ÉDITORIAL
Le poids des mots…
Les mots ont un sens, ils ont un impact. Ainsi, « impeach » Trump ne signifie pas l’« empêcher » d’exercer le pouvoir par tous les moyens, mais vient d’« impeachment », procédure démocratique et non-violente par laquelle un président américain peut être destitué, s’il existe des accusations sérieuses (trahison, corruption ou tout autre crime ou délit). Autre exemple récemment analysé dans l’un de mes éditoriaux, le vocabulaire économique, tel que dans l’expression « ressources humaines ». Horrible dénomination si l’on y réfléchit. En ce moment, le terme « terroriste » est employé à toutes les sauces, et franchement, cela me fâche un peu, parce que cela tend à brouiller les cartes. Or, ce n’est pas le moment. Les mots doivent servir à désigner le réel, à éclaircir la réalité confuse qui nous entoure, à ordonner le chaos. Si nous utilisons « terrorisme » à tort et à travers, que faut-il comprendre quand il s’agit d’un véritable acte terroriste?
Le mot lui-même vient du latin, mais n’est apparu dans l’Histoire qu’avec la Terreur française, période de la Révolution (1792-1794), qui vit la France faire face à une coalition de monarchies européennes, en même temps qu’à une guerre civile. Résultat : 500 000 personnes emprisonnées, 100 000 exécutions; la révolution fut sauvée et la France devint la première république en Europe, un modèle pour tous. Ironiquement.
Au sens propre, le terrorisme implique donc habituellement 1) l’usage de la violence (attentat, enlèvement, assassinat, sabotage, etc.) 2) des objectifs spécifiques (faire pression sur un état, contraindre une population à l’obéissance, médiatiser une cause, promouvoir une idéologie…). Au-delà des victimes directes, on vise ainsi frapper l’opinion publique, intimider, instaurer un climat de peur.
S’il peut être organisé (historiquement) ou individuel (plus récemment), il peut aussi exister un terrorisme d’état, à coup de mesures d’exception, qui peuvent devenir permanentes, comme un état d’urgence prolongé ou des actes violents (répression policière, interdictions diverses, bâillonnement des médias). Au sens figuré, plus largement, le terrorisme concerne une attitude d’intimidation, d’intolérance, de pratiques abusives, comme dans les domaines de l’économie ou de la culture.
Au fond, est terroriste… à peu près n’importe qui, dépendant du lieu, de l’époque, du côté de la barrière où l’on se trouve. Ainsi, certains semblent s’entendre pour parler de terrorisme de résistance si l’objectif des « terroristes » est légitime : résistants français pendant la deuxième guerre mondiale contre le régime de Vichy; membres de l’OLP palestinienne de Yasser Arafat contre le gouvernement israélien. Dans ces cas-là, on est qualifié de terroriste par les uns, de courageux justicier par les autres… La différence paraît donc discutable. L’histoire fait son tri, au gré des modes. Alors, qui combat pour sa liberté pourrait contrevenir à la liberté d’autrui?
Aujourd’hui évidemment, le terrorisme est associé au fanatisme et à la radicalisation, plus de droite que de gauche – finis les attentats communistes – plus musulmane que chrétienne ou juive. Ce qui contribue à condamner l’Islam, qui n’a déjà pas besoin de cela, puisque sunnites et chiites s’étripent déjà à qui mieux mieux au Proche et au Moyen-Orient. Surtout, sur fonds d’ignorance, il provoque peur irraisonnée, colère, voire haine, et peut engendrer des réponses violentes, ce qui ne fait que rajouter à la psychose sociale, à la confusion générale. Si bien qu’il devient difficile de penser tant on est dans la réaction; de dépit, on peut même valider un certain terrorisme intellectuel qui, par des réfutations non-fondées, de la censure idéologique et la stigmatisation d’une minorité (religieuse, nationale ou intellectuelle) ne cherche en fait qu’à instiller le cynisme, la suspicion et la haine dans nos cœurs.