LETTRE
Le Québec dans l’imaginaire : quelle vision adopter?
La majorité a parlé: elle n’est pas à l’aise avec les gens différents. Elle a peur que les gens différents vont imposer leur différences à la majorité et alors, il faut LEUR imposer la bonne façon de faire les choses.
Un grand soupir de soulagement passe dans la province: notre héros Legault, un homme comme nous autres (un homme pas mal plus riche que nous mais, tout de même, il nous comprend) est venu nous sauver de notre malaise. Depuis un bon petit bout de temps, nous ne nous sentons pas bien dans nos peaux. Il y a quelque chose qui ne va pas dans nos vies et, en regardant autour de nous, il est alors évident que ce sont ces étrangers qui nous côtoient qui sont à la racine de notre angoisse.
Ces étrangers qui ne veulent pas s’assimiler. Qui ne sont pas comme nous autres. Qui s’obstinent à être différents… S’ils étaient comme nous, on se sentirait mieux. On se sentirait chez nous.
Mais est-ce vrai? Est-ce que nous nous sentirons mieux si tout le monde était pareil? Nos vies auraient-elles plus de sens? Nos jobs seraient-ils plus intéressants? Nos familles seraient-elles plus unies? Aurions-nous moins de pollution? N’aurions-nous plus rien à craindre de ces changements climatiques qui s’annoncent? N’aurions-nous plus d’inquiétudes face aux sociétés multinationales lorsqu’elles décident de faire de choses qui nous nuisent? N’aurions-nous plus de soucis face à cette technologie qui envahit nos vies, qu’on le veuille ou non?
Je me pose ces questions, car voilà des enjeux dont on ne parle que peu, mais qui nous touchent profondément, tandis que nous nous débattons sur la place des vêtements et bijoux portés en public. Et puis d’autres questions surgissent, à la suite de choses que j’ai entendues pendant ce débat.
Est-ce vrai que les gens qui sont différents sont tous des nouveaux arrivants de terres lointaines qui ne parlent même pas notre langue? Cette femme qui porte un foulard, est-ce sûr qu’elle est une arabe? Et ce jeune homme qui porte un turban, est-ce sûr qu’il n’est pas né ici, et qu’il ne parle pas bien notre langue et ne comprend pas bien nos coutumes? Et cette personne qui porte une kippa, est-ce sûr que sa famille ne vit pas ici depuis des générations?
Qui sommes « nous »? Comment définit-on qui appartient à notre société, et qui n’y appartient pas?
Voilà peut-être la vrai source de notre malaise… savons-nous réellement qui nous sommes? Ou avons-nous peur que nos repères disparaissent, et que nous ne savons plus comment trouver notre chemin? Sans la sensation de l’autre, l’anglais, le protestant, l’autochtone, le religieux, le juif, le musulman… sans tous ces autres, avons-nous peur d’être vides?
Ben, voyons donc! Nous ne sommes pas vides, nous avons juste besoin de nous reconnecter avec nos aïeux. Nous pouvons prendre avec gratitude ce qu’ils nous ont légué, et puis nous pouvons le partager: tous les apports, de toutes les personnes qui font partie de nous: les rêveurs, les bâtisseurs, les gourous, les tisseurs de liens, les aventuriers, les cultivateurs, les partisans, les leaders…
Ce monde est difficile, il n’y a pas de doute. Les changements de la vie moderne sont essoufflants. Mais au lieu de nous battre entre nous (et d’essayer d’exclure une partie des gens de cette appartenance), ne serait-il pas plus fructueux au bout du compte d’aborder les vrais enjeux? Des questions comme: pourquoi sommes-nous ici? Comment pouvons-nous vivre une vie pleine? Comment pouvons-nous mieux tisser les liens entre nous? Comment pouvons-nous faire face aux défis de notre vie, comme notre impuissance devant les grandes sociétés, la pollution de notre belle terre, et la manque d’équité entre les gens qui ont un pouvoir économique grandissant, et ceux qui en ont de moins en moins?
Si toutes les femmes et tous les hommes s’habillaient de même (sans couvre-chef, s’il vous plaît!), si tout le monde se repliait encore plus sur lui-même pour n’être fidèle à lui-même que dans l’isolement de son chez soi de moins en moins peuplé… serions-nous plus heureux? Plus épanouis comme êtres humains? Nos vies auraient-elles plus de sens? Y aurait-il plus de justice dans le monde?
Il me semble que nous aimons les dichotomies chez nous: nous et vous, bon et mauvais, laïc et religieux… mais la vraie vie n’est pas si clairement nette, délimitée et unidimensionnelle, elle est effervescente, souple et multidimensionnelle.
Le Québec dans l’imaginaire de certains semble bien peureux et pauvre et sans couleurs. Mon Québec est assez confiant et enraciné dans la beauté de sa richesse pour vivre avec, et fêter, notre diversité.
Asiya Richard,
Aylmer