ÉDITORIAL
Guernica bis ?
Ernest Hemingway l’Américain, André Malraux le Français, Gustave Régler l’Allemand, Norman Béthune le Québécois… Leurs points communs ? Outre le fait d’être écrivains, ils se sont engagés en 1936 dans les Brigades internationales ; à leurs côtés, 59 000 autres personnes, comme vous et moi, venues du monde entier, pour défendre en Espagne la République contre le despotisme de Franco. Parmi elles, 1500 Canadiens qui formèrent le Bataillon Mackenzie-Papineau.
On va le dire, dans une époque très idéologique, ces « brigadistes » furent essentiellement motivés par un idéalisme de gauche. Contre la dictature fasciste du Général Franco, contre la menace brune qui se répandait dans toute l’Europe (avec Mussolini et Hitler au pouvoir) ; pour une république populaire et de gauche. Les républicains furent financés par le Mexique et l’URSS pendant que les franquistes l’étaient par l’Italie et surtout l’Allemagne, qui se servit de cette guerre civile étendue comme une pratique générale en testant ses Stukas (chasseurs en piqué), ces tactiques militaires, et expérimenter ces troupes.
Qui étaient-ils ? À l’époque, des personnes toutes classes confondues, surtout des ouvriers, des petits employés (mineurs, bûcherons, etc.) ; mais aussi des artisans, des professions libérales (comptables, ingénieurs, écrivains, quelques médecins ou avocats). Beaucoup étaient syndiqués — c’était la grande époque des syndicats qui, depuis le milieu du XIXe siècle, avaient réussi à améliorer la condition ouvrière, en repoussant l’âge du travail pour les enfants à 10, puis 12, 14 et enfin 16 ans ; en réduisant le nombre d’heures et de jours travaillés — et non plus 7 jours par semaine, 12 heures par jour. Plusieurs étaient des communistes certes, un idéalisme qui comme tous les autres a conduit aux pires atrocités des derniers siècles. Aujourd’hui, dans notre ère postmoderne, où ne nous reste que le mirage de la démocratie libérale et/ou pour la moitié de l’humanité conjuguée à une fois fervente et la plupart du temps radicale, que nous reste-t-il ?
Et bien, pour certains d’entre nous, encore de nos jours, la conviction que, rationnellement, intellectuellement, la démocratie et la « res-publica » est encore le moins mauvais des systèmes politiques et que la tyrannie, sous quelque forme que ce soit, se doit d’être combattue par tous les moyens. Et pas juste chez soi, mais partout où c’est nécessaire. L’invasion de l’Ukraine par la Russie la semaine dernière nous le rappelle. Le président Zelensky n’a-t-il pas lui-même lancé un vibrant appel — soutenu par plusieurs leaders politiques, comme la ministre britannique des affaires étrangères britannique » - à « protéger la sécurité mondiale » en s’enrôlant dans une « légion internationale » ?
Laissons faire Poutine aujourd’hui et qui sait ce qu’il fera demain ? Et après lui, les Erdogan, Deng Xiaoping, Bolsonaro ou Trump de ce monde ? La menace brandie par Poutine d’user de l’arme nucléaire n’est pas anodine. C’est un test pour l’unité européenne, mais également pour une certaine vision — multilatérales — des relations internationales et de la direction que l’humanité va prendre. L’ordre mondial du siècle à venir se joue peut-être cette semaine…
Je ressens moi-même profondément cet appel, bien que n’étant pas Ukrainien. Je suis européen, mais cela va au-delà. N’avez-vous pas le sentiment que l’agression russe a des implications qui dépassent largement le simple conflit territorial entre deux nations ? Que nous sommes à un tournant de notre histoire contemporaine, comme l’a été la guerre d’Espagne dans les années 1930 ? Kiev deviendra-t-il le Guernica de ce siècle ?