ÉDITORIAL
L’âge d’or, une mine d’or
Plusieurs fois, ces dernières semaines, j’ai été outré. Imaginer comment ses pauvres vieux sont morts, loin de chez eux, sans leurs proches, isolés, m’a bouleversé. Si l’on peut s’habituer à l’idée de disparaitre — on n’a finalement aucune emprise sur ce phénomène naturel — la différence se fait sur la manière. Idéalement, on voudrait tous mourir sans en prendre conscience (dans notre sommeil), sans souffrance et entourés d’affection.
Mais pour les douze victimes de la résidence Floralies LaSalle et les 35 autres (un tiers des résident-e-s) du CHSLD privé Herron, cela n’a pas été le cas. Ils sont morts dans le dénuement, dans leur chambre, sans personne autour. Souvenons-nous quand même d’une ou deux choses…
D’abord, il s’agit de sociétés privées à but lucratif sous convention avec le gouvernement - Herron appartient au groupe gatinois Katasa (oui, le même qui possède « Le District » à Aylmer - pas à une entreprise philanthropique. C’est d’abord de « la business », et ensuite du « service aux ainé-e-s ». En effet, le but d’une entreprise est d’avoir les meilleurs ratios possible (par exemple, en nombre de salarié-e-s/usagers), de réduire ses coûts (communication avec les proches, normalisation des horaires et de la qualité des repas, etc.), pour dégager un maximum de profit. Dans ces conditions, comment blâmer les employé-e-s, en sous-nombre et sous-équipés ? Le seul problème ici, c’est que nous parlons de la santé d’un être humain et dans le cas de la CoVid-19, de vie ou de mort. Un agent de la fonction publique a au moins ce sens du devoir : il rend un service à la population… Mais quand agirons-nous vraiment comme si la santé ou l’éducation sont non seulement des services essentiels mais n’ont pas de prix ?
Ce ne sont pas les libéraux — surtout eux, mais pas seulement eux — qui nous montreront le chemin, eux qui ont coupé allégrement dans les services aux ainé-e-s, qui ont privatisé ces mêmes services, tout en centralisant la gestion du système (les fameux CIUSSS). Bon, Legault a également fait une erreur tactique en dirigeant les ressources vers les hôpitaux en vue de la pandémie, alors que les personnes âgées atteintes du virus, qui auraient été normalement envoyées vers ces centres hospitaliers, sont finalement restées confinés dans leurs maisons de retraite. Résultat : les CHSLD sont devenus des mouroirs victimes du manque de ressources (en équipement et personnel).
Au fond, notre société cache ses vieux, les remise dans des centres aux sigles abscons, pour les gérer comme des nombres, d’une manière technocratique. C’est propre, c’est neutre, c’est froid. Et disons-le, ça arrange bien tout le monde, moyennant une petite visite d’une heure par mois. C’est moins de problèmes que de garder nos parents et grands-parents à domicile, du moins en apparence, pas vrai ? Mais voyons, être vieux, c’est une réalité existentielle et lexicale, il n’y a aucune honte à ça ; un vieux, c’est riche de connaissances diverses, y compris d’expériences de vie et professionnelle uniques et irremplaçables ; un vieux a également envie de vivre, d’aider, de participer à la société qui l’entoure. Pourquoi l’en écarter ? Ah, mais ce n’est pas conciliable avec notre modèle de société, basé sur la compétition, la vitesse, l’efficacité à court terme et le jeunisme. Tout autre discours est un mensonge. Et renommer les CHSLD en « maison des aînés » n’y changera rien.