ÉDITORIAL
Le bug humain
J’ai eu le plaisir d’assister au débat des chefs au Musée canadien de l’histoire, la semaine dernière. Évidemment, je l’avais aussi regardé en anglais le lundi précédent. Et j’en suis sorti avec des sentiments partagés : rien de nouveau sous le soleil n’était apparu au cours de la discussion et les différents candidats au poste de premier ministre du Canada avaient livré sensiblement le même message. Certes, les intervenants, surtout les quatre journalistes ayant posé les questions, avaient été pertinents et Patrice Roy, le modérateur/animateur globalement en contrôle des échanges, mais je n’avais rien appris de plus. Peut-être mon opinion est-elle déjà un peu trop arrêtée ? Ou bien suis-je « trop » bien informé ?
En tout cas, j’ai été étonné de voir à quel point tous les partis avaient adopté l’enjeu de l’environnement. Un sujet dont on prédisait au départ qu’il serait le principal, puis dont on a dit que non, pour finalement nous apercevoir que cela restait extrêmement présent, au point que même Maxime Bernier — à la limite du cilmato-négationnisme — semblait avoir un plan pour contrer les conséquences des changements climatiques. Tous les partis avaient su remarquablement rebondir après les démonstrations de force populaires que représentent les manifestations et autres actions de désobéissance civile de ces dernières semaines. Tous les partis avaient en quelque sorte volé des bouts du programme des Verts. Sans en avoir la cohérence.
Et pourtant, je garde le sentiment confus que les apparences sont trompeuses et que, quel que soit le gagnant des élections, il ne livrera pas la marchandise. Je crains vraiment que ces belles promesses, ces engagements vibrants les yeux mouillés ne soient qu’une tactique de diversion supplémentaire. Ils n’ont pas compris l’urgence — oui, la nécessité absolue — de changer de paradigme, de réformer radicalement notre société. Ils ne sont pas encore suffisamment convaincus. À l’image de plusieurs de mes connaissances, de vous peut-être, et de la majeure partie de la population. Pourquoi ?
Sébastien Bohler et les neurosciences ont la réponse. Les études scientifiques démontrent que notre cerveau est tout simplement conditionné par des dizaines de millions d’années de réactions à certains stimuli résultant de situations de survie chroniques. Notre cortex surdimensionné, qui a assuré le succès des mammifères, particulièrement des primates, ne peut totalement contrer un organe plus ancien situé dans le tronc cérébral : le striatum. Pire, il a conçu les technologies afin que ce dernier puisse continuer de fonctionner comme il l’a toujours fait ! Il s’agit du même organe qui produit les neurones à dopamine. Le problème est qu’il réagit uniquement à quatre objectifs : trouver de la nourriture, des partenaires sexuel-le-s, se procurer un statut social, acquérir du territoire et des informations permettant d’augmenter sa survie, et cela avec le moins d’énergie possible.
La sélection qui s’est opérée depuis 140 millions d’années nous a rendus ultra-efficaces à obtenir tout cela, que notre striatum désire, presque sans effort. Jamais le striatum ne dira « non », il n’est pas fait pour cela ; il envoie les « hormones du plaisir » seulement par réflexe et pour les raisons citées un peu plus haut. Viennent de là notre consommation compulsive, nos relations sociales et sexuelles dysfonctionnelles, notre dépendance aux médias sociaux et à la technologie en général… et notre incapacité à sacrifier un peu de notre confort matériel actuel pour un meilleur environnement plus tard.