ÉDITORIAL
Il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir
Par où commencer? Tellement de choses sont dites à tort et à travers, dans un débat où les émotions priment la raison. D’abord, un fait : la laïcité d’un état ne se préoccupe pas d’identité, elle définit plutôt une conception du rôle de l’état. Si l’on convient qu’un état moderne doit offrir (droit collectif) le même service à tous, sans que soit imposée une quelconque idéologie au citoyen (apparence de neutralité), alors vous conviendrez que la situation où un agent d’un service public exprime ses opinions politiques ou religieuses en « pleine face » de son interlocuteur est peu professionnel. Bien sûr, cela n’empêchera jamais ces policiers, ces juges, ces enseignants, etc. d’avoir leurs croyances et valeurs; pas plus qu’un juge qui arriverait avec un t-shirt à l’effigie de Staline pourrait, dans l’absolu, appliquer quand même les lois démocratiques et « bourgeoises » de notre pays. Mais dans ce dernier cas, vous seriez choqué-e, n’est-ce pas? Or, en quoi les croyances religieuses seraient-elles différentes des croyances politiques? Dans les deux cas, c’est la même liberté de conscience qui s’applique.
Par ailleurs, dans un monde où guerres religieuses, différends territoriaux et querelles ethniques se mêlent, dans une époque qui a vu se répandre l’application stricte d’un islam politique (Iran, Arabie Saoudite, État islamique…), dans un XXIe siècle qui est né sous les gravats du World Trade Center, pourquoi ne pas affirmer plus haut et fort la séparation entre l’état et les religions? Surtout dans un Québec qui a connu un mouvement historique et culturel de sécularisation depuis plusieurs décennies. Et si le déclencheur est en effet l’expansion d’un islam fondamentaliste, où est le problème? En fait, toute personne informée pourrait y ajouter la progression des mouvements évangélistes ou encore le poids de la mouvance antiavortement (chrétienne, là encore) chez la droite conservatrice canadienne. Je passe sur les (rares, mais quand même) cas où des juifs orthodoxes ont carrément demandé d’être servis par des personnes du même sexe! Vous avez dit « égalité des sexes »?
Tout cela n’est pas « raciste », au pire, on parlerait plutôt d’anticléricalisme. Mais il est commode pour certains partis politiques ou groupes communautaristes de crier au loup et de taxer de xénophobes les tenants de la laïcité de l’état. Dans ce cas, 60 millions de Français le sont également. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de racisme ou de xénophobie, ici ou ailleurs. Mais bon, peut-on faire preuve de nuances? On pourrait rappeler que quantité de croyants dans le monde n’appliquent pas de la même manière, et parfois très partiellement, les exigences pratiques de leur religion. Est-ce à dire qu’ils ne sont pas croyants? Enlever tes signes religieux quand tu vas travailler, parce que tu ne veux pas les imposer aux personnes que tu sers, cela t’empêche-t-il de croire en Dieu? Naïvement, je croyais qu’un vrai croyant n’a pas besoin de signes aussi superficiels que des vêtements ou des colifichets… Ou bien serait-ce une manière de se rassurer sur une foi chancelante?
Maints autres aspects de cette laïcité que l’on voudrait opposer – à tort – aux droits et libertés individuels pourraient être discutés : personnes en autorité; droit des minorités; définition d’un signe religieux; « clause nonobstant », etc. Restent les faits.