ÉDITORIAL
La fortune est dans le « pot »
C’est historique! Et oui, qu’on le veuille ou pas, la légalisation du cannabis à l’échelle du pays est une première. Le Canada s’ajoute à une liste croissante de pays (l’Autriche, la Jamaïque, l’Uruguay, l’Espagne, l’Afrique du Sud), qui permet d’avoir un aperçu des conséquences de la légalisation. Nous devançons même nos puissants voisins américains, chez qui seulement 30 des 50 états ont partiellement ou totalement légalisé le « pot ». Je voulais attendre un peu que la fumée se dissipe avant de réaborder ce sujet. À première vue, nos rues ne sont pas jonchées de drogués et nous sommes très loin du chaos annoncé.
Contrairement aux discours des entreprises privées, aucun expert ne prévoit une augmentation phénoménale de la consommation de marijuana. Certains seront tentés d’en essayer les produits dérivés comestibles, et alors? Combien deviendront dépendants? Personnellement, je ne vais pas changer mon style de vie ou mes dépenses; je suis heureux comme je suis. Pourquoi prendrais-je davantage le risque de conduire ou de travailler avec des facultés affaiblies?
Sur le plan économique et financier, les Canadiens ont dépensé 5,6 milliards de dollars dans l’achat de marijuana en 2017. C’est énorme! 800 emplois sont concernés dans la région. Imaginez le revenu en termes de taxes qui va s’ensuivre… Cependant, entre les soins médicaux et les coûts sociaux (qui existaient déjà), et les campagnes de sensibilisation et d’information (nouvelles et nécessaires), la légalisation du cannabis va avoir un prix. Mais ce sont surtout les spéculateurs qui en ont profité jusqu’à maintenant; le Canada est l’un des rares pays industrialisés où il est possible d’investir dans une drogue légalement. Ce qui a entrainé une surévaluation des titres des sociétés qui en produisent. Mais attention! le marché canadien n’est pas extensible, pour combien de temps pourra-t-il encore absorber la croissance de la production? Et plus le nombre de producteurs augmentera, plus l’offre grandira, plus les prix baisseront (au Colorado, les prix ont chuté de 122 % l’an dernier). Le but recherché n’est-il pas de couper l’herbe sous les pieds des revendeurs illégaux?
Non, le vrai problème relève de la santé publique : un individu mal informé ou fait fi des avertissements en consommant régulièrement du cannabis va développer des pathologies : perte de mémoire, problèmes psychotiques, réflexes ralentis, dépression – en plus de la dépendance. D’où éventuellement des hospitalisations plus nombreuses. Et gare aux enfants qui prendront des cookies au pot pour goûter! Au quotidien, il est donc normal et logique d’appliquer les mêmes règles que pour la cigarette (quand il s’agit de joints) et l’alcool. L’obstacle majeur : pour l’instant, la police dispose en vérité de peu de moyens fiables de déterminer la mesure exacte de l’intoxication d’une personne, qui serait, par exemple, contrôlée sur la route. Il n’existe pas d’équivalent à l’éthylotest.
Ironiquement, il sera par endroit plus difficile et illégal de fumer du pot maintenant que c’est légal qu’avant, où une tolérance de fait s’était établie. Désormais le cannabis est stigmatisé. L’être humain a peur de ce qu’il ne connaît pas, le tabou reste et l’histoire se répète. Enfin, n’oublions pas que cette réforme vise notamment à enlever des griffes des dealers de coin de casier nos enfants âgés de moins de 21 ans et qui constituent 40 % des consommateurs de marijuana…