LETTRE
Le 22 rue Principale : une architecture de rupture
La soirée d’information consacrée au projet de condos au 22 rue Principale qui s’est tenue le 13 juillet dernier fut une démarche de transparence qu’il faut saluer. Elle a permis de connaître plusieurs détails du projet et, malheureusement, de confirmer nos appréhensions quant à l’absence d’intégration patrimoniale harmonieuse du nouveau bâtiment. En effet, nous partageons l’avis de la grande majorité des intervenants qui ont souligné lors de la rencontre que de par sa volumétrie, sa structure, sa hauteur et son aspect, l’édifice dégage l’impression indéniable d’une forte dissonance avec la trame patrimoniale du milieu bâti situé à proximité. Comme l’ont affirmé plusieurs intervenants « cet immeuble serait beau et parfaitement intégré… sur le plateau ».
De plus, des arbres matures seront détruits et l’aménagement paysager anémique proposé est sans commune mesure avec les cas exemplaires du paysage culturel ambiant qui constitue le trait distinctif du carré patrimonial.
L’immeuble proposé prétend évoquer des caractéristiques architecturales présentes sur la rue Principale mais en réalité ce sont souvent de simples clins d’œil furtifs à des caractéristiques de structures qui sont soit contemporaines et récentes, soit trop éloignées du milieu immédiat d’insertion, ou qui ne sont absolument pas emblématiques du prototype architectural du secteur. Le règlement, par exemple, exige qu’un nouveau bâtiment ait la même structure que celui des deux bâtiments voisins le plus représentatif du milieu d’insertion, sauf si la dimension ou la configuration du terrain ne le permet pas. Or compte tenu de la dimension et de la configuration du terrain, le projet actuel ne respecte pas le but de cette exigence qui est celui de l’intégration patrimoniale harmonieuse.
Le défaut fatal de ce projet est qu’il tente de contourner l’esprit et l’objectif du règlement sur l’intégration patrimoniale. On propose un coup de force architectural et urbanistique au nom d’une conception simpliste de la densification qui consisterait selon le promoteur à multiplier et empiler en bloc des condos haut-de-gamme sur presque chaque mètre carré d’un petit site entouré de maisons anciennes et se trouvant dans l’aire de protection du seul et unique bien culturel protégé par la loi provinciale. Sous prétexte de progrès, on veut imposer une architecture de rupture tout aussi dommageable que le serait la nostalgie du pastiche victorien.
Nos membres appartiennent à toutes les générations et ne sont pas des réactionnaires hostiles au dialogue innovateur entre le passé, le présent et l’avenir. Un meilleur effort d’intégration s’impose toutefois clairement car nous ne voyons pas dans ce projet massif le « chaînon manquant » entre l’ancien et le moderne. Il nous apparaît en fait que les architectes, par ailleurs très compétents, sont empêchés ici de déployer pleinement leur créativité par la stratégie spéculative qui anime toute l’entreprise puisque derrière l’argument de densification, soi-disant éclairée et d’avant-garde, on voit surgir le très ancien modèle du profit financier maximum.
Il incombera désormais au Conseil consultatif de l’urbanisme et aux Conseil de la ville de faire preuve de courage, de détermination et de vision. Il leur incombe d’imposer le respect de l’impératif légal, social, économique et culturel d’intégration patrimoniale en faisant une interprétation des normes qui soit spécifiquement adaptée au cas unique du carré patrimonial. D’autres villes ont exercé un leadership en matière patrimoniale et ont, grâce au règlement sur les PIIA, rejeté des projets gravement dissonants et amené les promoteurs à réviser leurs plans y compris le nombre d’étages et la volumétrie. Notre ville doit emboîter le pas pour éviter de créer un précédent qui, à terme, mettrait en péril le carré patrimonial.
Nous réitérons notre demande que les plans qui seront soumis à la ville fassent l’objet d’une consultation publique conformément à la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme.
Roger Blanchette, porte-parole du Musée de l'Auberge Symmes
Micheline Lemieux, présidente de l’Association du patrimoine d’Aylmer
Ghislain Otis, porte-parole d’un groupe de citoyens d’Aylmer