ÉDITORIAL
La machine à djihadistes
Depuis plusieurs mois, je me posais la question. Cela me taraudait. Je voulais en parler, il fallait en parler. Parce que c’est le revers à la médaille. Des femmes victimes des djihadistes, mais pas comme on le croit. Plutôt du genre à assumer ses choix. Et puis un jour, le stimulus final : un article sur Dounia Bouzar, Française d’origine marocaine qui vient de publier un livre intitulé ma meilleure amie s’est fait embrigader (Éditions La Martinière). Ou comment une adolescente sans problèmes devient en quelques mois une extrémiste musulmane, une adepte du groupe armé État islamique (ou Daech, acronyme arabe d’État islamique). Il s’agit d’une fiction certes, mais surtout le résultat d’un travail auprès d’un millier de jeunes français et françaises que l’anthropologue a effectué depuis plusieurs années. Le résultat d’une expertise avérée par celle à qui le ministère de l’intérieur français a confié la création d’un centre contre les dérives sectaires de l’Islam, qui a mis en place des outils concrets afin de déradicaliser les jeunes. Une fiction pour aller chercher nos jeunes, mieux peut-être qu’un essai ou une enquête.
Ce qui est particulièrement intéressant dans cet ouvrage, c’est le choix du personnage principal et de la perspective narrative : des jeunes femmes. Pas des gars, non, des filles. En effet, les femmes sont recrutées par les extrémistes, pas d’Al-Qaida (qui se concentre sur les hommes) mais par Daech. On parle là de près de 20% des djihadistes recrutés! Chacune est recrutée pour des raisons différentes et personnalisées, c’est là une des forces de ce groupe terroriste : l’une a besoin de sentir protégée; l’autre voudra se venger d’un système haï; la troisième verra son idéalisme pour un monde meilleur satisfait ou son combat contre le matérialisme capitaliste soutenu. Au-delà du discours autour du complot occidental pour laisser dans l’ombre les soi-disant massacres de civils par les soldats américains ou français, autour de sociétés secrètes menées par des juifs corrompus. Alors, on commence par se révolter contre cette injustice par la pensée – qui serait pour? — avant de terminer comme le bras armé ou le bras qui arme au nom du Djihad… Surtout quand à l’adolescence on prend conscience de la laideur du monde qui nous entoure, sans en voir forcément les beautés, et que l’appartenance à la tribu, au groupe, est si importante, parce qu’on ne s’assume pas encore comme individu.
Cependant, pourquoi des femmes? Elles n’ont pas la force physique des hommes. Qu’ont-elles donc qui les rende si utiles au groupe armé État islamique? D’abord et principalement, elles vont devenir des mères, aider à repeupler le califat, le royaume des croyants : en vivant là-bas tout simplement, puis une fois mariés à des djihadistes, en concevant de futurs combattants... Elles ont également une autre fonction non moins importante. Elles servent elles-mêmes de rabatteuses, elles recrutent activement : on les retrouve dans des vidéos vantant la qualité de vie au califat. Peut-être se méfie-t-on aussi moins d’elles, on est loin de stéréotype du taliban barbu. Elles peuvent finalement se sacrifier et devenir des élues à leur tour, des kamikazes… souvent sous l’effet de la drogue, comme Boko Haram sait si bien le faire en Afrique subsaharienne. En bref et littéralement, elles se mettent au service des hommes.
Le pire est que la moitié des jeunes sollicités par les fous d’Allah et suivis par Dounia Bouzar n’étaient même pas musulmans au moment de leur recrutement. Tout est affaire de perception dés lors. Faut-il que notre société ne présente plus aucun idéal viable pour que des jeunes se laissent embrigader de la sorte?