-Dame)