ÉDITORIAL
L’art d’instiller le doute
Cette semaine, voici un éditorial conceptuel. Le moment s’y prête. Alors que la souveraineté n’a jamais été aussi incertaine; alors que l’avenir de la relation avec notre gros voisin, les États-Unis, est problématique et que la météo pour la fête du Canada est mouvante. Je ne parle même pas des résultats des prochaines élections provinciales. Même votre temps d’attente dans les bouchons demain matin est difficile à prévoir. Vous l’avez compris, il s’agit du concept d’incertitude.
C’est une donnée fondamentale de notre vie, exceptée la seule certitude qui la gouverne : nous mourrons un jour. L’incertitude est définie comme « l’état de ce qui est incertain », associée à ce qui est « imprévisible », « instable », qui a tendance à changer. C’est un état, une émotion puissante qui n’est jamais loin de l’inquiétude, du désespoir, voire de l’angoisse.
L’incertitude est à ce point consubstantielle de notre condition humaine qu’elle a été étudiée par la tradition philosophique. En effet, comment vivre heureux avec tant de choses incertaines autour de nous? De quoi pouvons-nous être certains? Le philosophe répondrait que le vrai problème est justement la certitude. Le logicien et philosophe Bertrand Russell a déclaré à ce propos : « Ce que les hommes veulent en fait, ce n’est pas la connaissance, c’est la certitude ». À méditer…
Du côté de la physique quantique, on apprend ainsi qu’il y a une limite fondamentale à la précision : on ne peut connaître simultanément deux propriétés d’une même particule. C’est le principe d’indétermination (ou d’incertitude) d’Heisenberg. Donc, il reste toujours une part d’incertitude, en particulier quand on aborde le cerveau humain. Le déterminisme absolu n’existe pas, mais le libre arbitre et la liberté oui.
Le meilleur exemple réside à Washington pendant la semaine et va faire du golf toutes les fins de semaine aux frais du contribuable. On peut se demander si l’incertitude qui l’accompagne est voulue ou pas, si c’est une tactique, il n’en reste pas moins que cela fonctionne. Certains lui prêtent des pensées machiavéliques, d’autres le jugent malade mentalement (un genre de bipolaire). Les deux ne sont pas contradictoires d’ailleurs. Or, les marchés financiers reculent, les traités, accords et autres ententes internationales vacillent, la gouvernance et le leadership de l’ONU battent de l’aile. Notre avenir collectif n’a jamais été moins sûr ces dernières années. En tant que consommateurs, nous hésitons. Les entreprises hésitent à investir. Le sentiment d’insécurité s’accroit partout. Pour Trump, gouverner, c’est faire la guerre, souvent en déstabilisant ceux qu’il considère comme des adversaires.
Cet élément de stratégie a été justement pensé et développé par le Chinois Sun-Tzu dans son Art de la guerre. Lui qui est considéré – à tort - comme une lecture obligatoire par tous les gestionnaires de ce monde et, plus pertinemment, par les écoles militaires, place un ou deux principes au pinacle : la tromperie, l’instigation de la discorde chez l’adversaire, l’adaptation rapide aux conditions changeantes. Or quel est l’effet commun sur un adversaire à ces éléments? Ils créent de l’incertitude à propos du comportement (imprévisible) de l’armée qui l’utilise.
À l’échelle individuelle, il est aisé de décliner ce principe dans les relations interpersonnelles, en milieu de travail notamment, à condition de considérer nos collègues, clients et patrons comme des ennemis. Un brin paranoïaque comme vision du monde, non?