ÉDITORIAL
Le pouvoir du peuple, pour le peuple et par le peuple
Canada, États-Unis, France. Trois pays, trois systèmes, mais une même problématique de défiance grandissante envers la démocratie. Et comment ne pas acquiescer quand on voit le véritable cirque qui s’est joué chez notre voisin, la « plus grande démocratie au monde » ?
L’Antiquité grecque a inventé le terme, avec son corollaire, la notion de citoyenneté. Il faut se rappeler qu’à Athènes, les esclaves, les étrangers et les femmes ne votaient pas ! Plus récent est l’idéal démocratique moderne, qui, lui, est né au XVIIIe siècle, en s’opposant à l’idée que le pouvoir vient de Dieu — fondement de la monarchie de droit divin (comme le Royaume-Uni et le Canada) — et qu’il est fondé sur le lignage. Ainsi, le pouvoir se transmettrait de père en fils, sans considération de mérite ou de compétence. Les philosophes des Lumières ont théorisé la démocratie que nous connaissons. Le Canada, et nous comme « sujets » de la couronne, avons donc deux siècles de retard…
Vox populi, vox dei déclaraient les Romains, et il est vrai que c’est théoriquement le cas. Il n’en reste pas moins que la grande question dans une démocratie est celle de la manière dont la voix du peuple s’exprime. L’histoire montre que les faiseurs de coups d’État ont même parfois été plébiscités : Napoléon III, Hitler, Trump (?). Je ne parle pas des nombreuses « démocratures » qui ont fleuri ces dernières années, en Russie, en Hongrie, en Turquie, au Maghreb, etc. En France, le président est élu au suffrage proportionnel à deux tours, donc M. Macron, quoi qu’en disent ses détracteurs, a été élu avec plus de 50 % des voix exprimées. Il doit cependant naviguer entre une extrême droite populiste qui devient au fil des élections la principale force d’opposition et une gauche, qui fait preuve d’un conservatisme étonnant. Aux États-Unis, le débat est tellement polarisé, y compris en chambre, que les réformes sont quasi impossibles. Quant au Canada, qui sort à peine du bipartisme hérité du système anglais, la représentativité y est tellement problématique que les premiers ministres sont encore nommés par la reine d’Angleterre, qu’ils sont élus avec 30 et 40 % des suffrages— et même pas directement — ; et que les partis non-majoritaires sont privés des sièges qu’ils méritent, considérant le nombre d’électeurs qu’ils représentent.
En tout cas, souvenons-nous que, si c’est bien la voix du peuple qui est la seule source légitime du pouvoir politique en démocratie, cette voix ne dicte rien ou si peu en matière religieuse, économique et financière. Et pour une bonne raison : la démocratie moderne a eu pour corollaire le capitalisme marchand à ses débuts, puis le capitalisme industriel au XIXe et aujourd’hui le capitalisme financier. Or, ce système économique, qui s’est généralisé dans le monde entier, a creusé les inégalités à des échelles jamais vues, malgré l’intermède entre la naissance des grands syndicats, du socialisme et la fin des Trente Glorieuses. La classe moyenne, qui est apparue après la Seconde Guerre mondiale, se réduit année après année, alors que les riches s’enrichissent et les pauvres s’appauvrissent. Le discours démocratique qui clame l’égalité de tous ne peut plus masquer les disparités réelles, tant sur le plan économique que social. Mais combien de temps croyez-vous que cela pourra continuer ? Dans quel genre de démocratie vivons-nous donc ?