ÉDITORIAL
Le pouvoir de la peur
« Ça pourrait être moi ». C’est ce que beaucoup ont dû se dire à la vue des images prises immédiatement après les attentats à l’aéroport et dans le métro de Bruxelles, la semaine dernière. Avez-vous peur? Pour vos enfants, vos amis, vos collègues, notre ville, notre pays, les Français, les Syriens ou les Belges, l’Occident, l’humanité tout entière? Et de quoi? Du chômage, des prédateurs sexuels, de la chute des prix du pétrole, de la hausse de celui des maisons, de prendre l’avion ou le métro, des gaz à effet de serre, de l’arsenal nucléaire nord-coréen, des terroristes du Groupe Armée État Islamique (ou d’ISIS, Daech ou Al-Qaeda)?
C’est justement le but des terroristes: le mot « terrorisme » désigne un « ensemble d’actes de violence […] pour créer un climat d’insécurité […] pour satisfaire une haine à l’égard d’une communauté, d’un pays, d’un système » (Larousse). Ce terme est très élastique. En effet, les états tentent d’y associer toutes les formes de violence non conventionnelles. Et bien souvent, la population focalise plus sur les actes que sur les motivations qui les ont fondés. Le choc des images sanglantes diffusées en boucle, le poids des commentaires des « spécialis-tes » invités dans les grands médias y sont pour beaucoup. Chagrin, frustration, peur, colère, haine se mêlent ainsi dans notre esprit et nous aveuglent sur les vrais enjeux. La définition juridique du terrorisme peut nous aider à y voir plus clair. Elle précise que les actes sont commis « au nom — exclusivement ou non — d’un but, d’un objectif ou d’une cause de nature politique, religieuse ou idéologique ».
Bref, le geste est moins important que ce qui l’a motivé. Le vrai combat est psychologique, idéologique, à long terme, tout autant que physique, sécuritaire, à court terme. La Belgique était déjà placée au niveau 3 de son échelle nationale de sécurité au moment des explosions. Cela a-t-il changé quelque chose? On peut toujours accabler les services de renseignements et de police, se dire qu’avec plus d’argent, plus de personnel, plus de technologie adéquats, le problème serait soluble. Mais il faut savoir que le niveau 4, en vigueur depuis et pour une durée indéterminée (comme en France) équivaut à l’état d’urgence : couvre-feu, lieux publics clos, militaires à tous les coins de rue… Franchement, est-ce vraiment une solution?
Pour nos gouvernements, la peur n’est pas un but mais plus un moyen. Ils resserrent ainsi leur emprise sur nos vies quotidiennes au nom du combat nécessaire contre le terrorisme. Désormais, comment refuser les mesures d’exception pour notre sécurité? Comment s’opposer à l’accès sans contrôle à nos vies privées? Comment dire non à des lois restreignant nos libertés fondamentales (s’informer, exprimer notre opinion ou nous déplacer)? Y résister peut même sembler suspect aujourd’hui : serions-nous par hasard en train de sympathiser avec l’Ennemi? La chasse aux sorcières, que nous croyions être une mauvaise blague des Américains anticommunistes ou une croisade archaïque du Moyen-âge, n’est peut-être pas loin…
Attention, je crois que les voies du paradis sont pavées de bonnes intentions. Au départ, les dirigeants politiques font aussi de la politique pour faire avancer les choses positivement. Toutefois, le pouvoir sur une population ne s’embarrasse pas trop de manières, et nous, gens du peuple, sous-estimons l’attraction qu’il exerce. Toucher au pouvoir, le posséder, c’est toujours être tenté de la garder ou de l’augmenter. En ces jours sombres et répétés de deuil, en solidarité pour les Belges et pour toutes les victimes des attentats terroristes, nous devons plus que jamais rester vigilants, garder un œil sur les politiques de nos gouvernements.