LETTRE
Gatineau : Ville lecture ou à vendre?
Pour la 2e année, Gatineau a été l’hôte du festival «Ville lecture» visant à promouvoir la lecture dans notre cité. À l’occasion de ce festival, la librairie Bouquinart d’Aylmer a organisé le 2 mai dernier une table ronde afin de discuter de la lecture qu’il est possible de faire de notre ville. Invité à y faire une présentation à titre d’artiste et de citoyen, j’ai choisi de traiter la lecture non pas comme un loisir du domaine privé, mais comme un besoin fondamental en lien avec le bien public. Car la lecture ne se réduit pas à un support papier, une bibliothèque ou une librairie. On la vit aussi au quotidien dans notre environnement immédiat, à travers ce que notre ville met en scène dans l’espace public.
Or, pas nécessaire d’aller très loin pour constater que la lecture proposée par notre ville sur son territoire se compose presque exclusivement de publicité. De la publicité sur les panneaux publicitaires défraichis des innombrables projets résidentiels, de la publicité sur les abris d’autobus, sur et dans les autobus, sur les bancs publics, de la publicité ambulante à tous les coins de rue. Aucun espace ne semble pouvoir y échapper. De temporaire, elle devient souvent permanente, sans aucun suivi ni encadrement de la part de la ville. Omniprésent, cet affichage publicitaire accompagne les premiers pas de la littératie des enfants vivant à Gatineau, comme ceux des touristes découvrant notre territoire. À la place d’une lecture historique, culturelle, patrimoniale ou même avant-gardiste ou innovante de notre environnement bâti et naturel, la ville nous impose un récit en forme de dépliant publicitaire, où les espaces publics se confondent avec les espaces en promotion. Au point où on finit pas croire que c’est l’ensemble du territoire qui est « à vendre ».
L’objectif ici n’est pas de partir en guerre contre la publicité, mais seulement de dénoncer une pollution visuelle et un appauvrissement de la lecture publique par une pratique agressante, à laquelle il est impossible d’échapper. Un peu d’affichage aux endroits appropriés, ça va. Qu’une entreprise puisse s’annoncer sur le devant de son immeuble, comme le Pub British, cela se comprend, c’est même plutôt chouette quand c’est bien fait. Mais quand des entreprises profitent de leur emprise pour littéralement s’imposer dans le paysage visuel de notre ville, cela finit par appauvrir notre vie civique, et la ville comme lieu de vie. La ville perd de son lustre, au risque de devenir vile.
Cette lecture mercantile et captive n’est pas inévitable. D’autres récits sont possibles. Pour le moment, le crayon appartient aux promoteurs. Et la principale histoire que nous raconte notre ville, c’est celle des slogans publicitaires. Il est plus que temps que nos élus permettent à notre ville de s’exprimer autrement, et qu’on se réapproprie l’espace public, en le libérant de l’affichage abrutissant qui le défigure. J’aimerais que notre ville nous raconte plusieurs histoires, pas une seule, et surtout la vie des gens qui y vivent et qui y ont vécu. Gatineau retrouverait ainsi son aile perdue, cessant d’être vile pour devenir un peu plus ville.
Nicolas Garant, artiste
Aylmer