ÉDITORIAL
L’assommoir (1)
Alors, cette semaine, la fin du monde? Je ne parle pas de Trump! Non, c’est ici à Gatineau que nous avons évité l’Armageddon : le personnel de la STO aura à coup sûr augmenté ses moyens de pression, mais sans grève générale illimitée… pour l’instant. Contre tout attente et désinformation de la part de la direction de la STO.
Cependant j’ai trouvé malhonnête que l’on passe sous silence que les syndicats sont nécessaires, qu’ils ont fait un boulot incroyable historiquement. Le discours ambiant ici en Amérique du nord est souvent antisyndicale, comme s’ils étaient une maladie honteuse, des empêcheurs de tourner en rond, une force négative anti-progrès. Mais attention! Il ne faudrait pas confondre changement et progrès! Souvenons-nous de ce que ce contre-pouvoir économique a apporté aux travailleurs depuis ses débuts, dans les années 1830-1840? Rappelons-nous que cette éclosion est liée à l’avènement du capitalisme industriel. Corollaire : maximiser les bénéfices et réduire le coût salarial, tout en mécanisant la production. Dans ce contexte, les débuts du syndicalisme se font à coup de manifestations et de bris de matériel de production, en Angleterre comme en France. Une fois reconnus par les gouvernements comme des interlocuteurs légitimes et légaux, les syndicats vont s’organiser, se répandre dans tous les secteurs économiques au fil de l’industrialisation de l’économie. On les retrouve donc fortement établis vers 1880, en Europe en France et en Angleterre, mais également en Allemagne. À cette époque, 30 % à 50 % de la main d’œuvre travaille dans l’industrie. Ils sont réformistes, révolutionnaires et politisés. Des avancées sociales majeures n’auraient jamais eu lieu sans les syndicats, et quels progrès!
Pourquoi ne travaillez-vous que 8 heures, peut-être 10 heures maximum par jour? Pourquoi les enfants vont-ils obligatoirement à l’école jusqu’à 16 ans au lieu de travailler 12 heures par jour pour la moitié du salaire d’un adulte? Pourquoi n’êtes-vous pas payé 5 $ de l’heure? Pourquoi avez-vous des congés payés? Des congés maladie? Si l’on avait écouté les patrons, les ouvriers n’auraient même pas gagné assez pour assurer leurs dépenses courantes : en 1879, une famille standard, sans même acheter de vêtements, doit dépenser 19,74 francs par semaine pour vivre; l’homme gagne en moyenne 17,50 francs; le reste de sa famille doit donc apporter le complément, et cela seulement pour les besoins fondamentaux (manger, boire et un toit). Évidemment sans protection sociale, médicale ou retraite et sans aucun confort d’aucune sorte…
Pour obtenir une amélioration, comment faire? Demander gentiment suffit-il? Se regrouper, mener des actions collectives, comme la grève, fait partie des moyens historiques, grâce auxquels des employés en situation d’infériorité face à leur employeur peuvent rééquilibrer le rapport de force et obtenir des avancées. Qu’y a-t-il de répréhensible? Il n’y a rien de plus moral, au contraire.
Le pire : entendre ou lire des médias locaux se faire l’écho des déclarations insultantes (pour notre intelligence) de la direction de la STO, et en rajouter dans le catastrophisme, histoire de nous faire peur. Même les commissions scolaires ont envoyé un avertissement aux parents aux cas où… Réaction immédiate: on se met en colère, on cherche des boucs émissaires (les empêcheurs de tourner en rond qui « prennent les usagers en otage », comme des terroristes?) Or la direction de la STO était avertie, les moyens de pression mis en place sont progressifs (rappelez-vous le « scandale » des t-shirts de protestation portés par les chauffeurs l’an dernier) et ces employés n’ont pas de contrats depuis 2014! Qui n’a pas pris ses responsabilités et a fait preuve de mauvaise foi dans cette affaire?
(1) Titre d’un roman d’Émile Zola