ÉDITORIAL
Le pigeon et le loup (de Wall street)
Il y a deux semaines, une foule bigarrée et unanime de six cents personnes a commémoré l’attentat de la Grande mosquée de Québec de 2017, (six morts, dix-neuf blessés et dix-sept orphelins). Nombreux étaient ceux de tous les coins du pays qui les accompagnaient par la pensée. La même semaine — et comme masquée par la pandémie — est sortie une nouvelle très importante. En effet, la Cour supérieure du Québec a invalidé plusieurs articles du Code civil du Québec, jugés discriminatoires pour les personnes trans ou non-binaires. Par exemple, ces dernières pourront désormais changer leur état civil et deviendront « visibles » : d’autres options que « homme » ou « femme » leur seront offertes. C’est tout simplement historique ! Et dans ces deux cas, je crois que nous pouvons mesurer combien la société québécoise a évolué au fil des décennies.
Mais il reste des irritants, qui nous touchent de près, qui touchent notre porte-monnaie. En fait, celui de nos enfants. Jusqu’aux envolées récentes et mystérieuses de certaines compagnies cotées en Bourse, je n’avais pas mesuré combien cela attirait notre jeunesse ni à quel point elle pouvait être cupide. Enfin, je côtoie tous les jours des ados, donc je m’en suis un peu aperçu. C’est juste que mes filles me l’ont confirmé : beaucoup de jeunes de leur âge jouent en bourse depuis chez eux, un peu comme d’autres jouent au poker en ligne. C’est une tendance lourde.
Eh oui, nos enfants, à défaut de pouvoir travailler « pour de vrai », physiquement, détournent le système. Ils se lancent à l’assaut des marchés financiers, fort de leurs connaissances de secondaire 5 en « Finances personnelles ». Mais après tout, les Trump, Gil Cornblum, Mario Bright, Andrew Lech, Kenneth McMordie, Dianne Rosiek, Vincent Lacroix, Michael Mendelson ou Boaz Manor de ce monde ont-ils eu des scrupules à spéculer, sans se soucier de connaitre l’état de l’économie réelle ou de l’efficience de leur « investissement » dans la compagnie x ou y ? Pourquoi faire des complexes quand les banques t’expliquent comment fonctionne la bourse en ligne ; quand les médias, comme le magazine Les Affaires, te décrivent « comment faire cent fois [ton] argent en bourse ? » ; quand les plateformes de courtage en ligne ont pignon sur rue ; quand les gangs de rue eux-mêmes blanchissent leur argent ainsi ? Et tout ça depuis, chez toi, en quelques clics !
Ce qui dérange les riches et puissants de ce monde, qui profitent indûment et quotidiennement des mécanismes du capitalisme financier, c’est que des blancs-becs post-pubères jouent dans leur pré carré, font fluctuer les cours au gré de leurs humeurs, peut-être tout simplement pour les exaspérer. Il est vrai que le succès foudroyant de ces start-up, de ces GAFA, ou des cryptomonnaies comme le bitcoin, qui génèrent des milliards, pullulent dans les médias sociaux. Ces mêmes plateformes permettent aujourd’hui à toute une (nouvelle) génération de se regrouper pour faire un raid sur les titres d’une entreprise côté en bourse et de spéculer à loisir sur leur valeur. Qu’est-ce qui l’interdit de toute façon ? On brandit depuis des années les concepts d’« autorégulation du marché » et d’« acteur économique rationnel », alors que la Bourse fonctionne à l’inverse dans les faits. Alors, assumez, les gars ! En plus, les flux financiers n’étant pas taxés, c’est du revenu sans impôt !