ÉDITORIAL
Je ne me sens pas dans mon assiette…
Il ne se passe pas un jour sans que je m’interroge sur ce que je mange, ou comment je le mange, d’une manière ou d’une autre. Peut-être mon origine française y est-elle pour quelque chose… ou bien est-ce dans l’air du temps? Il est vrai qu’avec l’ouverture du marché dominical, les journées ensoleillées sur les terrasses de notre beau coin de ville et les premiers barbecues, on y réfléchit davantage.
Plus de légumes et moins de viandes au kilo pour les grillades? Et pourquoi pas une bonne salade composée, bien fraîche, après une chaude journée, plutôt que des plats en sauce? D’où vient cet aliment? Du Canada? De plus loin? Dès lors, dois-je privilégier la nourriture fraîche locale? Donc au détriment d’une certaine variété? Et si oui, pourquoi ne pas m’abonner à un panier bio? Sinon, si je vais au supermarché, n’est-ce pas mieux de prendre mes fruits en vrac plutôt que sous plastique, afin de moins contribuer à la pollution de nos océans?
Cependant, une information récente est passée sous le radar ou presque. Une nouvelle qui changera le contenu de nos assiettes dans les décennies à venir. Entre le sommet du G7 super sécurisé, au coût de près de 1 milliard de dollars, et la coupe du monde, au coût de 1,5 milliard, une autre grosse transaction aux chiffres vertigineux a eu lieu. Il s’agit du rachat du groupe Monsanto par le groupe Bayer pour le modique somme de 63 milliards. Vous me rétorquerez : « OK, une grosse entreprise en rachète une autre, et alors? ». Attention, la nature des activités de ces deux grands groupes, n’est pas anodine.
SI l’étiquette Monsanto disparait, elle qui est mondialement connue pour ses scandales environnementaux et humains, ses produits, eux, restent bel et bien les mêmes : Delkab (semences de maïs et de colza), Ruiter (semences potagères) ou Round up (herbicide au glyphosate). Or, si l’on convient, comme le patron de Bayer, Werner Baumann, que « nourrir une population mondiale croissante est un défi à long terme » (10 milliards d’êtres humains d’ici 2050), je vois mal comment réunir l’approvisionnement de cette même population entre un nombre de mains réduit peut s’avérer une bonne nouvelle!
En effet, moins de concurrence signifie un risque accru sur les prix et la qualité des produits au niveau qui convient aux quelques acteurs de ce secteur : Bayer, Syngenta (racheté par ChemChina), Dow Chemical-DuPont (fusionnés en 2017) et BASF; ces derniers négociant pour associer leurs activités autour des engrais, des herbicides et autres pesticides, alors que Bayer a cédé à BASF une partie de ses activités pour calmer les autorités de la concurrence. Pensez que ces quatre groupes contrôlent 60 % du commerce des semences, la quasi-totalité des OGM et la majorité des brevets sur les plantes, sans compter les nombreux produits phytosanitaires qui leur correspondent?
Tous travaillent dans des secteurs, comme la « biotechnologie des plantes », où la recherche et le développement sont cruciaux, réclament des investissements massifs, mais où les bénéfices sont assurés : la nécessité vitale de manger ne risque pas de disparaitre! Alors, ne nous voilons pas la face : cette dérive du système capitaliste vers des situations d’oligopole, voire de monopole, est dramatique pour l’avenir de l’humanité tout entière.