ÉDITORIAL
La burqa et le compas
Hier, Radio-Canada diffusait un reportage sur le racisme de la couronne britannique, qui, personne ne me contredira, représente le peuple britannique — sinon, à quoi bon la garder ? — et sur la manière dont elle a jusqu’aux années 1970 officiellement écarté toute personne de couleur du recrutement de son personnel. Pourtant, nous, au Canada, sommes fiers de notre multiculturalisme à la britannique, capable de faire vivre ensemble pacifiquement tant de gens d’origines, de traditions, de religions et de valeurs différentes. Comme si vivre les uns à côté des autres sans se taper dessus était en soi l’objectif ultime de la société humaine, la forme d’intelligence sociale par excellence.
Forts de la même exigence de respect de la « couleur » de chacun (le trait humain le plus superficiel qui nous relie) et de l’histoire de certains groupes minoritaires, on peut suspendre plusieurs semaines un enseignant pour deux vers d’un poème étudié en cours… et mal compris. Ainsi, dans Toronto-centre, il n’y a pas si longtemps, une enseignante de français a présenté en classe le célèbre poème d’amour de Prévert terminant par : « Et puis je suis allé au marché aux esclaves/ Et je t’ai cherchée/ Mais je ne t’ai pas trouvée, / Mon Amour ». Phrases offensantes qui parleraient de l’esclavage, en feraient même l’apologie, tant qu’on y est. Ça ne vaut même pas une explication, vous chercherez, si vous curieux-se.
Est-ce que vous avez vous aussi l’impression qu’une certaine confusion règne ? Que plusieurs, notamment dans le ROC anglophone, et peut-être même chez nous au Québec, n’ont pas le compas bien réglé ? Parce que là, on perd un peu le Nord. Au nom de principes tout à fait valables au départ, des amalgames – bien souvent fruits d’une ignorance qui en arrange plusieurs —conduisent à une confusion qui peut faire très mal. Bêtise ? Cynisme ? Déni ? Calcul politique ? À cet égard, les remarques qui ont suivi l’assassinat de la famille Afzaal à London, Ontario, sont éloquentes. Au passage, on ne peut rester insensible devant cette tragédie qui a frappé Salman, 46 ans, sa femme Madiha, 44 ans, leur fille, Yumna, 15 ans et la grand-mère, Talat, 74 ans, et qui laisse Fayez, 9 ans, orphelin. C’est terrible, pathétique, qu’une famille entière, venue ici pour vivre en paix justement, se voit ainsi décimée. Mais pour quelle raison ?
Selon plusieurs journalistes et personnes qui ont pris la parole dans les jours qui ont suivi l’attaque, il n’y a aucun doute : les causes sont le racisme ambiant, la xénophobie… et une intolérance alimentée notamment par la loi 21 du gouvernement québécois. Vous avez bien entendu. Questions posées au premier ministre Trudeau par des journalistes de Toronto (encore !) : « Que faut-il faire pour contrer la hausse des crimes haineux ? Est-ce le temps pour votre gouvernement de parler plus fortement contre la loi 21 ? » ; et un autre : « Êtes-vous d’accord avec les experts et les militants de la communauté qui disent que la loi 21 encourage la haine et la discrimination ? ». C’est quoi cet amalgame-là ?
Le Québec et sa laïcité seraient donc l’une des causes du quadruple meurtre de London ? Sérieusement ? Les détracteurs de la loi 21 feraient mieux de se regarder dans le miroir, parce que dénigrer le Québec au nom du respect de la différence et du vivre ensemble est pour le moins ironique.