ÉDITORIAL
L’enfer, c’est les autres?
Omar Khadr. Deux mots, un nom qui, il y a encore quelques années, vous aurez fait frémir. Un nom encore synonyme d’extrémisme religieux, de terrorisme aveugle et de haine pour les Richard Martineau ou les Stephen Harper de ce monde. Celle supposée de cet homme de bientôt 31 ans envers l’Occident; la nôtre en retour, après les actes odieux qu’il aurait commis (depuis quand les propos recueillis sous la torture sont-ils fiables?). Or, trois fois la Cour suprême du Canada lui a donné raison!
Le débat est relancé depuis l’indemnisation de 10 millions de dollars que le gouvernement du Canada vient de lui verser pour (nous) se faire pardonner, après les 13 années d’emprisonnement à Guantanamo jusqu’en 2012 et la campagne officielle de salissage qu’il a subie.
D’abord, quiconque un peu informé trouverait bizarre que l’on traite un enfant de 15 ans comme un adulte, eût-il lancé une grenade fatale sur un soldat américain. Il y a des traités internationaux, signés par le Canada et presque tous les pays, qui reconnaissent la non-imputabilité des enfants embrigadés dans des guerres. Même les militaires ne discutent pas l’innocence des enfants embarqués de force dans les raids de Boko-Haram au nord du Mali. Et depuis quand laisse-t-on croupir nos ressortissants dans des geôles étrangères sans réclamer leur extradition au Canada? Qu’Omar Khadr ait tué un soldat délibérément pour Al-Qaïda ou pas n’y change rien. Personne ne voudrait cela pour son fils, non?
Cependant, je ne veux pas vraiment discuter du fonds, mais de la forme. Nous avons immolé ce garçon sur l’autel de nos peurs et de nos fantasmes. Il continue d’être un bouc émissaire, résultat d’une véritable « politique de peur ». Un bouc émissaire est une personne que l’on désigne comme la seule responsable d’une situation, comme les juifs par les nazis et une partie de la population mondiale dans les années 1930. De nos jours, on pourrait dire que l’on met pas mal l’instabilité politique mondiale sur le dos des musulmans, parce que plusieurs des conflits les plus médiatisés sont en lien avec des groupes extrémistes musulmans. L’amalgame est facile, pratique, rapide. On ne voit plus les musulmans du même œil depuis l’attentat du 11 septembre 2001. La politique de la peur consiste pour un gouvernement à provoquer ou exagérer la peur dans la population afin de faciliter l’adoption de lois sécuritaires, au détriment des libertés individuelles et en général dans le but de se maintenir. C’est la constante historique, depuis le « péril jaune » à la fin du XIXe jusqu’à la menace djihadiste d’aujourd’hui. Cela relève donc du calcul politique.
La réponse humaniste? Agir rationnellement, s’informer (le reportage de Patrick Reed et Michelle Shepard, « Omar Khadr : de l’ombre à la lumière » dissipera vos craintes), réfléchir, garder l’esprit critique pour pouvoir lutter contre cette inquiétude naturelle qui nous envahit lorsque nous croyons que notre famille, notre ville ou notre pays sont menacés.
N’ayons donc pas peur, chers concitoyens : Omar Khadr ne viendra pas frapper à notre porte pour satisfaire aveuglément sa supposée soif de vengeance. Il est en voie de réhabilitation. Nous avons même économisé dix millions de dollars : en effet, il avait entamé une poursuite de 20 millions de dollars contre le gouvernement. Essayons plutôt de saisir la fracture qui nous sépare d’une partie de l’humanité entière, de nos « frères humains » qui au fond, ne sont pas si différents de nous. Se mettre à leur place, comprendre pour mieux dialoguer et prévenir une autre escalade qui nous emportera tous. Voilà pourquoi nous sommes toutes et tous concernés.