ÉDITORIAL
La loi (21) est la loi
D’abord, une fois qu’une loi existe, qu’elle a été votée par une assemblée (nationale) démocratiquement élue, elle doit être appliquée, tant que les tribunaux n’auront pas décidé du contraire (ce qui en soi pose le problème du respect des décisions législatives par le pouvoir judiciaire, mais c’est un autre débat…).
Et nul n’est censé ignorer la loi, non? Madame Fatemeh Anwari s’est présentée pour enseigner avec le hidjab en mars dernier, en ignorant une loi 21 qui date de l’été 2019… comment est-ce possible, à moins qu’elle soit arrivée depuis peu au pays? Sinon…? Si je roule à 150 km sur la route, la police acceptera mal mon argumentation sur le fait que je suis de nationalité française pour excuser mon excès de vitesse ; il est de ma responsabilité de citoyen de connaitre les lois du pays où j’habite.
Cependant, il me semble qu’il revenait avant tout au service des ressources humaines de la Commission scolaire Western Québec et à la direction de l’école de Chelsea, qui l’ont recrutée (comme suppléante, puis sous contrat à l’année depuis octobre), de s’assurer de l’application de la loi, et ce dès le départ. On comprend mieux pourquoi ces deux entités font plutôt profil bas depuis la publication de cette affaire : elles étaient en infraction depuis le début !
Et calmons-nous le pompon avant de monter aux barricades. 1) madame Anwari n’a pas perdu son travail dans l’école Chelsea, elle y travaille encore, pas dans une classe, mais encore avec les élèves 2) depuis quand la religion relève-t-elle de l’espace public et non personnel ? La loi 21 n’a jamais interdit à quiconque d’exprimer son opinion politique ou religieuse à un autre moment, ailleurs excepté dans le cas de trois professions « en autorité », face à un public captif et en situation de faiblesse institutionnelle. M’imaginez-vous avec mes élèves, arborant mon t-shirt « Jesus is the light » ou « Communiste » (que je possède vraiment !) ?
D’ailleurs, si le hidjab, le niqab, la burqa, la kippa, le kirpan, le turban, la croix ou tout signe religieux était un détail sans importance, selon plusieurs détracteurs de la loi 21, pourquoi ne pas pouvoir les enlever, quelques heures durant, pour éviter tout prosélytisme passif ?
Dans la plupart des sociétés à travers le monde, l’état est neutre, laïque ou alors carrément religieux, comme dans les théocraties (Iran, Vatican) ou dans des pays gouvernés par une religion d’État (une cinquantaine de pays sur 195). Serait-ce donc si choquant de demander à chacun de laisser ses croyances, ses opinions politiques, une fois passé la porte de son domicile?
L’explication serait-elle dans le référent culturel et les mots employés? En effet, en anglais, le mot « laïcité » n’existe pas, mais il y a « secularism » et « secular » ; celui-ci est le contraire de religieux, celui-là d’accord, de croyance, d’harmonie ou d’orthodoxie… Cela fait beaucoup de significations différentes pour un seul mot. On comprend peut-être mieux pourquoi les anglophones s’agitent dès que l’idée est abordée. Dans leur esprit, la laïcité serait-elle l’antithèse de l’harmonie, donc synonyme de chaos ?
En tout cas, compte tenu du passif historique des religions, en particulier des monothéismes que sont le judaïsme, le christianisme et l’islam, et de leurs discours officiels réactionnaires et conservateurs, je comprends mal la polémique actuelle sinon par le cynisme, le zèle religieux ou l’ignorance.