ÉDITORIAL
L’arroseur arrosé
Pour une fois, l’actualité m’a arraché un éclat de rire… sardonique, revanchard, j’en conviens, mais si plaisant de temps à autre. Ne dit-on pas après tout que la vengeance est un plat qui se mange froid?
Petit rappel : au Québec, Jean Charest, sous la pression très insistante de la société civile et des partis d’opposition, avait crée, à l’automne 2011, la commission d’enquête sur l’industrie de la construction ou commission Charbonneau. Des audiences publiques avaient été tenues à partir de juin 2012 et une dizaine de témoins avaient été interrogés, pour finalement déboucher sur un rapport et des recommandations en décembre dernier. Des accusations judiciaires ont suivi et l’Unité de Police Anti Corruption (UPAC) a procédé à des arrestations.
Cette lutte contre le financement illégal des partis politiques a été à peine ramené à l’avant-plan par la discorde entre les deux juges responsables de la Commission, Charbonneau et Lachance, lors de la remise du rapport en décembre dernier. Le souvenir de leurs recommandations n’a pas eu le temps de s’estomper que le naturel du parti libéral du Québec est reparut. Le déclencheur? L’arrestation de Nathalie Norman-deau pour fraude et abus de confiance. Député libérale à partir de 1998, ministre des gouvernements libéraux de Jean Charest, ex-vice première ministre, ex-ministre des ressources naturelles … elle travaille dans le secteur privé depuis 2011. En fait, figure emblématique libérale, elle est de-venue le bouc émissaire de la lutte contre la collusion chronique entre l’industrie de la construction (liée à la mafia) et le PLQ.
C’est triste pour la démocratie québécoise, mais l’on peut croire que cette vaste opération de nettoyage, qui a conduit à des lois encadrant le financement des partis politiques, plus spécifiquement à la limitation des « dons » des entreprises et des particuliers, est en voie d’assainir la situation. Durant tout ce temps, le reste du Canada n’a pas manqué de brocarder le Québec comme une province corrompue jusqu’à la racine, LA plus corrompue de toutes : on se souviendra de la couverture du magazine McLeans montrant le bonhomme Carnaval portant une valise débordant de billets verts… Nous en avons pris plein la tête, n’hésitons pas à le dire.
Et qu’apprend-on récemment? Que les mi-nistres du parti libéral de l’Ontario devait ramener de 100 000$ à 500 000$ par personne! Kathleen Wynne a beau jeu maintenant de vouloir légiférer, mettre de la l’ordre et de la morale dans le financement du parti. En Colombie-Britannique, une simple entrevue avec la première ministre (libérale) coûte 20 000$. En toute légalité. À côté d’eux, Nathalie Norman-deau est une amatrice. Pourquoi donc avoir tiré à boulets rouges sur le Québec à l’époque? Pourquoi les médias n’ont-t-ils pas rappelé que sur 13 provinces et territoires, seuls le Manitoba, la Nouvelle-Écosse et le Québec avaient proscrit la participation des entreprises au financement électoral? Pire, dans plusieurs, il n’y a même pas de plafond de contribution. Voudrait-on nous faire croire que les compagnies le font par amour de la démocratie, sans aucune contrepartie? Comme le fait remarquer Carole Beaulieu dans L’Actualité, on ne devrait pas avoir à « acheter » l’écoute d’un ministre dans une démocratie. Finalement, je trouve l’ironie de la situation savoureuse et féroce pour le ROC, ses journa-listes, sa classe politique et tous ses citoyens. Déjà à l’époque, il était évident que la collusion entre l’industrie et la politique existait partout au Canada, il suffit de voir la facilité avec laquelle nos ministres passent de la mandature politique et à la vie professionnelle dans le secteur privé. Mais maintenant, je serais tenté de leur dire : prenez plutôt exemple sur le Québec.