ÉDITORIAL
La terre, notre mythe
Je suis arrivé au Canada en 2005, la tête à moitié remplie d’une certaine mythologie américaine, l’autre moitié pleine d’informations collectées lors de mes deux séjours de prospection dans la région. J’entends par mythologie américaine une certaine idée de ce qu’était l’Amérique du Nord pour un Français n’y ayant jamais vécu. N’oublions pas que le mot vient du latin « mythos », « récit de fiction », mais aussi du lointain grec, réalité travestie, « déformée ou amplifiée » au fil des générations, comme le dit Le Robert. On n’est pas loin du mensonge. D’Ailleurs, aujourd’hui, le mot peut-être péjoratif en tant que « représentation idéalisée » ou « image idéalisée ». Mes mythes personnels concernant le Québec et le Canada portaient sur la nature sauvage, protégée par des citoyens responsables, conscients que les ressources naturelles sont en partie non renouvelables. J’étais mal informé.
Et notre gouvernement fédéral, malgré toute son ouverture d’esprit, son respect de la différence et son « progressisme », en est la preuve parfaite. Comment? Et bien, vous avez peut-être remarqué que, dans la même semaine, le premier ministre Trudeau a annoncé son accord pour le projet de pipeline au nom de la croissance économique et de la création d’emploi, et la mise en place d’un prix pour les émissions de gaz carbonique (CO2), que les entreprises provinces auront à payer dans les années à venir. Un tarif qui va augmenter jusqu’à atteindre 50 $ la tonne, du jamais vu! Au point que les représentants de quatre provinces ont claqué la porte d’une rencontre avec le fédéral. Ils pensent que cela va freiner le développement économique des entreprises dans leur coin de pays. C’est vrai du développement basé sur les énergies fossiles, sur lequel repose tout le système, notre vie quotidienne, comme certains lecteurs l’ont déjà très pertinemment démontré. Alors : croissance économique ou protection de l’environnement? Lequel choisir?
Aucun des deux! Comme d’habitude dans les cas de logique, on sous-estime l’importance des prémices. Ici, les prémices est que l’on peut abuser de nos ressources indéfiniment, se voiler le visage… jusqu’à entrer dans le mur. Avec une certaine hypocrisie, nous feignons de croire dans le mythe du grand pays, plein de ressources dont l’exploitation est récente (en France, la moitié des forêts avaient disparu à la fin du moyen âge, fin XVe siècle).
Pourquoi continuer de pomper du pétrole ou du gaz (de surcroît polluants, par leur processus d’extraction et par leur utilisation)? Pourquoi déforester plus que l’on ne replante des arbres? Pourquoi utiliser de l’eau potable pour refroidir les machines-outils dans la sidérurgie ou nettoyer les trottoirs devant chez nous, les voitures une fois par semaine? À l’instar de l’Europe, appliquons le principe du pollueur/payeur, au lieu de continuer de croire comme les premiers colons arrivés en Amérique du Nord que le continent regorge à l’infini de ressources inépuisables, car c’est un mythe fondateur de notre société, profondément ancré dans notre inconscient collectif. Ainsi que le rappelle Naomi Klein, longtemps le Canada se concentra sur l’extraction de ressources (bois, gibier, minerai); depuis toujours, la nature a été considérée comme « un garde-manger offert par Dieu ». Et là, aujourd’hui, l’écologie nous dirait de tirer moins de la terre pour conserver davantage le bien commun? Dur à avaler en effet. Obligeons les projets industriels et d’infrastructure à démontrer qu’ils influent peu sur le réchauffement climatique. Inspirons-nous des cultures autochtones qui produisaient une certaine richesse dans le respect de leur environnement, avec le souci constant de préserver un certain équilibre. Révisons nos prémices, changeons notre paradigme et balayons les anciens mythes.