ÉDITORIAL
Le casse-tête québécois (pour les immigrants)
Parfois, certains faits, paroles ou actes nous sautent au visage comme une évidence. C’est le cas du témoignage d’une immigrante au Québec dans le courrier des lecteurs du journal Le Devoir, quelques semaines passées. « J’ai été accueillie en anglais, j’ai étudié en anglais, je vis en anglais et tout à coup, je dois passer un test de français pour travailler… en anglais! ».
En effet, le Québec est probablement la province la plus bilingue du Canada, bien que nous sachions tous que la seule véritable province bilingue est le Nouveau-Brunswick. Le Québec est officiellement francophone, comme l’Ontario est officiellement anglophone. Cependant, si dans la plupart des villes, on trouve plus de 90% de francophones, cela tombe à environ 80% à Longueuil et Gatineau, à peu près 65% à Laval… et à 52% à Montréal. Et c’était en 2001! Tenez-vous vraiment à ce que je vous donne la tendance depuis 15 ans?
Aujourd’hui Montréal est majoritairement anglophone. Quelle attitude choisir dès lors? On peut mettre en avant les principes, monter sur nos grands chevaux, être pour ou contre, mais au quotidien, que fera-t-on avec notre voisin? Va-t-on lui demander de prendre des cours de français avant de pouvoir entamer la discussion et l’ignorer superbement en attendant qu’il progresse suffisamment ? Cela me parait difficile et irrespectueux. Parallèlement, jusqu’à quel point peut-on s’entendre répondre « Sorry, I don’t speak French », en réponse à un simple « bonjour », comme si à l’issue de 11 années de Français langue seconde on ne pouvait échanger quelques formules de politesse de base ? Pas cool, non? N’insultons pas en plus nos enseignants ou l’intelligence de nos concitoyens! En vérité, on peut l’admettre, il ne s’agit pas tant de parler que de se comprendre. Alors, est-ce vraiment si compliqué?
Et puis je me suis demandé pourquoi ce sempiternel sujet de discorde entre québécois revenait sur le tapis? Essai de réponse : l’actualité migratoire, le fait que les vannes se soient récemment un peu plus ouvertes afin de favoriser les réfugiés syriens aurait-il réveillé les démons de ce vieux (je n’ai pas dit obsolète) débat? Parce que le facteur migratoire joue un rôle non négligeable… On en revient à la citation du début de mon éditorial.
Le problème est surtout patent à Montréal, qui n’est pas sans rappeler l’Outaouais. À Montréal où une majorité d’anglophones sont bilingues, où la moitié des travailleurs travaillent en fait dans les deux langues. Montréal, où tout est aussi accessible en anglais, par souci d’équité pour nos concitoyens, ou les néoquébécois allophones choisissent spontanément la supposée langue des affaires, l’anglais. Leurs enfants vont généralement (pour les deux tiers) à l’école francophone jusqu’à la fin du secondaire, et pourtant le reste de leur vie se fera en anglais. Cela représente-t-il une intégration à la « culture québécoise »? Tout dépend peut-être de ce qu’on définit par là… Au final, on peut toujours se dire que tout immigrant sait qu’en arrivant au Québec, il entre en terre francophone; le ROC lui est ouvert, s’il veut vraiment vivre en anglais.
Néanmoins, il s’avère que la moitié de ces mêmes immigrants quitte le Québec à cause de cela, réduisant d’autant le poids démographique du Québec dans la confédération. Les patrons ne sont pas contents, ils ont la conviction que l’on écarte ainsi une partie de la main d’œuvre qualifiée dont le pays a besoin. Parallèlement, 23% des immigrants unilingues francophones sont encore au chômage au bout de 5 ans. Et oui, les patrons exigent l’anglais pour embaucher. C’est un peu contradictoire, non? Nous voulons pourtant attirer les francophones au Québec et sommes fiers de notre différence en Amérique du nord, scande le gouvernement libéral, qui admet dans un même souffle laisser aux individus et aux organismes ou entreprises le soin de déterminer les critères, de recrutement, y compris linguistiques. Il semblerait que pour lui le fait francophone n’ait pas besoin d’être renforcé. Quel Québec voulons-nous?