ÉDITORIAL
La nature se venge-t-elle?
Comment rester insensible à ces images de dévastation qui nous sont montrées depuis deux semaines? Le ciel obscurci par une fumée monstrueuse, les files de voitures fuyant l’incendie, le brasier apocalyptique… Et les témoignages de ceux et celles ne possédant plus que les vêtements qu’ils portent. Ces images ont suscité une vague de sympathie bien compréhensible à travers le Canada. Conséquence : des dons de toutes sortes, en nature (vêtements, denrées non périssables, locaux, etc.), mais également financiers : 30 millions de dollars ont été récoltés à ce jour (nous sommes dimanche 8 mai). 24 millions proviennent de particuliers par l’intermédiaire de la Croix-Rouge; 6 millions des entreprises. Le gouvernement fédéral doublera cette somme, comme il a l’habitude de le faire. La catastrophe est singulière, historique, il semble normal que la réponse en termes de solidarité le soit tout autant.
A fortiori, si l’on considère que le sort s’acharne sur cette province de l’Ouest depuis quelque temps : chute des prix du pétrole à moins de 40 $ le baril (due à une baisse de la demande mondiale, causée par un ralentissement de la croissance dans des pays comme la Chine); refus par les citoyens canadiens de l’Ouest comme de l’Est de laisser passer les oléoducs qui permettraient d’écouler le pétrole « sale » (des sables bitumineux) de l’Alberta; élection d’une première ministre NPD (je rigole)… Certains pourraient noter l’ironie du destin qui frappe aujourd’hui province vindicative, méprisante, au bord de la sécession il n’y a pas si longtemps, au nom de sa richesse qu’elle trouvait injuste de devoir partager avec les économies comme celle du Québec, touchées par la récession et les pertes d’emploi dans les secteurs manufacturiers.
Maintenant, c’est elle qui fait appel à la solidarité « nationale » canadienne. Ainsi va la vie, la roue tourne… mais pas toujours dans le sens que nous voudrions. C’est un cliché. Et pour ajouter un autre cliché, pourquoi ne pas ajouter qu’il est dangereux de mettre tous les œufs dans le même panier? Plus sérieusement, cela pourrait nous servir de leçon, notamment sur la gestion des ressources naturelles. En effet, incidemment j’ai appris que depuis cent ans les Albertains ont systématiquement défriché et abattu, au bulldozeur plus récemment, des milliers d’hectares de forêt, afin de bloquer les feux qui se déclenchaient… sans jamais ramasser le bois mort. Ce dernier a fini par constituer une couche en surface extrêmement inflammable lorsque survient un phénomène naturel comme un feu de forêt. Paresse? Négligence? Souci d’économie?
Si l’on y ajoute un développement urbain très libre – ils sont très fiers de cette liberté-là, sans le « carcan » de l’état — où chacun peut s’installer de plus en plus près des forêts, parfois sur des terrains montagneux en pente, où les feux des cimes se répandent plus vite. Le moteur de ce modèle de développement? L’appât du gain : pour les travailleurs (un travail bien rémunéré dans un projet minier ou pétrolier); pour les promoteurs immobiliers (vendre n’importe quoi n’importe où au gros prix); pour les gouvernements (perception des taxes sur ces transactions et augmentation de l’assiette fiscale); enfin pour les grandes compagnies, qui peuvent épuiser les sols et engranger les bénéfices sans avoir à endosser de responsabilité sociale.
Et si nous laissions tomber progressivement l’exploitation polluante et sauvage de ressources non renouvelables, qui sert de toute façon à conserver un mode de vie qui a montré ses limites? Et si nous laissions fleurir les espaces verts, les zones de jeu, les prés, en périphérie des zones habitées au lieu d’asphalter et d’empiler les logements sans souci de développement durable?