ÉDITORIAL
La gifle
Doug Ford a ravi la palme à François Legault cette semaine. Juste derrière lui, Caroline Mulroney (la ministre ontarienne déléguée à la francophonie qui préfère se cacher) et Justin Trudeau (qui défend toutes les langues minoritaires au Canada, comme l’anglais et le français — dixit Trudeau).
Il faut dire que l’on pouvait s’en douter : le peu de considération pour la cause franco-ontarienne que Ford avait montré pendant la campagne électorale (refus de faire le débat en français, déclaration du bout des lèvres de soutenir le projet d’université) était déjà un signe. Dès son investiture, l’annonce de la disparition du ministère dédié à la francophonie était un signal supplémentaire.
Mais là, j’avoue ne pas l’avoir vu venir, la gifle. Littéralement. Paf! Abandon du projet d’Université de l’Ontario français, résultat d’une discussion de fonds de quatre décennies… Tends l’autre joue… Paf! Dissolution du commissariat aux services en français. Aussi simplement que ça! Une ou deux lignes dans l’actualisation économique du gouvernement conservateur de l’Ontario. Le droit à une éducation en français? Un poste de dépense comme les autres.
Franchement, et bien qu’habitant au Québec, je me suis senti personnellement insulté. J’ai même entendu à la radio, un journaliste ontarien anglophone (et francophile) déclarer que Ford rompait avec une tradition d’ouverture de sa province. Euh! Et le règlement 17? L’interdiction du français « comme langue d’enseignement et de communication » dans les écoles publiques, entre 1912 et 1927? L’absence totale du français dans la sphère publique à Toronto? Hugh MacLennan parlait des deux solitudes… Toronto n’est-il pas emblématique?
Je dirais même que le silence de la presse anglophone en dit long. Sans compter l’élection récente d’un premier ministre unilingue au Nouveau-Brunswick, allié à un parti anti-francophone. Une tendance se confirme. Rendons-nous à l’évidence, à l’instar du ROC anglophone, Doug Ford est tout simplement indifférent. Pas méprisant, non, simplement indifférent : la francophonie ne fait pas partie de son univers quotidien. Comme la plupart des autres Ontariens, il vit à côté d’une communauté francophone de 600 000 personnes depuis qu’il est né, sans avoir avec elle la moindre accointance.
Bien sûr, il y a des francophiles partout au Canada, les programmes d’immersion française n’ont jamais été aussi prisés à l’ouest, et le gouvernement fédéral affiche un certain bilinguisme. Cependant la réalité sur le terrain nous rattrape : seule la capitale fédérale voisine (ou presque), a résisté aux conservateurs… avec le nord de l’Ontario, fort de ses communautés traditionnelles francophones. Peut-être la population des francos n’est-elle tout simplement plus capable de faire pencher la balance. Bien qu’au cœur de l’histoire du continent, le français est de plus en plus accessoire au Canada, en l’état actuel des politiques. Si vous en doutez, essayez d’imaginer l’évolution du pays, à ce rythme, d’ici au XXIIe siècle. Et si au Québec, le gouvernement faisait la moitié de ce qu’a fait Ford dans sa province, comment pensez-vous que la majorité (canadienne) anglophone réagirait?
Alors, que les parlementaires francophones (et -philes) se lèvent et parlent haut et fort en français au premier ministre de l’Ontario, afin de montrer leur attachement à notre langue! Qu’ils fassent sentir à Doug Ford son handicap de citoyen unilingue anglophone et l’étrange ineptie de sa démarche actuelle, en tant que représentant suprême de sa province, au sein d’un Canada qui reste pourtant officiellement bilingue.