ÉDITORIAL
Il n’y a pas d’argent facile
Qui n’a pas reçu un jour, voire quotidiennement, un message pour placer de l’argent en bourse ou acheter des bitcoins ? Il me semble pourtant qu’il y a peu la finance était réservée aux initiés (dans tous le sens du terme). Serait-ce à dire que désormais, elle s’est démocratisée, que monsieur et madame tout le monde peuvent « investir » en bourse et gagner le gros lot ? Qui n’aurait pas envie de devenir riche en quelques clics ?
Rien d’étonnant à ce que cette pratique, nommé « stonk investment », un dérivé du mot « stock » - une action boursière - attirent les jeunes. Surtout si c’est par des applications en ligne que tout se fait ; les moins de 35 ans ne sont-ils pas ultra-connectés? Ainsi, grâce au marketing, jouer en bourse devient plus simple, plus attrayant. Wealthsimple est un exemple ce ces applications à succès. Sa « mission » de départ (hautement altruiste) : révolutionner le secteur financier afin que tous les Canadiens puissent atteindre la liberté financière ». Ses deux millions d’abonnés se voient proposer l’achat d’actions, une aide à la déclaration de revenus ou encore l’investissement dans les cryptomonnaies. Les actifs gérés par la société torontoise s’élèvent aujourd’hui à presque 10 milliards de dollars !
Sa clientèle ? Les Millénariaux, la génération Z, des gens qui s’entraident et se cooptent aisément : amener un ami à investir via la plateforme vous procure une prime immédiate de 25 % de son investissement. Et pas de frais sur les transactions, comme avec un courtier ou une banque. Alléchant ? Des influenceurs en finances se sont même trouvé une vocation via Tiktok, YouTube et Instagram. Ils ne le font pas par philanthropie : publicité, promotion de services et produits variés, ils « monétisent » leur activité. Traduction : ils se font de l’argent avec, en plus d’être eux-mêmes des boursicoteurs. Mais si l’on y retrouve aussi des célébrités, le plus large public est composé de jeunes adultes sans travail, une prime d’urgence gouvernementale en poche, parfois de retour chez leurs parents, pour qui la pandémie a été un catalyseur. Les niveaux d’épargne ont atteint des records en 2020 et sans surprise les Fonds négociés en bourse (FNB) également ! Avec trois secteurs d’activité privilégiés : les cryptomonnaies, le cannabis et la technologie.
L’envers du décor : d’abord, les gens investissent dans les domaines tendances, mais qui sont du même coup, les plus volatils, les plus risqués. Puis cette « gamification », cette simplicité d’accès et d’utilisation, en pousse plusieurs à foncer sans trop réfléchir, sans avoir ni la formation ni l’expérience nécessaire pour comprendre la subtilité des mécanismes financiers, qui gouvernent notre monde. Et oui, cela prend une forme de culture ! 67 % des utilisateurs de Wealthsimple ont perdu plus d’argent qu’ils n’en ont gagné en 2021. Or le marché (financier), les vrais et gros investisseurs, s’ils se nourrissent de fluctuations, préfère la stabilité, la prévisibilité. Chez ces gens-là, on n’aime guère que les tendances dépendent d’une multitude d’individus moins professionnels, plus impulsifs.
Cette bulle spéculative déconnectée de la réalité socio-économique attire de plus en plus d’amateurs rêvant de bénéfices rapides, mais de moins en moins savants en finance. Elle gonfle, elle gonfle… et finira par d’éclater. Le retour à la réalité sera violent ; bon nombre de personnes et de foyers risquent de perdre gros. La question est de savoir quand.