ÉDITORIAL
La loi 21, certainement pas un problème de droits
Intrigant dilemme de valeurs, car il s’agit bien de cela, au fond. Pourtant l’odyssée juridique n’est pas terminée pour la Loi 21 : ses tenants comme ses opposants interjettent appel auprès de la Cour Suprême du Canada. En effet, le juge Blanchard de la Cour supérieure du Québec n’a retenu dans son jugement qu’un seul élément qui puisse valider la « Loi sur la laïcité de l’État » : le Québec a le droit (d’une constitution qu’il n’a pas signée !) d’utiliser la clause dérogatoire, donc d’invoquer l’exception culturelle… Mais dans le même souffle, il précise qu’elle contrevient à la liberté de religion. Bref, personne n’est satisfait.
Si on pense à son application dans les écoles, on pourrait rétorquer que la liberté de conscience et l’esprit critique ne peuvent se développer qu’en dehors des affiliations religieuses et politiques, surtout lorsque nous sommes jeunes et influençables. À moins que vous pensiez qu’afficher ses couleurs politiques ou religieuses à la face des enfants dans les écoles soit un gage d’apprentissage à la pensée critique…
Certes, la Loi 21 en restreint l’exercice. Mais souvenons-nous qu’en 1970, la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada avait déclaré que les religions monothéistes sont une cause de l’infériorisation des femmes et de leur retard par rapport aux hommes. En 2007 et 2011, le Conseil du statut de la Femme concluait que le droit des femmes à l’égalité réelle limiterait le droit à la liberté religieuse et suggérait la neutralité pour le personnel de l’État dans le cadre du travail. D’ailleurs, la Cour suprême a déjà statué que cette liberté peut être restreinte, lorsque les pratiques religieuses d’une personne causent préjudice au droit d’autrui. Et le droit de nos enfants à une éducation objective, scientifique, non biaisée et teintée de religion alors ?
Les signes religieux, les vêtements en particulier, parfois portés par les hommes autant que par les femmes (en cela il y a une forme d’égalité entre les deux), reflètent également le statut (rôles et responsabilités) de chaque sexe. Mais là, il n’y a pas égalité, je vous l’assure. Je n’égrènerais pas le chapelet d’extraits de la Bible, de la Torah ou du Coran qui pourraient servir d’exemples.
Les femmes qui ont témoigné contre la Loi 21 nous en offrent elles-mêmes : elles disent porter le voile par « pudeur » et « modestie » face aux hommes. Traduction du dictionnaire Le Robert : « sentiment de honte, de gêne qu’une personne éprouve à faire, à envisager des choses de nature sexuelle » ; « modération, retenue dans l’appréciation de soi-même ». Elles ont donc beau clamer leur choix de porter le voile, elles ont beau assurer ne pas faire de prosélytisme verbal, leurs vêtements véhiculent des valeurs, ils ne sont pas neutres… contrairement à l’enseignement qu’elles prétendent dispenser.
Et puis, quelle image de la femme renvoie-t-on ? Quel message est ainsi transmis ? Quelle influence implicite sur nos enfants ? À quoi servent les articles 15 et 28 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui garantissent une égalité hommes-femmes déjà si difficile à atteindre ? Comment ne pas conclure que le juge Blanchard établit en réalité une hiérarchie entre les différents droits et libertés selon ses propres valeurs ? Admettons-le : au Québec, majoritairement, nous n’avons pas les mêmes valeurs que le ROC en la matière.